Chapitre 1 : Un sacré rendez-vous

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29 Janvier 1968, FRANCE

« Docteur Buile, je vais mieux, les médicaments font effet », affirmé-je en promenant mes yeux dans toute la pièce pour éviter de croiser le regard de mon interlocuteur.

La salle est sobre, limite austère. Hormis une affiche aux couleurs défraichies qui représente un cerveau multicolore où chaque couleur indique une zone précise de l'organe, aucune couleur ne vient égayer la pièce. En dessous de l'encéphale en gros caractère noir, il est écrit : « Parler de ses traumatismes est la première étape de la guérison ». J'étouffe un rire nerveux, plus facile à dire qu'à faire : déjà parler de mes problèmes à un inconnu était dur, mais faire en sorte qu'il me croit était encore plus compliqué.

Je recommence à promener mon regard, à la droite du psychiatre, sur le mur sont encadrés ses diplômes et autres coupures de journaux vantant ses mérites. Nous sommes assis face à face, lui derrière son immense et large bureau sur un fauteuil confortable, et moi, assise sur une chaise en plastique transparent.

L'homme ne répond toujours pas, j'ose regarder ses yeux bleu-gris, comme pour appuyer la véracité de mes propos. À ce moment-là, je sais que je viens de faire une grosse erreur. Le Docteur Buile, ou plus précisément mon psychiatre depuis trois mois, possède cette capacité à détecter le moindre mensonge de la part de ses patients rien qu'en les regardant dans les yeux, m'avait-il expliqué le jour de notre premier rendez-vous. Jusqu'à aujourd'hui, j'avais réussi à mettre en place divers stratagèmes pour ne pas avoir à lui mentir. Évidemment, il fallait que je fasse cette bêtise. Je me maudis intérieurement. À la lueur qui s'est allumée dans ses prunelles, je sais alors qu'il ne va plus me lâcher.

- Vraiment ? me demande mon interlocuteur, en se redressant légèrement.

L'homme est immense et d'une maigreur sans pareille. Ses pommettes saillantes, son nez droit et long ainsi que ses joues creuses donnent l'impression que son visage a été taillé au couteau. Le Docteur Buile est toujours habillé de la même façon : jean bleu foncé, chandail en laine, chemise blanche de médecin à manches courtes, sur sa poche côté cœur, une broche accrochée indiquait son nom. Cet homme était à l'image de son bureau, froid et sévère.

- Oui, je vous assure. Je dirais même que je vais mieux depuis que je prends ces médicaments. Je n'ai plus peur, plus de crises, plus rien. Parfois, c'est assez dur, je dois bien l'avouer, mais je pense que c'est normal, mentis-je une fois de plus, en essayant d'esquisser un sourire.

- Vous savez, vous pouvez me dire la vérité. Je suis là pour vous.

Mon cœur loupe un battement, je retiens mon souffle pour ne pas laisser la panique m'envahir. Il ne doit pas savoir, qu'un jour, en écoutant une conversation téléphonique entre lui et mes parents, j'ai réussi à entendre de quoi était composé le traitement qu'il m'avait prescrit la veille. Il m'avait alors annoncé que j'étais atteinte de schizophrénie. Le soir même, en faisant quelques recherches, j'ai découvert que la médication pour cette maladie était lourde et à base de neuroleptiques aussi appelés antipsychotiques. Ce sont des médicaments assez puissants pour avoir des effets secondaires tels que la sédation, des possibilités de diabète, de la tachycardie et j'en passe. Il est inimaginable que je prenne ces maudites pilules pour une maladie que je n'ai pas.

- Non, Gabrielle, écoutez-moi, au cours de nos précédents rendez-vous, j'ai réussi à poser un diagnostic sur votre cas. Je vous l'ai déjà expliqué, quand je vous ai prescrit votre traitement il y a de cela un mois. Vous le savez maintenant, ce qu'il s'est passé ce soir-là, c'était le déclenchement de votre maladie. Vous avez expérimenté, si je puis le dire ainsi, la phase aiguë de la schizophrénie. Pour faire simple, votre maladie s'est déclenchée cette nuit-là. Il me semble, une fois de plus, nécessaire de vous préciser que je ne fais pas ce constat à la légère. En effet, tous vos symptômes : vos hallucinations auditives ou visuelles, ce sentiment de persécution ou encore votre refus d'avoir une vie sociale alors que vous n'avez que seize ans, ils sont présents chez les patients atteints de schizophrénie, comme vous.

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