// Point de vue de Camille //
Après une interminable attente dans le couloir, les médecins avaient fini par accepter de me laisser retourner dans la chambre de Bridger, à la seule condition que je le laisse se reposer.
Ses parents venaient tout juste de repartir après être restés de longues heures au chevet de leur fils après cette nouvelle rechute, et selon eux, il fallait que Bridger ai un peu de repos dans ses visites. Je ne comprenais pas forcément pourquoi, Bridger était toujours dans le coma, que nous soyons présents ou non dans sa chambre, il ne le sentait peut-être même pas.
Le cœur de Bridger était reparti après une longue bataille acharnée. Quand les médecins crurent que c'était la fin, que nous l'avions définitivement perdu, son cœur était reparti, comme par miracle. Nous étions passés très près de le perdre.
Lentement, je pris place sur le fauteuil près de son lit. Depuis de longues semaines maintenant, ce fauteuil était mon plus fidèle ami, je connaissais le moindre centimètre de tissus par cœur à force d'y être assise ou de m'endormir dessus. Il était mon petite compagnon de fortune malgré lui.
Le plus délicatement du monde, je pris la main de Bridger dans les miennes, je ne devais surtout pas le briser, trop de choses l'avaient déjà fait par le passé et je ne souhaitais pas y contribuer d'avantage.
Sa peau était glaciale, jamais avant il n'avait autant ressemblait à un mort vivant, à un être dont la vie ne tenait plus qu'à un fil, où la mort et la vie se battait en duel pour savoir laquelle des deux gagnerait la bataille.
Il était bien plus pâle que d'ordinaire, bien plus maigre aussi, alors que je l'avais quitté moins d'une journée seulement. C'était comme si en l'espace de quelques heures, son corps entier avait sombré un peu plus dans les abîmes.
Pourtant, malgré tout, son visage semblait apaisé, serein, presque heureux. Son expression torturée avait laissé place à un semblant de sourire, léger certes, mais un sourire quand même, du moins, c'était ce que je voyais, peut-être ce que j'espérais au fond de moi.
L'absence des légères contractions musculaires au niveau de son visage lui donnait un air plus calme. J'avais comme l'impression que cette nouvelle crise l'avait changé, dans le bon sens du terme. Si le reste de son corps n'avait pas été si torturé et si fragile, on aurait presque pu croire qu'il dormait paisiblement.
Si seulement ça pouvait être le cas.
« Tu sais Bridger, il y a tellement de choses que j'aurais aimé te dire quand nous étions ensemble... Et ce soir... J'ai l'impression que je ne pourrais jamais réellement te les dire de vive voix, face à toi. Alors fait moi un signe, essaie de revenir. On a tous besoin de toi ici, j'ai besoin de toi.
Je n'oublierais jamais notre première rencontre, j'étais si effrayée, si choquée, et pourtant toi, tu es resté calme. Tu m'as patiemment aidé à me sentir mieux, tu as séché mes larmes sans me brusquer, jusqu'à ce que l'océan d'eau qui coulaient alors de mes yeux cesse enfin. Je me rappelle encore le goût qu'avait le chocolat chaud qu'Anna nous apporta ce jour-là, selon elle, tous les chagrins du monde pouvaient prendre fin lorsque nous en buvions une bonne tasse.
Je me rappelle encore chacune de tes blagues, de tes chansons et des rires de Kris qui les accompagnaient à chaque fois. Tu allais mal, tu étais perdu, et pourtant tu avais toujours la petite attention qui changeait tout, le petit sourire qui rendait mes jours là-bas plus légers.
Parfois tu te confiais, mais le plus souvent, tu écoutais. Anna, Kris et moi avons toujours eu besoin de toi, tu étais malgré tout, le plus solide d'entre nous, comme aussi le plus fragile.
Il m'arrive, certains jours, de regretter notre balade à cheval. Elle a pourtant été parfaite, idyllique et merveilleuse à tes côtés, mais parfois, je me dis que nous n'aurions jamais dû la faire. Peut-être que sans cette balade, je serais encore à tes côtés, dans cet autre monde. Peut-être que sans cette balade, mes souvenirs ne seraient jamais revenus. »
Je remis doucement ses cheveux correctement sur son front. Il était fiévreux contrairement au reste de son corps qui était toujours aussi glacé. Il allait mal, plus que nous le pensions.Nous nous agrippions de toutes nos forces à un espoir qui devenait de plus en plus infime à chaque nouvelle crise.
