Chapitre 11 : David contre Goliath

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Assise seule dans le réfectoire, je regarde Éléonore manger avec appétit. Elle discute avec une fille dont j'ai oublié le nom. Je les fixe sombrement, mais visiblement ma mauvaise humeur ne les atteint pas le moins du monde. À aucun moment elles ne se retournent vers moi.

Depuis notre lugubre découverte la veille, celle que je pensais être devenue mon amie m'évite comme la peste. J'ai beau ressasser tous les évènements de son intrusion dans ma chambre jusqu'à notre retour dans le dortoir, je ne comprends pas son changement subit de comportement. C'est moi qui devrais la fuir après l'horreur des pensées qu'a injecté ma conscience dans mon cerveau et non pas l'inverse.

J'essaye pour la énième fois de me rappeler des faits de la nuit dernière. Après avoir trouvé les lunettes ensanglantées de Lucie, Éléonore les a ramassées et les a mises dans sa poche sans rien dire. J'ai eu beau lui déconseiller de faire ça, elle ne m'a pas écouté. J'ai abandonné l'idée de lui faire entendre raison et nous avons rebroussé chemin sans un mot. Nos sourires avaient désertés nos visages.

Sur le chemin du retour, je m'en rappelle encore, l'anxiété de cette découverte m'écrasait tellement les poumons que j'en avais du mal à respirer correctement. Je ne faisais que regarder tout autour de moi pour être sûre que personne ne nous suivait. Ce qui, à un moment, eut le don d'exaspérer mon amie et elle m'intima d'arrêter mon cirque. Je n'avais rien répondu, mais j'avais continué de surveiller nos pas. Chaque ombre prenait la forme d'un monstre sanguinaire - celui qui avait enlevé Lucie - qui revenait pour nous torturer puis nous tuer. Le moindre craquement, le moindre courant d'air se transformait en souffle dans ma nuque ou en pas nous suivant.

Une fois arrivée dans le couloir menant à notre dortoir, Éléonore excédée -car elle soupirait extrêmement fort- ne se retourna même pas pour me saluer ou pour me rassurer. Elle partit, presque en courant dans sa chambre en claquant la porte. Le bruit résonna bruyamment et se répercuta contre les murs dans un écho lugubre. J'ai fait de même et j'ai couru vers ma chambre comme si j'avais le diable en personne à mes trousses.

Arrivée dans ma chambre, j'ai bloqué la porte à l'aide d'une chaise et je me suis jetée sous ma couette en m'enroulant dedans. Je n'ai pas réussi à dormir de la nuit. Le nom de Lucie me tournait sans cesse dans la tête, est-elle en danger ? Morte ? Avait-elle fugué ? Les monstres l'ont-ils attrapé ? Mais pourquoi faire ? La manger ? Ces pensées me terrifièrent tellement que j'eus, sur le moment, l'impression que toute ma chaleur corporelle s'était dissipée d'un coup. Le peu de courage que j'avais en moi, à ce moment, avait pris la poudre d'escampette.

Avec du recul, je me revois à quatre ans, tremblante dans mon lit car j'avais peur du noir. À l'époque, de ma chambre je pouvais appeler mes parents qui venaient me réconforter. Sauf que là, je n'étais pas une enfant, ce n'était pas le noir qui m'effrayait et surtout, j'étais complètement seule.

Au bout de ce qui me semblait être une éternité, j'ai entendu l'infirmière en chef entrer dans les couloirs d'un pas aussi régulier qu'une horloge, ses petits talons claquaient sur le carrelage. Je m'étais alors levée en trombe pour remettre ma chaise en place. C'est en trébuchant sur les débris de ma lampe, que j'ai réalisé que jamais je n'allais pouvoir justifier cette casse.

Dès qu'elle s'était approchée de ma chambre, je m'étais précipitée en sautant sur mon lit et j'avais fait semblant de dormir. Évidemment, quand elle rentra, elle me bombarda de question en me demandant comment cela faisait-il que ma chambre était ouverte et la lampe brisée en mille morceaux.

Je pense que je n'ai jamais aussi bien joué l'innocente de ma vie. Je lui avais expliqué que j'avais été prise d'une terreur nocturne et que dans mon moment d'égarement, j'avais utilisé la lampe comme projectile pour me débarrasser de ce qui était la cause de ma peur. Pour la porte, je n'avais rien trouvé de mieux que d'hausser les épaules et de paraitre moi aussi très inquiète. Jamais, il ne m'était venu à l'idée de rapporter qu'Éléonore était à l'origine de toutes ses interrogations.

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