Chapitre 8

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« Salut Bridger. »

Je sursautai de surprise tout en lâchant mon sachet rempli de tout petits pains à mes pieds et ne pu faire autrement que de regarder impuissant les canards venir manger, ou plutôt voler, avidement leur nourriture du jour avant même que je ne puisse véritablement la leur donner.

« Excuse moi, je ne voulais pas te faire peur... »

Je tournai lentement la tête, irrité, vers la personne qui venait de ruiner mon rituel de l'après-midi, et pourtant quand je vis ses boucles rousses voleter sous le souffle du vent ainsi que son tout petit nez retroussé, rouge à cause du froid ambiant, ma colère s'envola à son tour.

« Bonjour, ça ne fait rien Camille. Comment as tu su où me trouver ?

- Anna m'a dit que tu venais nourrir les canards tous les jours au parc, alors je suis venue et après avoir fait le tour durant plus d'une heure, je t'ai enfin trouvé !

- Je vois... Viens assied toi avec moi. »

Elle hocha la tête lentement sans cesser de sourire puis s'installa à côté de moi sur le banc. Du coin de l'œil, je vis son regard se perdre peu à peu au loin, sur l'étendu d'eau que nous offrait le lac.

« Tu voulais me parler de quelque chose Camille ? »

Elle retrouva ses esprits et se tourna vers moi en hochant la tête.

« Oui. J'ai vu qu'il y avait un parcours d'escalade à faire en dehors de la ville, je me suis dis que ce serait une bonne idée d'y aller, peut-être que ça t'aiderais... »

De l'escalade... Je n'étais pas certain que cela allait m'aider, mais pourquoi pas. De toute façon, quoi qu'il puisse arriver, passer du temps avec Camille me faisait du bien. J'aimais être avec elle, malgré le fait qu'on ne se connaissait qu'à peine, elle avait ce don d'apaiser les gens rien qu'en souriant. Près d'elle, j'oubliai cette souffrance face à l'ignorance.

**

Je frottai mes mains pleines de talc avant de souffler légèrement dessus pour en enlever le surplus, puis, une fois totalement sécurisé, je grimpai lentement sur la falaise. Camille était déjà au milieu du parcours et me faisait de grands gestes en riant comme une enfant. Au moins, elle était celle qui s'amusait le plus de nous deux.

À cause de mes nombreux cauchemars, je n'aimais pas être au dessus du vide, même solidement accroché par une code à la paroi rocheuse. Je pris une grande respiration avant de continuer d'escalader. Ce n'était pas le moment de me dégonfler, encore moins devant Camille.

À chacun de mes pas, je pouvais sentir sous mes doigts les tout petits grains du talc frotter entre ma peau et la roche à la fois lisse et tranchante. Je pouvais également sentir les perles humides au goût de sel couler le long de ma nuque pour finir leurs courses dans le creux de mes reins.

Un court mais intense frisson désagréable alarma mon échine. Au fond de moi, quelque chose n'allait pas, c'était comme si mon corps et mon instinct me hurlaient de redescendre de cette falaise et de retoucher le sol le plus rapidement possible pour être sain et sauf, mais ma fierté, elle, me disait de continuer de grimper, de rejoindre mon amie et de ne pas perdre la face devant elle.

Son sourire radieux qui m'attendait tout en haut de la falaise finit par totalement me convaincre de la rejoindre au sommet.

Je pris appuis sur de nouveaux reliefs pour continuer mon avancée. Je pouvais entendre ses encouragements et sa voix cristalline crier mon prénom depuis le ciel. Aller Bridger, une fois là-haut, tu seras fier de toi et tu pourras admirer la vue avec ton amie.

J'entendis un léger craquement dans la roche en posant mes doigts dessus mais ne m'en préoccupai pas le moins du monde. Quand se fut au tour de mon pied droit de se poser dessus, je compris que j'aurais dû au contraire y faire attention. Sous mon poids, cette partie là de la roche se brisa et je l'entendis s'écraser lourdement sur le sol avant de se briser en mille morceaux.

