Sur le Fil

Chapitre 6

La tristesse et la déception dans son regard, avaient laissé place à de l'émerveillement et à un sourire radieux. Elle s'avança et monta sur le rebord du toit pour regarder autour d'elle avec tellement de joie que s'en était mignon à voir. Visiblement, j'avais eu une bonne idée en l'amenant ici.

Devant nous, la ville entière était à nos pieds. Nous étions sur le toit du plus haut building de la ville et nous avions la vue sur absolument tout, comme si nous étions dans le ciel et que nous survolions notre nouvelle maison. Nous étions les Rois de cette ville. La vue était incroyable, nous pouvions voir le parc ainsi que le lac où de tout petits points noirs semblaient flotter à sa surface, nul doute qu'il devait s'agir de mes vieux compagnons au tempérament bien trempé.

Les buildings s'élevaient à perte de vue devant nous, même en étant aussi haut, il nous était impossible de voir au-delà de la ville, nous ne voyons même pas sa limite, comme si elle était interminable, sans limite, sans frontière. À chaque fois que je montais sur ce toit, j'avais envie de parcourir la ville pour trouver sa limite, pour trouver une route, un chemin, n'importe quoi pouvant me conduire à une autre ville, ou tout simplement, un moyen de trouver des réponses à toutes mes questions.

Peut-être qu'en y arrivant au bout, des réponses nous attendaient, ou tout simplement nous retrouverions les personnes disparues. D'autres comme moi voulaient atteindre cette limite, mais personne n'en avait eu le courage, et le peu l'ayant eu, n'était tout simplement jamais revenu. Pour nous, il y avait soit le « Ça » qui les enlevés ou soit ils s'étaient perdus dans l'immensité de cette ville, dont au final, nous ne connaissions absolument rien.

Je reportai mon attention sur la jeune fille devant moi. Elle était redevenue silencieuse et observait les lieux autour d'elle avec émerveillement. Cette fille m'intriguait. Certes le paysage était très beau, mais... Dans un moment pareil n'est-on pas censé paniquer ? Elle venait tout juste d'apparaître dans cette ville et semblait tout à coup plus calme. Personnellement, à mon arrivée ici, j'avais mis plus d'une semaine avant de cesser mes crises d'hystérie et mes flots de larmes. Certes nous réagissions tous différemment mais tout de même... Pourtant, cette fille était là, devant moi en train de sourire, le visage levé vers le vent qui caressait avec douceur ses longs cheveux roux dans une balais aérien de flammes ondulées.

Comme à chaque fois que je rencontrais une nouvelle personne, je ne pouvais m'empêcher de me demander à quoi elle ressemblait dans sa vie passée, qui était-elle vraiment au fond d'elle même, est-ce qu'elle avait une famille qui l'aimait plus que tout ? Mais surtout, est-ce que quelqu'un la recherchait pour essayer de comprendre pourquoi elle avait disparut et ainsi la retrouver.

Est-ce que moi quelqu'un me recherchait ? Je n'en savais rien, mais au fond, je l'espérais vraiment.

Je la vis se tourner vers moi du coin de l'œil. Son sourire n'avait toujours pas disparu de son visage, au moins, elle n'était plus malheureuse et ne semblait plus m'en vouloir pour ce que je lui avait dit au parc.

« Merci beaucoup Bridger. »

Je hochai simplement la tête. Que pouvais-je répondre à ça ? Je l'avais emmené ici pour lui changer les idées, ce n'était pas la peine de me remercier.

En baissant les yeux sur ma montre, je vis qu'il était bientôt 17 heures. La réunion allait bientôt commencer, je devais y aller si je ne voulais pas arriver en retard.

« Je suis navré Camille, mais je dois y aller.

- Oh déjà... Pourquoi ?

- J'ai un rendez-vous très important. Je te raccompagne au café. Viens. »

J'aurais très bien pu l'emmener avec moi, lui présenter les autres, lui montrer que d'autres aussi voulaient se souvenir, mais je n'en avais pas envie. Je voulais y aller seul, me retrouver seul, réfléchir seul, alors elle ne devait pas venir avec moi.

J'arrivai par chance juste avant le début de la réunion, quelques secondes de plus et je ratai les présentations des nouveaux membres. Je m'installai à côté de Gérard, mon habituel voisin de réunion. Il s'agissait d'un homme d'une soixantaine d'années environ, les cheveux grisonnants, enfin, du moins ceux qu'il lui restait, petit et un peu trapus. Il portait comme à son habitude une petite cravate rouge qui trônait fièrement sur son ventre rebondis. Nul doute que Gérard était un bon vivant. C'était également un homme d'une intelligence très développée, mais surtout, c'était celui qui se souvenait le plus de certaines brides de sa vie parmi tous les gens présents ici.

Le chef de réunion était Dan, un grand homme aux cheveux bruns et à la carrure de sportif de haut niveau. Si nous pouvions en être sûr, j'aurais parié sur le fait qu'il devait être un basketteur durant sa jeunesse, bien qu'il soit probablement âgé de 35 ans tout au plus.

« Bonsoir à tous. Juste avant la réunion, Lily m'a exprimé l'envie de vous faire partager une grande nouvelle. Lily, je te laisse la parole. »

Une jeune fille de petite taille, toute fine, aux courts cheveux blonds se leva de sa chaise tout en jouant nerveusement avec ses doigts.

« Bonsoir... Alors... Euh...

- Courage Lily, tu vas y arriver. »

Elle se tourna vers Dan et le regarda longuement avant de hocher la tête puis reprit, un peu plus sûre d'elle.

« Hier soir, j'étais en train de boire un chocolat chaud devant la petite cheminée quand soudain, mon esprit se perdit. J'étais une enfant, arborant fièrement mes deux petites couettes soutenues par un chouchou rose bonbon. Un vieil homme entra dans la pièce avec deux tasses fumantes et je m'entend hurler « Grand-père !! ». J'entends aussi son rire grave. Il tend doucement une des tasses et m'invite à s'asseoir avec lui au coin du feu. Je regarde le contenu de ma tasse, et il y a un liquide chaud, aux senteurs chocolatées et de cannelle. Il y a aussi une guimauve flottant à la surface. Quand je relève la tête pour remercier l'homme devant moi, il sourit et me dit « Bois le avant qu'il ne soit trop froid ma Lily. »

Elle avait enfin cesser de tripoter nerveusement ses mains. Elle semblait même presque soulagée d'avoir pu parler de son souvenir. Elle avait même les larmes aux yeux, comme si ce souvenir venait de réveiller en elle un nouveau sentiment, du bien être peut-être, de la peur, je n'en savais rien. Je la fixai attentivement depuis le début de son récit.

Entendre son récit m'avait donné une nouvelle confiance en moi, une confiance que j'avais perdu depuis quelques jours à force de faire et de refaire ce même cauchemar. Peut-être qu'à force de le faire chaque nuit, je parviendrais moi aussi à me souvenir ?

Il fallait que je trouve un élément qui puisse déclencher mes souvenirs. Celui de cette Lily était son chocolat chaud devant la cheminée. J'en avais forcément un aussi qui m'aiderait. Toutes les personnes racontant leurs souvenirs ici, avaient presque toutes dit qu'un élément avait déclenché le retour de leurs souvenirs, alors c'était forcément le meilleur moyen pour me rappeler de ma vie passée. Il fallait que je trouve cet élément et je sentais au fond de moi que ce maudit cauchemar cachait dans l'ombre ce détail important à ma libération.