A cet instant, une boule se forma au creux de mon ventre, elle donnait l'impression d'être un boulet qui devenait de plus en plus lourd à chaque seconde.
Un boulet d'égoïsme.
Je voulais que Bridger revienne, mais est-ce que c'était réellement la bonne solution pour lui ? Égoïstement, ses parents, tout comme moi, voulions qu'il revienne, parce qu'ils avaient déjà perdu un enfant, parce qu'ils l'aimaient, parce qu'un nouveau deuil allait être horrible à surmonter pour eux, parce que je l'aimais de tout mon être et que je le voulais près de moi.
Aucun de nous n'avait réellement pensé à son bien-être à lui, à savoir si oui ou non, cette fois-ci il surmonterait la mort de sa sœur, à savoir s'il avait, lui aussi, envie de revenir.
Nous voulions décider pour lui, pour nous éviter toute la peine que sa perte allait causer dans nos vies. En réalité, nous ne voulions pas son bien, nous voulions le nôtre.
Mais lui dans tout ça, que voulait-il vraiment ?
Je me rassis lentement et repris sa main dans la mienne. Les choses étaient différentes maintenant, je sentais peu à peu le boulet en moi redevenir plus léger tandis que mon cœur s'alourdissait à son tour sous le poids de ma peine.La balance venait de se réajuster.
Je caressai du bout des doigts la peau glacée de Bridger, quelque chose au fond de mon âme me murmurer de le laisser partir, de l'accompagner et de le soutenir. Cette petite voix savait que c'était bientôt la fin, l'avait-elle toujours su ?
Non.
Je l'avais toujours su mais je l'avais refusé, parce que je l'aimais, parce que j'avais peur.
Et puis, dans un doux murmure, je laissai les mots franchir la barrière que formait mes lèvres depuis quelques minutes.
« Tu peux lâcher prise Bridger. Tu as le droit de lâcher prise. Personne ne t'en voudra. »
J'entendis un léger bip irrégulier au loin derrière moi, il semblait à la fois si loin et pourtant si proche.
« Mais surtout, n'oublie jamais que je t'aime et que tu resteras à jamais au fond de mon cœur. Alors n'aie pas peur. Tu as le droit d'être libre. »
Je me redressai à nouveau sur ma chaise et vint déposer en douceur mes lèvres sur les siennes. Dans ce monde, nous n'avions pas pu nous dire notre amour, ici je le pouvais, pour une dernière fois. Je pouvais l'accompagner et le soutenir, telle une amie, une amante.
Comme une réponse à mon baiser, je sentis ses lèvres se presser contre les miennes. Peut-être était-ce seulement le fruit de mon imagination, pourtant, je savais que je me raccrocherais à jamais à cette sensation, chaude et douce, remplie d'amour.
« Je t'aime Bridger. Pour l'éternité. »
Je gardais sa main dans la mienne alors que le bip autour de moi se fit plus fort, plus intense et plus assourdissant. J'entendais autour de moi les médecins entrer en courant dans la chambre, j'entendis le roulement d'une machine sur le sol, je les sentis me pousser hors de la pièce, tandis que mon cœur resta là, sur cette chaise, à profiter des dernières secondes près de Bridger, ce garçon rieur et plein d'humour, que j'avais connu dans cet autre monde.
Le Bridger dont j'étais tombée amoureuse, alors qu'il essayait de faire sauter des crêpes en l'air pour les retourner, qu'il faisait tourner Kris en l'air tout en imitant le bruit d'un moteur d'avion, qu'il faisait peur à Anna en se cachant toujours derrière le sofa, ou alors qu'il m'offrait son plus magnifique sourire quand nous étions dans notre cocon.
Maintenant, il était libre et c'était tout ce qui comptait pour moi désormais.
VOUS LISEZ
Sur le Fil
Mystery / ThrillerUn soir, deux personnes se donnent rendez-vous au restaurant. La première attend de longues heures la seconde devant deux chandelles qui disparaissent lentement sous un balai de flamme. La seconde ne viendra jamais. Les jours suivants, elle ne revi...