La gravité fit également son travail avec moi et je me sentis tomber dans le vide. Par chance, grâce à mon mousqueton et à la corde de sécurité solidement accroché par le moniteur avant que je ne commence mon avancée, j'eus la chance de ne pas suivre le même chemin que la roche quelques secondes plus tôt, droit vers le sol.

Malheureusement, à cause de l'élan de mon début de chute, je sentis ma tête heurté violemment la roche à travers mon casque, et puis se fut comme si j'étais déconnecté de la réalité, plus exactement, de cette réalité là.

En ouvrant les yeux, je me retrouvai en pleine nuit, sur le balcon, sur ce balcon qui hantait mes nuits depuis des mois déjà, perché au quatrième étage à observer l'épaisse couche de nuages pluvieux qui étaient apparue depuis maintenant plus d'une heure.

Derrière moi, je pouvais entendre des gens rires au milieu d'une musique forte et rythmée. Pourquoi s'amusaient-ils alors que moi je ne voulais que sombrer ? Sombrer inévitablement vers le sol qui semblait hurler un prénom que je n'entendais pas mais qui semblait être le mien, ou du moins, me semblait familier derrière cette sensation de flou ambiante.

Une fois de plus, je tirai une latte sur mon joint qui ne me quittait jamais dans cette réalité là, comme s'il ne faisait qu'un avec moi depuis toujours. J'en étais accroc, je le savais, mais je m'en fichais, rien n'avait d'importance, à quoi bon lutter contre quelque chose qui fait partie intégrale de vous ?

Puis, ce fut le moment de son arrivée, comme à chaque fois. Il était là, à me fixer et à me réprimander comme si je n'étais qu'un enfant de 5 ans avec son habituel air grave solidement plaqué sur son visage.

Encore une fois, la même et frustrante conversation, les mêmes remarques, les mêmes conseils, les mêmes mots. Je la connaissais par cœur, comme si je ne cessais de voir un film en boucle au point de le connaître sur le bout des doigts jusqu'aux différentes expirations des personnages, comme si je respirais avec eux.

À nouveau ce ciel, dépourvu d'étoiles et la fumée s'échappant de mes poumons pour s'envoler vers les cieux. Et puis je me sens me balançais, encore, le saut est proche, après tout je sais voler.

« Ne te balance pas ainsi *...*. Tu risques de tomber. C'est totalement... »

Inconscient de ma part d'être assis dessus ? Parce que nous sommes au quatrième étage ?

« Imagine si tu tombes ! »

C'était inlassablement les mêmes répliques comme une mauvaise série. Mais c'était peut-être ça l'idée ? Tomber justement, de toute façon, je connaissais déjà la fin de l'histoire.

Après tout je suis un oiseau, et les oiseaux volent.

Je me sentis à nouveau lâcher cette rambarde.

« Non ! Ne fais pas ça ! »

J'entendis mon rire fendre l'air, le sol ne cessait de me répéter de sauter, de le rejoindre, et que quand ce serait le cas, tout irait mieux, beaucoup mieux.

Je basculai en avant. Il ne devait surtout pas me retenir. Rien ne pouvait changer la fin de l'histoire, ni lui, ni moi.

« Tu verras ! Je vais voler ! »

J'entendis son cri d'horreur et là... Ce fut comme si la réalité me frappa de toute sa puissance. Cette fois, je savais ce qu'il avait crié. Je l'avais distinctement entendu. Et une intense souffrance grandit en moi, je ne pouvais y croire. 

« BRIDGEEEEEEER !!!!!!!! »

Et puis...

Un choc, puissant, une douleur pourtant si douce, un liquide chaud, un dernier râle et puis le vide...

**

Je rouvris les yeux. Une lumière aveuglante me les brûla tandis qu'une touffe de cheveux se jeta sur moi en pleurant.

« Bridger ! Tu es réveillé ! »

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