Chapitre 14

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« Anna ! On te le jure ! On a vraiment vu cet homme disparaître ! »

Depuis plus d'une dizaine de minutes, Camille essayait tant bien que mal d'expliquer à Anna ce que nous avions vu, plus exactement, elle essayait de convaincre Anna, qui vraisemblablement, refusait de nous croire. Elle secouait la tête dans tous les sens en répétant inlassablement que nous nous trompions, que nous avions mal vu et qu'il était scientifiquement impossible qu'une telle chose ai pu se produire.

« Vous dites n'importe quoi ! Un homme ne peut pas disparaître de la sorte ! Nous ne sommes pas dans un film de sciences fiction ! »

Le pire, c'est qu'elle avait totalement raison. Moi-même j'avais énormément de mal à comprendre et à admettre ce que j'avais vu. Ce vieil homme avait véritablement disparu, et si Camille n'avait pas vu la même chose que moi, je serais allé sans hésiter un seul instant à l'hôpital psychiatrique le plus proche pour me faire examiner de toute urgence.

Après avoir vu ce vieil homme disparaître, nous nous étions levés pour aller là où il était quelques secondes avant de ne plus y être. Il n'y avait plus aucune trace de lui, seulement sa canne à pêche et son petit panier en osier où trônait encore une pomme verte, un quignon de pain et un petit morceau de saucisson au poivre. Lui, n'était plus là. Le vent l'avait emporté dans sa brise en ne laissant plus aucune trace de lui.

Nous n'étions pas fous. Il était bien là quelques secondes avant puisque ses affaires y étaient encore. Elles n'étaient pas venues d'elles-mêmes par magie, cette idée était encore plus saugrenue que celle de l'évaporation d'une personne devant nous à mon sens. J'espérais avoir rêvé, avoir eu une vision, un cauchemar ou je ne sais quoi encore, pourtant ce n'était pas le cas, nous étions deux à l'avoir vu et aucun de nous n'avait bu de l'alcool ou encore pris de la drogue.

« Tu as fait une poêlée de champignons hier soir, c'est surement à cause de ça. Vous en avez mangé tous les deux. C'était une vision hallucinogène voilà tout !

- Anna, soit réaliste. Si c'était vraiment ça, on l'aurait eu bien plus tôt. Une vision de ce type arrive dans les minutes qui suivent, voir les heures, mais pas autant de temps après !

- Une personne ne peut pas disparaître ainsi en quelques secondes ! C'est un fait scientifique ! Réfléchis Camille !

- Anna ! Ce qu'on a vu peut expliquer toutes les disparitions qu'il y a eu ! Tu sais autant que moi qu'ils ont tous disparus sans laisser de traces ! Nous n'avons jamais rien trouvé pouvant expliquer ces faits !

- Une autre explication est possible je vous dis !

- Maman... Tata... Pourquoi vous criez... »

On se tourna tous en même temps vers Kris qui venait de nous rejoindre en frottant ses petits yeux encore tout endormi. Nous venions de le réveiller par nos cris dans la cuisine. Anna alla aussitôt le prendre dans ses bras et le berça contre sa poitrine doucement.

« Pardon mon cœur...

- Pourquoi vous diputez ?

- Disputer mon cœur, disputer. On ne se disputez pas. On parlait juste.

- Tu mens...

- Viens, je vais te recoucher. »

Anna coupa court à la conversation et partit avec Kris dans sa propre chambre. Nous entendîmes quelques secondes après leur départ, la porte légèrement claquer, puis Camille poussa un long soupire en s'asseyant sur une chaise. Elle leva vers moi un visage dépité et déçu.

« Elle ne nous croit pas...

- Il faut la comprendre... C'est assez dur d'imaginer une telle chose... Voir des gens disparaître n'est pas normal. Je comprends qu'elle réagisse ainsi.

- On est ses amis et on croit toujours ses amis Bridger.

- Pas toujours malheureusement. »

Je m'assis près d'elle et pris sa main dans un geste que je voulais apaisant, mais elle se leva et détacha sa main de la mienne avant de quitter à son tour la pièce sans un mot. Cette fois, ce fut à mon tour de soupirer, seul dans la cuisine, à contempler un trio d'orange posées dans une coupelle en plastique bleue au milieu de la table.

Au lieu de partir me coucher, je pris la décision de sortir me promener. Je n'avais pas vraiment envie de rester ici. Au fond de moi, je leur en voulais un peu pour cette dispute et cette froideur installée entre nous. J'en voulais surtout à Anna de mettre en doute notre parole, alors que nous étions amis.

La nuit était sombre ce soir. L'absence de la lune se faisait sentir dans les rues vides malgré l'éclat des multiples lampadaires qui surplombaient chacun de mes pas dans le silence nocturne, du moins durant quelques minutes avant qu'une vieille dame ne m'interpelle.

« Bonsoir jeune homme. Que fais-tu dehors à une heure aussi tardive ? »

Je m'arrêtai à son niveau en la détaillant lentement. C'était une vielle dame au style vestimentaire un peu différent des autres. Elle portait un chapeau qui semblait être d'un rose assez vif. Mais le plus étonnant était les dizaines de fleurs colorées accrochées dessus. On aurait presque dit un petit jardin mobile. Elle tenait dans sa main droite une canne qui brillait sous l'éclat de la lumière artificielle près du banc où nous étions. Sur sa canne, il y avait un petit papillon turquoise qui donnait l'impression d'être vivant et de m'observer du coin de l'œil.

« Je prend un peu l'air.

- Tu sembles bien songeur mon garçon. Assis toi et dis-moi tout. »

Étonnamment, je n'hésitai pas un seul instant et m'assis près d'elle. Elle semblait si douce et si apaisante, comme une grand-mère aimante. Elle me tendit une boite contenant des petits sablés en me souriant. Je la remerciais avant d'en prendre un et de le croquer. Aussitôt, mes pupilles pétillèrent sous l'intensité du citron. Ce sablé était délicat et puissant à la fois. Étrangement, il m'était presque familier.

Ma nouvelle compagnonne de route attendit patiemment que je termine mon sablé pour que je lui raconte ensuite toute l'histoire. Elle me ne me coupa pas une seule fois. Durant tout mon récit, elle me regardait avec des yeux doux et chaleureux, sans oublier son sourire remplit de bienveillance.

« Tu sais mon garçon... Je vis ici depuis si longtemps... Que j'en ai vu des choses plus loufoques les unes que les autres... Alors ce que tu me racontes ne m'étonne pas vraiment...

- Qu'avez-vous vu par le passé ?

- Très souvent, il m'arrive de me promener la nuit. Je trouve ce moment de la journée très apaisant. Parfois, je rencontre des gens comme toi, qui se promènent pour libérer leurs esprits. Beaucoup d'entre eux me racontaient leurs cauchemars qu'ils faisaient au même moment qu'ils me parlaient et au loin, il y avait toujours une ombre qui nous observait avant de disparaître comme une poussière d'étoile.

- Comment est-ce possible... ?

- Je ne sais pas mon garçon. Ici, tout n'est que mystère...

- Il y a surement une explication à tout cela.

- Il se fait tard mon garçon. Rentre donc. Je te souhaite une bonne fin de nuit. »

La vieille dame se leva lentement et s'éloigna sans rien ajouter de plus. Je l'observai partir, en restant assis sur le banc encore quelques instants. Je la suivis du regard jusqu'à la voir tourner dans une autre rue.

Mon regard continua de se porter au loin, vers le coin de la rue. Je plissai légèrement les yeux et finis par apercevoir une silhouette qui m'observait dans l'ombre. Je n'eus pas le temps de dire un mot avant qu'elle ne s'évapore vers le ciel, comme si sa vision n'avait été qu'un simple mirage.

Distraitement, je baissai les yeux sur ma montre.

Il était 3h06 du matin.

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