Chapitre 18 : Souffrance et Notes (2)

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Nous nous dévisageons stupéfaits. Les deux infirmiers sont côte à côte. Encore une fois, leur ressemblance me frappe, la forme ovale de leur visage est identique, que ce soient leurs yeux, leurs nez aquilins, leurs bouches rosées pleines et rondes, tous leurs traits sont semblables. Hormis leurs couleurs de cheveux et quelques grains de beauté que Tim possède, et pas Tom. Ils sont les copies conformes l'un de l'autre. Et pourtant, dire qu'ils sont identiques est une erreur. Ils émettent tous les deux des auras complètement différentes.

Tim, le châtain a toujours ce sublime sourire. Il est envoûtant, attractif, captivant. Si je ne l'avais pas vu se transformer en monstre, il est évident que je serais tombée sous son charme. À sa gauche, Tom, une moue désagréable collée sur ses lèvres, ses sourcils épais à force d'être froncés ont l'air comme figés dans cette position. L'ambulancier, en étant à proximité d'un véritable Apollon fait de grâce et ayant une soi-disant belle personnalité lui donne un air rebutant voire repoussant.

Le châtain fait un pas en avant, en levant la main en guise de salut. À ce moment, je reprends mes esprits et comme piquée par une guêpe, ma main déjà sur la poignée, j'en profite pour leur refermer la porte au nez.

– Gabrielle ! s'exclame derrière moi le Docteur Māyā offusquée.

Je l'ignore royalement. Une panique sourde m'envahit lorsque je vois comme au ralenti une main passer dans l'entrebâillement de l'ouverture et se retrouver brutalement écrasée entre son cadre et son battant. Derrière la porte, je peux entendre un grognement sourd et une insulte fuser.

Une ombre gigantesque qui n'est autre que le Docteur Buile passe devant moi. Il ouvre la porte d'un geste brusque.

– Tom, vous allez bien ? demande-t-il avec sollicitude.

– Oui, tout va bien. Plus de peur que de mal. Par contre, la petite maligne qui m'a fait ça me doit d'immenses excuses, répond-il en me fusillant du regard.

Je recule tandis que passant devant le psychiatre Tom fait quelques pas dans ma direction. Je regarde tout autour de moi, ma seule issue possible est l'entrée du cabinet de ma psychologue. Visiblement, Tim, l'autre infirmier, a dû comprendre la fuite que j'envisage, car il se poste pile au milieu de l'encadrement de l'ouverture avec un sourire se voulant taquin aux lèvres.

Je bute alors, à force de revenir sur mes pas, contre le divan moutarde. Et c'est en tournant la tête dans sa direction que je remarque que derrière le bureau de ma soignante se trouve une baie vitrée menant directement sur une terrasse. Je n'ai même pas le temps de penser à quoi que ce soit que Tom m'interpelle déjà.

– Je suis en train d'attendre là.

Je sursaute en sentant un souffle à l'odeur mentholée sur ma joue. Alors que je regardais la fenêtre, l'infirmier en avait profité pour se rapprocher silencieusement de moi. Maintenant, son visage n'est plus qu'à quelques centimètres du mien. Brutalement, je tente de m'échapper, mais je tombe en arrière sur le divan. Complètement terrorisée, je regarde autour de moi affolée mais tous me fixent comme s'ils étaient spectateurs d'une scène grotesque légèrement comique.

Je n'arrive même pas à déglutir, tellement ma gorge est sèche. Dans cette pièce, se trouvent deux Uxoricides dont l'un n'est qu'à une portée de main de moi. D'un seul geste ou transformations les deux monstres peuvent nous tuer sans même que l'on s'en rende compte. Je ferme alors les yeux en attendant mon heure fatidique en plaçant mes mains devant ma tête en position de défense, même si je sais très bien que cette maigre protection ne sert à rien face à ces abominations

Pendant ces interminables secondes, mon cerveau décide de faire défiler ma vie sous mes paupières closes. J'assiste alors à mes tous premiers souvenirs, mon premier anniversaire alors que je devais avoir six ans. Une bouffé fugace de nostalgie me prend au cœur quand je revois la montagne de cadeau qui m'attendait lorsque je suis descendue triomphante de ma chambre un matin enneigé de février 1956. Puis à mon premier récital de piano, à mes disputes et moments de joies avec mes parents ainsi qu'avec ma famille proche. Je revois mes amies que j'ai laissées chez moi avec mon ancienne vie, à mon premier amour, à ma première déception, colère. Je sens la frustration me gagner quand je réalise que je n'ai jamais mérité tout ce qu'il m'arrive maintenant. À ce moment, mon poignet me picote comme pour me rappeler la marque indélébile que m'a laissé l'Insulagos et que jamais, de toute ma vie, je ne peux me débarrasser de ce fardeau qui est le mien depuis cette fatidique nuit d'Octobre.

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