Chapitre 13

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// Point de vue de Bridger //

Les rues étaient désertes en cette fin de nuit, aucune ombre ne put me voir grimper par l'escalier de secours jusqu'au toit de l'immeuble. Comme en réponse à mon cauchemar, le ciel s'assombrit un peu plus au fil des secondes, la pluie n'allait pas tarder à tomber. Le vent était également plus froid que d'ordinaire en cette période. Tout me ramener à cette nuit-là.

Une fois sur le toit, je parcourus les derniers mètres me séparant de la barrière en courant. A cette petite hauteur le vent était plus que glacial, plus intense aussi, comme s'il était un mur de glace essayant d'arrêter ma course à tout prix, mais ce soir, rien ne pouvait m'arrêter.

Quatre étages s'élevaient au-dessous de moi. Toutes les conditions étaient enfin réunies. Ma stratégie était simple, j'avais entendu sa voix en sautant, alors recommencer maintenant pouvait peut-être m'aider à l'entendre à nouveau, mieux encore, à savoir pourquoi elle me hantait à ce point.

Je me penchai légèrement au-dessus de la barrière pour regarder le sol. J'entendais mon cœur battre de plus en plus fort à chaque seconde. J'avais une boule au fond de la gorge qui ne cessait de grossir, ainsi qu'un énorme poids dans l'estomac qui semblait presque peser une tonne. J'étais tétanisé à l'idée de sauter, pourtant j'en avais l'habitude... Je faisais le grand saut chaque nuit après tout.

Lentement, j'enjambai la barrière en la tenant fermement entre mes doigts, il ne fallait pas que je prenne le risque de chuter malencontreusement avant d'avoir pu prendre la décision tout seul. Un seul petit geste de travers pouvaient anéantir la validation de toutes les conditions propices à mon cauchemar. Je m'assis ensuite sur la barrière, sans la lâcher, bien au contraire, ma poigne autour d'elle se faisait de plus en plus forte.

Je sentis mon souffle se bloquer dans ma poitrine quand mes yeux se posèrent sur le vide. J'avais l'impression d'avoir le sol à des centaines de kilomètres de moi, comme si je venais de l'espace et non plus d'un toit. Chaque détail me paraissait bien trop lointain. Monter sur cette barrière avait alourdit quelque chose en moi, j'avais même l'impression que tout autour de moi avait grandi, était devenu effrayant.

Jamais dans mes rêves je n'avais ressenti cela, bien au contraire. A chaque fois, sauter était pour moi une libération, un abandon de cette douleur qui ne me quittait jamais, un nouveau départ, mais cette fois, ce n'était le cas. Je me sentais lourd, apeuré et surtout, hésitant.

Sauter était-il réellement la solution à tous mes problèmes ?

Oui ...

... Enfin ...

... Peut-être pas ...

... Si, pour l'entendre encore ...

... Non, Anna et Kris t'attendent ...

... Si, tu dois l'entendre encore ...

... Camille a besoin de toi ...

... Elle m'a laissé, je veux l'oublier ...

... Alors saute ...

... Oui saute.

Je secouai la tête pour faire taire ces voix en moi. Elles devaient me laisser tranquille, me laisser choisir.

Pourtant, l'une était plus forte que l'autre, plus intense, plus présente. Elle voulait que je saute.

Je devais le faire, je devais prendre mon courage à deux mains et sauter. Eléonore reviendrait, je la retrouverais, c'était tout ce qui comptait, tout le reste n'avait plus d'importance désormais. L'absence de Camille était trop lourde à porter, Anna et Kris seraient bien plus heureux sans moi. Je ne serais plus là pour gâcher leur bonheur avec mes jours sombres. Ils pourraient avancer ensemble, tranquillement.

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