« Maman, tu sais que tu peux partir une heure pour te reposer ? Je ne vais pas m'envoler.
- Chut tais toi Camille. Je ne te laisserais pas avant le retour de ton père. »
Je soupirai en levant les yeux au ciel. Depuis mon réveil, trois jours avant, ma mère ne m'avait pas laissée un seul instant à part quand elle avait besoin d'aller aux toilettes ou quand les infirmières venaient faire mes soins, dans ce cas précis, elles devaient batailler pendant de longues minutes pour que ma mère accepte enfin de sortir cinq malheureuses petites minutes dans le couloir, là où elle ne pouvait plus m'avoir sous les yeux et je savais que c'était une déchirure pour elle. Même si je comprenais sa réaction, je n'en pouvais plus, elle m'étouffait.
Mon père de son côté était resté toute une journée avec moi avant de reprendre le travail, il ne pouvait pas poser de congés aussi soudainement alors qu'il était en pleins procès, ce qui était loin de plaire à ma mère. Quant à moi, je le comprenais parfaitement et n'en était pas vexée, au moins, je pouvais me reposer un peu, bien que ma mère se chargeait de faire le travail pour deux à me demander chaque minute si tout allait bien, si je n'avais pas mal quelque part, si j'avais faim, et j'en passe.
J'étais heureuse de la voir, de la sentir près de moi, mais par instant je voulais souffler un peu, être tranquille et surtout j'avais besoin de comprendre et de digérer ce qui s'était passé.
A mon réveil, une fois que ma crise d'angoisse avait disparue, je n'avais pas appelé mes parents en premier mais Bridger. Macy, l'infirmière qui était entrée dans ma chambre ce jour-là, l'avait entendu et avait demandé à mes parents d'appeler le « fameux » Bridger. Bien entendu, ni mon père, ni ma mère ne savait qui il était, ils ne le connaissaient pas. Aucune personne de mon entourage ne le connaissait.
Ils me demandèrent de qui je pouvais bien parler, alors je leur avais expliqué et malgré l'immense espoir que j'avais en moi, ils ne me crurent pas et maintenaient dur comme fer que ce n'était qu'un simple rêve.
Pourtant, ils se trompaient. Bridger n'était pas un rêve. Ni Anna, ni Kris.
Tout ce que nous avions vécu ensemble ne pouvait pas être un rêve, c'était bien trop réel ! J'avais eu les réponses à toutes nos interrogations. Toutes ces coïncidences pointaient toutes dans la même direction.
Il y avait deux mondes.
Le leur et le mien.
Tout s'expliquait enfin. Nous ne nous souvenions plus de nos familles, de nos vies avant de nous réveiller là-bas pour une simple raison : nous étions dans le coma. Avant de revenir ici, je m'étais senti disparaître, tout comme, certainement, les nombreux portés disparus dans l'autre monde. Il n'y avait que deux solutions possibles dans ce cas-là : en disparaissant, on revenait dans ce monde ou alors on disparaissait à jamais en perdant la vie alors que notre cœur cesserait de battre.
Ce monde me rappelait de nombreuses histoires mettant en scène un aéroport, ou encore une gare, où les héros avaient un billet de retour, ou bien fatal, qui leur indiquait la direction à prendre pour leur avenir.
Ce que nous avions vécu était véritablement différent, nous n'avions aucun billet ni aucun avion, juste une énorme ville qui s'étendait à perte de vue, de nouveaux arrivants, de nombreux disparus, mais surtout nous avions un semblant de vie normale presque parfaite sans haine et sans douleur.
Parfois en me réveillant en pleine nuit, je ressentais l'immense espoir d'y retourner, de retrouver cette vie qui me manquait, mais surtout de retrouver mes amis. Ici, j'avais certes mes parents et ma propre vie, je ne pouvais pas le nier, pourtant, je ne me sentais plus à ma place ici. Mon monde n'était plus celui-ci, mais l'autre, avec mon Bridger.
Depuis mon réveil, j'avais passé un nombre incalculable d'examens pour vérifier chaque parcelle de mon corps ou de ma mémoire. Macy m'avait appris que je venais de passer presque trois mois dans le coma à la suite d'une chute à cheval, comme celle que j'avais eu dans mon dernier rêve là-bas.
