Chapitre 3

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Aujourd'hui, en me levant, je me sentais encore plus épuisé que d'habitude. J'avais les jambes lourdes et le monde autour de moi ressemblait à un monde de coton tant ma vision était floue. Le reste de ma nuit, à la suite de mon cauchemar, avait été tout autant agité que le début et la fatigue se faisait désormais ressentir. 

Pourtant, je n'avais plus envie de dormir, je souhaitais simplement quitter mon lit et faire en sorte que la journée se déroule le plus vite possible pour pouvoir dormir cette nuit d'un sommeil profond à souhait. Faire continuellement ce cauchemar depuis plusieurs semaines était en train de me rendre fou. Je n'en pouvais tout simplement plus. Le manque de sommeil réparateur allait finir par avoir raison de moi.

Ce matin, j'avais très envie de voir Anna alors au lieu d'aller comme chaque matin au musée, je pris la direction du café où elle travaillait. Elle seule comprenait la souffrance que j'endurais depuis quelques temps déjà car elle même l'avait vécu à son arrivée ici mais, par chance, elle avait réussi à la surmonter et j'espérai qu'elle puisse m'aider à le faire aussi.

Anna était une femme forte, aux épaules solides malgré sa corpulence fine qui paraissait fragile. Je ne l'avais jamais vu triste et pourtant, nous avions partagé de longs moments ensemble à nous raconter nos vies actuelles tout en recherchant nos vies malheureusement disparues car même si nous ne nous souvenions pas d'elles, nous savions qu'elles avaient existé. Après tout, on ne naît pas à l'âge adulte si ?

Anna, elle, ressentait un vide profond en elle, comme si quelque chose lui manquait, alors elle avait décidé de compter les jours depuis son arrivée, chose que moi je n'avais pas faite. Elle était ici depuis exactement 197 jours. Compter les jours avait eu le don de l'apaiser, elle se rattachait à ça pour avancer et se dire qu'un jour, elle finirait bien par savoir et surtout par comprendre les raisons qui nous avait relié ce monde.

À plusieurs reprises, j'étais allé chez elle, dans son petit appartement au look assez moderne ce qui était totalement différent du mien qui était assez vieillot, voir presque délabré. Chez elle, les couleurs qui primaient le plus étaient le rouge, le noir et le blanc, ce qui donnait un rendu plutôt sympathique et surtout chaleureux. On se sentait tout de suite chez nous dans son petit salon. Anna était féru de décoration et tout était bien accordé entre eux, il n'y avait aucune fausse note ni aucune faute de goût dans toute sa décoration. Tout était absolument somptueux.

Nos petites soirées en tête à tête avaient lieu généralement le soir des jours où Anna ne travaillait pas. Ces soirées là étaient vraiment importantes pour moi car ici, je n'avais plus qu'Anna et pouvoir partager des moments de joies avec elle était une véritable bouffée d'oxygène. Elle était pour moi comme une grande sœur, une amie, une confidente. Je savais que sans elle, je serais perdu ici.

Nos soirées se résumaient à manger beaucoup de frites au fromage fondu et de glaces devant une infinité de films ou de séries. Au fil de celles-ci, nous nous étions découvert une passion commune : les films d'horreurs, alors à chaque fois durant le repas, nous en regardions un avant de regarder une série. C'était notre petit rituel : frites au fromage fondu devant un bon film d'horreur et le dessert était souvent réservé pour les séries ou pour un film beaucoup plus calme, car il fallait bien se l'avouer, même si nous adorions regarder des films d'horreur dans le noir, après en avoir vu un, nous ne faisions plus les fiers et au moindre petit bruit un peu trop suspect ou même totalement anodin, nous nous affolions comme deux enfants ayant peur que le croque-mitaine n'arrive pour les emporter dans les ténèbres.

C'était ce genre de petits moments là que j'aimais énormément partager avec elle. En sa présence, tout semblait si simple, comme si la dure réalité n'était plus présente. Nous pouvions être nous-même et surtout, chacun savait qu'il pouvait compter sur l'autre à tout moment.

Cette expérience, tout aussi désagréable soit-elle, m'avait au moins apporté une chose bénéfique. Grâce à elle, Anna était entrée dans ma vie et je savais que j'avais gagné une amie en or, une grande sœur. Alors même si je souffrais intérieurement, avec elle, j'étais à nouveau heureux.

