Je reste interdite quelques secondes ne sachant pas si Éléonore se moque de moi. J'essaye de percevoir un rictus taquin, mais son visage fermé n'exprime rien d'autre qu'une sévérité que je n'ai jamais eu l'occasion de voir sur elle. Elle qui, d'habitude est la personnification même du Soleil.
- Pourquoi est-ce que tu me parles de monstres ? demandé-je en essayant de paraître la plus détachée possible.
- Parce que toi aussi, tu en as vu un, insiste Éléonore.
- Non, je n'en ai pas vu, répondis-je en commençant à paniquer.
- Tu sais, c'est un secret pour personne que tu sois là pour schizophrénie. Tout le monde sait que tu es là parce que tu es persuadée qu'un monstre te traque. En plus, l'autre jour, tu m'as même dit que tu avais une crise. Et si tu as fait une crise, c'est que tu as vu un monstre.
Je me tais, le souffle coupé comme si on m'avait donné un coup de pied dans l'estomac. Je commence à regarder tout autour de moi comme paranoïaque persuadée que tous les patients et les infirmières ont arrêté leurs activités pour me fixer, d'un air moqueur. Une honte sans nom me serre la gorge de ses chaînes brûlantes. J'ai envie de fuir, de me cacher en boule, de partir loin, loin de toute agitation, de toute œillade méprisante.
Pourtant, lorsque j'observe les alentours, personne ne me scrute. Dehors, des patients tous emmitouflés de la tête aux pieds jouent sous les flocons en riant sous le regard amusé des surveillantes. À l'intérieur, les malades restants discutent enjoués tout en étalant leur créativité sur des feuilles toutes plus colorées les unes que les autres. L'ambiance est chaleureuse, presque familiale et pourtant, je me sens glacée, j'ai l'impression qu'un pieu de glace m'a empalé de part en part et que son froid m'envahit petit à petit. Je me transforme en statue de glace.
Éléonore attire mon regard de sa main mouchetée de tâche de rousseur.
- Ne t'inquiète pas. Les autres ne te croient pas, mais moi je sais que tu dis la vérité, m'assure-t-elle avec un clin d'œil.
Son aplomb me donne le tournis. Même si je ne me fais pas d'illusion sur le fait que tout le monde pense que je suis malade, qu'on m'impose cette réalité me donne une amère impression d'anormalité. Cette sensation est d'autant plus accentuée par le fait que ma seule amie m'affirme que je n'ai qu'elle comme soutien.
- Et pourquoi est-ce que tu me crois toi ? lui répondis-je d'un ton froid en ignorant sa main tendue tout en essayant de reprendre un semblant de consistance.
- Je te l'ai déjà dit, Lucie voyait un monstre, elle me l'a dit. Et, cette fille, elle est connue pour ne jamais mentir.
- C'est vrai, je me souviens de la première et seule discussion que j'ai eue avec elle. Elle a été d'une honnêteté tranchante.
- Tu vois ? Je te l'ai dit. Il y a un monstre dans cet hôpital.
- Tu tires des conclusions hâtives. Lucie était patiente ici donc forcément elle était atteinte d'une maladie, comme de la paranoïa par exemple. Et au final, peut-être que Lucie est réellement malade et elle a juste fugué, objecté-je.
- Donc le monstre que tu vois n'est pas réel.
- Si ! Ils sont réels ! C'est différent ! élevé-je la voix.
D'un signe de la main discret, elle m'intime de baisser d'un ton. Je me sens rougir de mon éclat de voix et du fait que j'ai avoué voir des monstres. Cette fille est beaucoup trop maligne. Je suis sûre que lorsqu'elle veut quelque chose, elle l'obtient. Elle ne semble pas s'embarrasser de ma timidité soudaine et se penche au-dessus de la table vers moi.
VOUS LISEZ
Imaginaire
AdventureLe 15 octobre 1967, Gabrielle Girardin, âgée de 16 ans et issue d'une prestigieuse famille est témoin du meurtre de son voisin par un monstre tout droit sorti de ses pires cauchemars. Quelques jours plus tard, la jeune fille est diagnostiquée schizo...