Ma mémoire me faisait encore défaut mais les médecins n'en étaient pas inquiets, pour eux le contraire aurait été plus qu'étonnant. Chaque jour, de nouvelles brides de souvenirs me revenaient en mémoire sur les derniers mois passés avant mon accident.
Je ne me souvenais que vaguement de ces dernier mois, au contraire, je me rappelais chaque seconde passée dans l'autre monde et c'était sûrement ça le plus douloureux. Ils me manquaient terriblement, en revenant ici, j'avais l'impression d'avoir perdu une part de moi.
Est-ce que ce monde était le fruit d'un pouvoir divin ? Peut-être bien, mais je doutais fortement du bien fondé de ce pouvoir. Certes, on avait une chance de revenir à la vie, mais si on se rappelait tous de notre vie là-bas, tout comme moi, comment pouvions-nous passer à autre chose ?
Certaines fois, à mon réveil, je souhaitais plus que tout ne plus me rappeler d'eux tant ils me manquaient. C'était un sentiment hypocrite, je le savais, mais je souffrais de leur absence. Il m'arrivait très souvent d'imaginer leurs vies sans moi et quand j'envisageai qu'ils ne se souvenaient plus de moi, je me m'étais à pleurer sous le regard ahuri de ma mère. Elle ne comprenait pas pourquoi ni comment des amis « imaginaires » pouvaient autant me manquer.
Simplement parce qu'ils étaient réels, tout comme moi je l'avais été à leurs côtés.
Les tests mirent également en évidence une atrophie de mes muscles inférieurs. Après trois mois de coma, ce n'était pas inédit. Le problème le plus important était mon bassin, suite à ma chute, il s'était brisé à deux endroits en plus de mon traumatisme crânien. Mon coma avait permis à mon bassin de se consolider car les deux fractures n'étaient pas bien graves heureusement. Seul point négatif, je ne sentais pas encore totalement mes jambes même si une nette amélioration était de mise. Il me faudrait également faire de la rééducation pour retrouver l'usage normale de mes jambes.
Le retour de mon père me sortit de mes sombres pensées. Il entra dans la chambre avec un énorme bouquets de jacinthes multicolores avec sous son bras un renard en peluche. Il s'approcha de moi et déposa un doux baiser sur mon front avant d'aller changer le bouquet presque fané du vase sur ma table de chevet pour y déposer à sa place le nouveau.
« Comment te sens-tu ma puce ?
- Un peu mieux. Je commence à sentir mes orteils, c'est un bon début je crois.
- Un très bon début, bientôt tu pourras courir partout dans le couloir ! »
Mon père avait au moins le mérite de ne pas hurler à l'angoisse chaque cinq minutes comme le faisait ma mère depuis mon réveil. Un simple éternuement de ma part était un motif valable pour réveiller l'hôpital entier et déclencher l'état d'urgence dans la chambre 213. Ils étaient deux poids, deux mesures.
« Papa, tu as penser à prendre ma tablette ?
- Voyons Samuel, notre fille vient tout juste de se réveiller ! Tu ne vas quand même pas la laisser diminuer ses chances de guérisons en la laissant s'abrutir devant un écran aussi rapidement !
- Agathe, notre fille n'est pas redevenue une enfant tu sais. Laisse-la souffler un peu. »
Il me donna la tablette tout en continuant de discuter, ou plutôt de s'engueuler, avec ma mère sur les bons ou les mauvais côtés de l'utilisation de la tablette. Pour ne pas continuer de jeter de l'huile sur le feu, je rangeais cette dernière dans le tiroir de ma table de chevet pour l'utiliser bien plus tard quand je serais plus tranquille, enfin, si c'était possible.
Je ne l'avais pas demandée dans le but de regarder des films, traîner sur un des nombreux réseaux sociaux ou encore jouer à Candy Crush. Je comptais l'utiliser pour une raison précise, je voulais retrouver Bridger coûte que coûte.
VOUS LISEZ
Sur le Fil
Mystery / ThrillerUn soir, deux personnes se donnent rendez-vous au restaurant. La première attend de longues heures la seconde devant deux chandelles qui disparaissent lentement sous un balai de flamme. La seconde ne viendra jamais. Les jours suivants, elle ne revi...