Je n'étais pas le seul ici à ressentir une certaine tristesse, c'était idiot pourtant. Tout était parfait ici. Les gens étaient agréables, le paysage était splendide, la nourriture délicieuse. Il n'y avait aucun crime, nous ne savions même pas ce que c'était. À travers les films que nous pouvions voir, nous avions pu découvrir des éléments qui nous étaient totalement inconnus jusqu'alors. Prenez par exemple le meurtre. Ici il n'y en avait jamais et personne ne connaissait ce mot avant de voir un film. La première fois que j'ai vu un homme en tuer un autre, c'était sur mon petit écran, dans mon salon, une assiette de chou-fleur gratiné sur les genoux. 

Il y a aussi le monde de l'argent. Dans les films, nous pouvions voir que l'argent était le grand moteur de la société, pourtant, chez nous ce n'était pas le cas. Nous avions tous le même montant d'argent chaque début de mois pour vivre. Il n'y avait pas de riche ou de pauvre ici, nous étions tous égaux. Il n'y avait pas cette inégalité présente dans nos écrans. Nous n'arrivions même pas à comprendre pourquoi cette inégalité pouvait exister.

Cet argent nous arrivait tout simplement dans nos boîtes aux lettres chaque début de moi. Comme ici il n'y avait pas de jour ou de mois fixé, nous avions simplement compter les jours entre chaque réception d'argent. Tous les 30 jours nous recevions notre enveloppe. Alors ces 30 jours étaient tous réglés comme une horloge. 

Ce qui était sûr, c'était que notre vie était bien plus agréable à vivre, nous étions en sécurité ici. Mais est-ce que cette sensation de sécurité et de bien-être pouvaient suffire à nous rendre pleinement heureux ? Dans mon cas non. Malgré tout ce bonheur ambiant et cette sécurité, je voulais me souvenir.

Parfois, il m'arrivait d'aller assister à une réunion des personnes s'étant souvenus de leurs vies. Ces réunions avaient toutes lieu tous les cinq jours à 17h30. Le plus souvent, les gens se rappelaient de certains détails de leurs vies, d'un membre de leur famille en particulier, d'un ami, ou d'une passion. C'était encourageant de les entendre nous raconter tout ça, car si eux pouvaient le raconter et se souvenir, nous pouvions tous y arriver un jour.

Cependant, ici tout n'était pas parfait. De nouveaux gens arrivaient parfois, avec les « anciens », nous disions qu'ils étaient tombés du ciel, mais ce n'était pas ça le problème. Il arrivait aussi que les gens disparaissent subitement et ceux qui disparaissaient, ne revenaient jamais. Ils étaient tout simplement introuvable. À force, une légende urbaine avait vue le jour ici.

Quand une personne disparaissait ainsi, nous disions que le « Ça » les avaient dévorés. Le « Ça » n'avait pas vraiment de signification particulière. Pour certains, il était une métaphore se rapprochant du néant, pour d'autres il s'agissait d'un monstre tout droit sortir des abysses qui venait pour vous dévorer la nuit. Pour moi, c'était simplement une raison inexpliquée qui conduisait à la disparition de ces personnes et au fond, j'avais peur qu'un jour je fasse moi aussi partis de "ces personnes".

Malgré la peur, des habitants avaient décidé de mener leur propre enquête pour découvrir pourquoi tous ces individus disparaissaient mais aussi où ils pouvaient bien être car on ne pouvait tout simplement pas disparaître ainsi sans laisser de trace. Pourtant, ils n'avaient jamais rien trouvé. Rien, absolument rien, aucun indice. C'était comme si ces gens là n'avaient jamais existé, comme si en s'évaporant, tout était partit avec eux. C'était notre petit mystère à nous. Tout ne peut pas être parfait n'est-ce pas ?

Ce matin, il faisait assez froid dehors alors je me couvris d'une veste assez épaisse et d'une écharpe rouge. Sur les murs, il y avait une nouvelle affiche. Une autre personne avait disparu dans la nuit sans laisser de trace. Je m'approchai de la feuille accrochée pour voir de qui il s'agissait. Une vieille femme aux cheveux grisonnant et au pattes d'oies bien prononcé était en train de sourire de ses dernières dents. D'après le nom sous la photo, elle s'appelait Célestine. Cette vieille dame venait donc de rejoindre la longue liste des personnes déjà disparue. 

Je pris la direction du petit café Coffee and Cie sous un ciel blanc en refermant un peu plus mon manteau contre moi. Je voulais retrouver Anna le plus vite possible désormais. J'avais besoin de la voir et de me confier à elle.

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