Chapitre 12

13 3 2
                                    

Plus d'une heure était passée depuis mon cauchemar, mais je n'avais toujours pas pu retrouver le sommeil. La voix d'Eléonore retentissait en boucle dans mon esprit. Mon cœur tambourinait de toutes ses forces dans ma poitrine et ne semblait pas vouloir ralentir la cadence.

Mes méninges ne cessaient de se remuer dans tous les sens, je savais à qui appartenait cette voix, mais je ne savais pas qui était Eléonore. A chaque fois qu'une pièce du puzzle s'assemblait dans ma tête, celles qui l'étaient déjà se brisaient en mille morceaux. Je retournais inlassablement à la case départ avec bien plus de questions encore. Comment pouvait-on connaître le nom d'une personne en entendant sa voix mais ne pas se souvenir de qui elle est, de son visage, ni de ce qu'elle peut-être pour nous ? 

Je tournai la tête vers la photo de Camille posée sur ma table de chevet. D'ordinaire, voir son visage me permettait de m'apaiser après chaque cauchemar, mais ce soir, voir son visage était encore plus douloureux que tout. Elle m'avait laissé, elle était partie et je ne savais plus quoi faire pour la retrouver.Je commençais même à lui en vouloir d'avoir disparu, alors qu'au fond, je savais que ce n'était pas de sa faute.

Et puis cette voix m'éloignait de plus en plus de mon envie de la retrouver. Cette voix devenait au fil des secondes une véritable obsession, il fallait que je trouve les réponses à mes questions, alors Camille pouvait attendre. Elle m'avait laissé après tout. Il fallait que sache qui était Eléonore, mais surtout, je voulais savoir pourquoi cette voix hantait mes nuits depuis toujours sans que je ne puisse lui mettre un prénom dessus avant aujourd'hui.

Je regardai une dernière fois le cadre de Camille avant de le baisser lentement.

« Je suis désolée Camille... Je t'... Au revoir. »

Je m'habillai en toute hâte. Si cette voix avait retenti quand je tombais dans le vide, alors je n'avais peut-être pas d'autre choix que de donner vie à mon cauchemar. Je devais me laisser tomber, et enfin, je saurais.

**

// Point de vue de Camille //

« Qu'est-ce qu'il se passe !?

- Sortez de cette chambre Mademoiselle, laissez-nous faire notre travail ! »

L'infirmière de service me sortit sans ménagement de la chambre de Bridger. Je me retrouvai donc seule, dans le couloir désert et sombre en cette fin de nuit. L'hôpital me laissait rester la nuit, tout comme les parents de Bridger, alors je ne partais presque jamais. Je mangeais sur place, je dormais sur place, et je me lavais de temps à autre sur place.

Leur fils n'avait jamais eu de visite en dehors de la leur, alors malgré mon histoire loufoque au premier abord, ils n'avaient pas rejeté ma présence, bien au contraire. Je savais qu'ils s'accrochaient comme ils pouvaient au moindre espoir de revoir un jour les yeux bleus de leur fils, alors si me laisser vivre sur place pouvait aider même un minimum, ils l'acceptèrent sans hésiter. 

Malheureusement, aucune évolution n'avait eu lieu, Bridger était resté le même, parfois, il semblait même dépérir de plus en plus à vue d'œil. Au moins son coeur continuait de battre dans sa poitrine, alors nous gardions espoir. Nous nous raccrochions à ces petits battements un peu plus chaque jour.

Pourtant, ce soir il y avait enfin du changement, pas celui qu'on attendait, certes, mais c'était un changement inattendu.

A 3h05, son cœur s'était emballé de toutes ses forces. Les petits battements avaient laissés la place à une anarchie totale. Sa respiration aussi avait changé, elle était plus saccadée, plus douloureuse aussi. La sueur n'avait pas tardé à rejoindre le combo, et ses draps furent rapidement trempés, il était brûlant de fièvre tout en semblant mourir de froid en même temps.

J'avais terriblement peur pour lui, et les réactions des soignants n'aidèrent pas du tout à calmer mon angoisse. Les pires scénarios prirent place dans mon esprit. Je le voyais s'éteindre, nous quitter définitivement sans qu'on ne puisse lui donner un véritable au revoir. Ça ne pouvait pas se terminer comme ça, il ne pouvait pas partir maintenant, pas avant qu'on se retrouve.C'était encore trop tôt, pour lui, pour moi et pour nous.

Ses parents avaient déjà tant souffert, ils avaient perdu leur premier enfant de façon tragique et horrible à la suite de la folie meurtrière d'un frère et d'une sœur, pour une raison totalement obscure, presque folle.

Leur fille avait été la toute première victime de leur jeu macabre, ils avaient endeuillé tant de familles, et voilà qu'à cause de leurs actes, un autre enfant était dans le coma, en train de luter nuit et jour pour sa survie, et ce depuis des années.

Les parents de Bridger m'avaient tout raconté, en parler avec quelqu'un d'extérieur avait donner l'impression de les soulager au plus profond d'eux-mêmes.

Le jour de ses 8 ans, Bridger avait perdu sa sœur de la plus cruelle des manières. Alors qu'elle rentrait chez elle, elle avait été sauvagement torturée et assassinée par Tiffany et Adrien Hill, les plus horribles frère et sœur que la région avait connu depuis des décennies. Bridger ne s'était jamais réellement remis de cette perte. Lui et Eléonore avaient toujours été proches, complices même malgré leur grande différence d'âge.

Au fil des années, l'enfant avait grandi, mais cette horreur au-dessus de sa vie avait elle aussi grandi avec lui sans jamais lui accorder un seul jour de répit. Elle s'était accrochée à lui de toutes ses forces, comme une moule à son rocher et n'était jamais partie. Toute sa vie avait été détruite ce jour-là, et rien ni personne ne lui avait permis de surmonter ce traumatisme. Il s'était un peu plus enfoncé dans les abîmes, qui, pour beaucoup, n'existaient que par lui.

Il avait perdu beaucoup de ses amis, la plupart d'entre eux pensaient qu'il n'essayait pas de s'en sortir, qu'il cherchait son malheur en l'alimentant un peu plus chaque jour, comme un cercle vicieux que lui même maintenait fermement en place. Pour ma part, je pensais surtout qu'il ne savait pas comment le surmonter. Le traumatisme en lui était bien plus encré que ce que pensait les autres, ils n'avaient pas su voir sa détresse, ils n'avaient vu que de la lâcheté de sa part.

On dit qu'on voit qui sont nos vrais amis quand on souffre et c'était vrai. Je ne les connaissais pas, mais je leur en voulais, ils n'avaient fait que le juger, et sa tentative de suicide avait été son dernier appel au secours où, malheureusement, personne n'avait répondu présent.

Ses parents m'avaient dit que Bridger avait été très dur avec tout le monde autour de lui, très souvent, bien trop souvent même. Il avait peut-être cherché en partie sa solitude, mais devions-nous pour autant le blâmer et le rejeter pour ça ? Sa manière de demander de l'aide était discutable, mais c'était la sienne, et elle n'avait pas été comprise.

Autour de moi, le bal médical avait redoublé d'intensité, un nouveau médecin arriva en courant et entra dans la chambre rapidement. Avant qu'il ne referme la porte, j'eus le temps d'apercevoir la pâleur et la maigreur du corps de Bridger. Il donnait plus l'impression d'être mort que vivant.

Cette nouvelle crise était sans appel, Bridger avait un peu plus sombré de l'autre côté.

Sur le FilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant