Chapitre 14

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« Eléonore ! Attend ! »

Je la rattrapai tant bien que mal dans la rue. J'étais à deux doigts de la crise d'angoisse, de l'arrêt cardiaque ou de n'importe quoi d'autre, tant mon cœur battait fort dans ma poitrine. Je n'arrivais toujours pas à assimiler sa présence, tout ça était encore trop flou pour moi. Je venais tout juste d'avoir enfin une réponse que quarante nouvelles questions se bousculaient maintenant dans ma tête. Chacune d'entre elles voulait être la première à franchir mes lèvres, à passer la barrière, comme si la patience n'était plus dans la course, assommée sous leurs poids. Je me sentais presque défaillir à chaque pas que je faisais, mes jambes me portaient encore mais je sentais qu'elles pouvaient elles aussi lâcher à tout moment.

« Tu es ma grande sœur n'est-ce pas ?

- Oui Bridger.

- Alors pourquoi je ne me souviens pas de toi ? Pourquoi je ne me souviens de rien ?

- Sais-tu où tu es actuellement ? »

Je secouai la tête, j'avais enfin arrêté de courir, désormais nous marchions doucement. La pluie n'avait finalement pas montré le bout de son nez, le ciel s'éclaircissait à vu d'œil, au fur et à mesure du levé du soleil. La nuit touchait à sa fin.

« C'est ici que vivent les personnes comme toi.

- Comme moi ?

- Celles qui sont dans le coma. »

Je me sentis m'arrêter plus que j'en eu conscience. De quoi parlait-elle ? Je n'étais pas dans le coma, j'étais là, devant elle, à lui parler, à l'entendre, à la voir, je ne pouvais pas être dans le coma. Comme si elle entendait mes pensées, elle reprit la parole.

« Si tu l'es. Cette nuit-là, tu as sauté petit frère.

- Je n'ai pas pu faire ça, je ne l'aurais jamais fait.

- Tu n'étais pas toi-même. La drogue nous fait perdre peu à peu nos repaires et notre raison. Avec elle, tu avais tout perdu, tu n'étais plus ce petit garçon pleins de vie qui faisait rire tout le monde à longueur de temps. Tu es devenu peu à peu l'ombre de toi-même, puis l'ombre de cette même ombre.

- Pourquoi... Ai-je fais ça ?

- Parce que tu étais malheureux. Parce que tu n'as trouvé que cette solution pour oublier ton fardeau. Viens, assieds-toi avec moi. »

Elle prit place sur un banc, je ne me fis pas prier pour la rejoindre, je sentais mes jambes devenir de plus en plus lourdes au fur et à mesures de ses révélations. Alors, ce n'était pas un cauchemar, c'était un souvenir, c'était mon subconscient qui essayait par tous les moyens de me faire retrouver mes souvenirs, de me montrer qui j'étais vraiment. 

Lentement, Eléonore prit ma main et la serra avec douceur entre ses doigts. Sa peau était douce, chaude et si rassurante à la fois. Je sentis mon cœur s'alléger dans ma poitrine, cette chaleur était si familière, comme un sentiment heureux qui m'avait depuis bien longtemps quitté et que je venais tout juste de retrouver.

« De quel fardeau parles-tu ... ?

- Alors tu ne te souviens vraiment de rien ?

- Non... Seulement de ta voix et que tu sois ma sœur, le reste est totalement flou pour moi.

- Je vois... Alors je vais tout te raconter. »

Jusqu'à l'âge de 8 ans, j'étais un petit garçon épanoui et pleins de vie. J'aimais aller à la pèche et jouer à cache-cache dans le grenier dans l'un des innombrables cartons rangés là-haut. Pour mes 5 ans, j'avais eu un chien, il s'appelait Tomy et c'était mon meilleur ami. Son pelage était tout blanc, enfin presque, sur son museau, il y avait une unique tâche noire en forme de poire, juste au-dessus de sa truffe. Mon père nous surnommait Flèche et Tâchon, le duo le plus infernal de tous les temps. Nous adorions nous rouler dans les flaques de boue, tout juste après la fin d'une averse, lorsque l'air avait encore cette douce odeur humide. Ma mère nous courrait après à chaque fois pour nous arrêter, tandis que ma sœur riait aux éclats derrière elle, et puis comme à chaque fois, elle nous attendait avec une serviette propre pour nous porter jusqu'à la baignoire, où un bon nettoyage était de mise.

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