Malgré la saison, un vent désagréablement froid me frappa en plein visage pour se glisser dans le col de mon tee-shirt quand je sortis de la maison. Je remontai la fermeture éclair de ma veste et me mis en route vers le parc sans attendre, je voulais éviter qu'Anna ne sorte me retenir, si elle avait par malheur, entendu la porte se refermer.
Les rues étaient déjà presque toutes vides en dépit de l'heure pourtant loin d'être tardive. Parfois, il m'arrivait pourtant de croiser un couple sortant d'un restaurant, ou encore un groupe d'amis chantonnant joyeusement sur la terrasse d'un bar.
Nous aussi nous aurions pu être ces groupes. Nous aussi nous aurions pu être en train de chanter d'un ton atrocement faux tout en préparant un yaourt de paroles, mais malheureusement, ce ne serait plus jamais nous, nous ne serions plus ce trio que j'affectionnais tant.
Le parc était presque tout aussi vide que les rues, seuls quelques couples étaient couchés dans l'herbe, à s'embrasser, ou des promeneurs tirant en laisse un chien plus ou moins obéissant, jouant avec des bâtons ou des ballons. En dehors des aboiements des chiens, le parc était plutôt calme cette nuit, ce qui était rarement le cas.
Sans vraiment m'en rendre compte, mes pas me menèrent là où le vieil homme avait disparu, peu de temps avant la propre disparition de Camille. Ses effets personnels n'étaient plus là, quelqu'un était venu les chercher il y a très peu de temps au vu des traces, encore bien présentes dans l'herbe, de la canne à pêche et de son petit panier.
Mon regard se perdit dans l'immense étendue d'eau face à moi. Le ciel étoilé se reflétait sur le lac tel un tissus aux milles et une lumières qui semblaient scintillaient de concert avec les battements de mon cœur. Au milieu de l'étendue, la lune semblait avoir pris quelques kilos dans son reflet pour la rendre plus imposante, plus ronde, plus hypnotisante encore qu'elle ne l'était déjà.
« Tu sembles bien songeur mon garçon. »
J'avais déjà entendu cette phrase, mais surtout je reconnaissais cette voix, au ton sage et légèrement tremblant par la vieillesse. Je n'eus pas le besoin de tourner la tête pour apercevoir du coin de l'œil la vieille dame prendre place à mes côtés. Son acolyte aux ailes bleues trônait toujours fièrement au sommet de sa canne, il avait encore cet air qui le rendait vivant, presque comme s'il allait s'envoler d'un instant à l'autre pour nous laisser là, face à nos songes les plus sombres.
« Bonsoir Madame. »
Je me tournai enfin entièrement vers elle et remarquai que ce soir, elle n'avait plus son chapeau jardinier. A la place, elle avait une longue tresse grise qui se balançait le long de son dos pour se poser de manière très élégante au-dessous de ses reins. Elle dû surement apercevoir mon regard étonné face à l'absence de son chapeau puisqu'elle reprit la parole en souriant avec une extrême douceur.
« Il est en train de sécher. Il faut bien que je le lave de temps en temps, après tout, les fleurs ont régulièrement besoin d'eau. »
Je ne pus m'empêcher de sourire face à sa dernière remarque, elle n'avait pas vraiment tort, même s'il s'agissait d'un chapeau et non d'un véritable jardin, mais qui étais-je pour juger les coutumes, même si elles me paraissaient loufoques, des autres ?
« Pourquoi cet air si triste mon garçon ?
- Mon amie a disparu.
- La jeune fille aux boucles de feu ?
- Oui. Comment la connaissez-vous ?
- Oh tu sais, je l'ai déjà rencontrée à de très nombreuses reprises. Une jeune fille remarquable cela dit et très jolie qui plus est. »
Elle émie un petit son presque approbateur avant de marmonner dans sa barbe une phrase percutante : « Il était temps ». Cette remarque m'interloqua, je ne comprenais pas pourquoi elle venait de dire ça.
« Qu'avez-vous dit ?
- Qu'il était temps mon garçon.
- Pourquoi dites-vous ça ?
- Elle est enfin rentrée chez elle voyons.
- Pardon ? Chez elle !?
- Oui, chez elle, et tu ferais mieux d'en faire autant mon garçon. Mieux vaut ne jamais s'attarder loin de chez soi et de ceux qui nous chérissent. »
Je n'eus pas le temps de répondre avant que son doigt ne se pose sur mes lèvres de manière très autoritaire.
« Elle va bien. Elle va mieux. Maintenant, concentre-toi sur toi-même et trouve la lumière avant qu'il ne soit trop tard mon garçon. »
Elle retira lentement son doigt de mes lèvres et me souhaita une agréable fin de nuit avant de disparaître derrière les arbres. J'entendis encore de longues minutes les bruissements de ses pas dans le gravier ainsi que les coups de sa canne se posant sur le sol à chaque mètre qu'elle faisait.
Une voix intérieure me disait de la rattraper, de lui poser d'autres questions pour comprendre ses mots qui n'étaient à mes yeux qu'une longue énigme trop difficile à résoudre, comme celle que nous pouvions entendre dans les films alors que le héros essayait tant bien que mal de surmonter l'épreuve qu'il avait face à lui. Pourtant, je restai planté là, face à l'eau, incapable de n'esquisser ne serait-ce qu'un début de mouvement.
Dans mon esprit, une autre voix me répétait en boucle que Camille allait mieux et c'était réellement à mes yeux le plus important, ce qui comptait le plus. Savoir qu'elle allait mieux m'enlevait une partie du poids qui pesait sur mes épaules. Peut-être que notre présence ici avait véritablement un but, que nous n'étions pas ici par pur hasard, ou parce que nous avions était choisi mais plutôt pour une raison qui ne nous appartenait pas, comme un évènement qui avait échappé à notre contrôle, comme un mauvais coup du destin.
Je relevai la tête vers la lune dans l'espoir qu'elle réponde à mes nombreuses interrogations, cependant elle resta silencieuse en me regardant à son tour comme si elle pouvait lire en moi.
A cet instant, la seule idée qui me réconforta était celle que si Camille allait mieux, elle était peut-être en train de partager la même lune que moi, alors je lui fis une promesse : je la retrouverais quoi qu'il puisse m'en coûter.
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Sur le Fil
Mystery / ThrillerUn soir, deux personnes se donnent rendez-vous au restaurant. La première attend de longues heures la seconde devant deux chandelles qui disparaissent lentement sous un balai de flamme. La seconde ne viendra jamais. Les jours suivants, elle ne revi...