Camille. Voilà comment se nommait la jeune fille qui venait tout juste de débarquer dans le petit café. Le même scénario c'était une nouvelle fois produit. Comme tout le monde avant elle, moi y comprit, elle avait ouvert les yeux au beau milieu du parc, couchée sur le dos, dans l'herbe verte, qui malgré le temps froid, était toujours bien présente, à seulement une dizaine de mètres du lac où se baignaient joyeusement les petits canards. Elle aussi, comme nous tous, ne comprenait pas ce qu'elle faisait ici, ne se rappelait pas de ce qu'elle était en train de faire juste avant d'atterrir ici. Elle ne se rappelait pas non plus de qui elle était en dehors de son prénom. C'était le même scénario à chaque fois : nous avions tous tout oublié, sauf notre prénom.
Ses yeux gris clairs commencèrent lentement à abandonner la peur qui n'avait cessé de les animer depuis son arrivée ici. Elle était également moins hystérique mais n'avait pour pas autant cessé de pleurer toutes les larmes de son corps. J'avais même finit par me demander si cette fille n'était pas un océan infini de larmes. C'était un poil moqueur, je devais l'admettre, moi aussi j'étais passé par là mais même si je compatissais, je ne pouvais m'empêcher de rire intérieurement. Je supposais que c'était nerveux, la situation était tellement bizarre, et pourtant ce n'était pas la première fois que j'étais confronté à ce genre de situations. Est-ce qu'on pouvait réellement s'habituer à vivre ces événements ?
Le meilleur moyen de remonter le moral des troupes selon Anna était de boire un bon chocolat chaud fait maison mais surtout fait avec amour et manger des dizaines de cookies, alors je ne fus guère étonné de la voir revenir dans la pièce avec un plateau où trônaient 3 tasses fumantes débordantes de chantilly ainsi qu'une assiette où était posée une montagne de cookies tout droit sortit du four. J'en salivai d'avance rien qu'en imaginant le biscuit chaud croustiller dans ma bouche.
Après une bonne dizaine de cookies avalés et un mal de ventre très intense, je proposai à Camille de lui faire visiter la ville, histoire qu'elle soit un peu moins déboussolée une fois qu'elle sera toute seule dehors, livrée à elle même. Elle me faisait un peu de peine avec sa fragilité déconcertante alors j'avais envie de l'aider au mieux pour qu'elle puisse s'adapter très vite à cette nouvelle vie ici. De toute façon, elle n'avait pas le choix de s'y adapter car on ne pouvait pas partir d'ici. Ah si, en disparaissant, nous pouvions disparaître, mais comme le destin des disparus nous était totalement inconnu, je ne souhaitais en aucun cas que Camille rejoigne cette liste qui était déjà bien trop longue.
Vers 14h, je la conduisis au parc. Je ne savais pas exactement pourquoi, mais j'avais envie de lui faire partager mon petit coin. J'avais aussi l'espoir que grâce à cette petite balade, elle arriverait à s'apaiser un peu. Pourquoi je faisais tout ça pour elle ? Je ne savais pas moi même.
Je m'assis sur mon banc habituel et l'invitai à faire de même. Avant de partir, Anna m'avait donné un petit sachet contenant des miettes. Elle savait que je rendais visite tous les jours à mes petits canards, qui par ailleurs étaient déjà devant nous en train de faire la danse des plumes pour avoir une petite poignée de miettes. Ils étaient tout bonnement insupportables, je le savais, pourtant ils continuaient à me surprendre chaque jour par leurs comportements.
Je tendis le sachet à Camille et essayai de lui faire mon plus joli sourire pour l'inviter à les nourrir avec moi mais aussi pour la rassurer. Je n'étais pas particulièrement habitué à sourire, j'avais toujours cette impression de ressembler à un clown maléfique.
Elle me regarda en hésitant longuement puis finit par prendre une poignet de miettes pour la donner aux canards qui étaient de plus en plus impatients et venaient faire claquer leurs becs non loin de nos pieds. Ce qu'ils pouvaient être agaçants parfois ! À chaque fois je me disais que j'allais cesser de venir les nourrir, pourtant, chaque jour, je revenais m'occuper d'eux.
Je fermai lentement les yeux pour me laisser bercer par la brise de vent fraîche. Aujourd'hui il faisait assez chaud, enfin, si on comparait cette journée à celle d'hier où le temps était juste horriblement froid et pluvieux. Là, il faisait encore froid, mais au moins nous ne risquions plus de nous transformer en yétis des neiges.
« Vous venez souvent ici ?
- Tu. Et oui, tous les jours. Si je ne viens pas les nourrir, je suis certain qu'ils viendraient jusque devant ma porte pour avoir leurs miettes.
- Pourquoi venez... viens tu ici ?
- Pour les nourrir.
- C'est la raison principale ? »
Sa question venait de me prendre de court, je ne m'attendais pas à ce qu'elle me la pose. Elle ne me connaissait pas, pourtant elle avait très bien compris que je ne venais pas ici simplement pour nourrir les canards.
« Excuse moi, je n'aurais pas dû te demander ça. »
Le regard toujours posé sur le lac, je la vis baisser la tête du coin de l'œil. Elle se mit à jouer nerveusement avec ses doigts. Oui, elle me faisait vraiment de la peine, elle semblait si fragile, si apeurée. Est-ce que je lui avais ressemblé à mon arrivée ici ? Je ne m'en souvenais plus vraiment.
« Je me dis qu'en venant dans le lieu où j'avais repris connaissance, je pourrais peut-être retrouver mes souvenirs.
- Tu les as oubliés toi aussi ?
- Nous les avons tous oubliés Camille. Certains se souviennent de certaines brides de leurs vies passées, mais jamais personne ne se souvient totalement. Du moins, je n'en ai jamais rencontré qui se souvenait de tout, même durant les réunions.
- Et toi ? Tu te souviens de quelque chose ?
- Non. Je me redécouvre chaque jour un peu plus.
- Tu es ici depuis quand ?
- Longtemps. Combien de temps exactement, je l'ignore.
- Ton ancienne vie ne te manque pas ?
- Comment une chose dont on ne se souvient pas peut-elle nous manquer ? »
Ma question l'avait prise de court, mais c'était surtout mon ton cinglant qui avait blessé la jeune fille devant moi. Je n'avais pas voulu la blesser, mais je trouvais sa question complètement absurde. C'était vrai au fond, comment quelque chose dont on ne se souvenait pas pouvait bien nous manquer ? Je ressentais juste un profond vide face à l'absence de souvenirs, mais le manque, ça je ne le connaissais pas.
Du coin de l'œil, je la vie se tourner vers le lac. Elle voulait très certainement fuir le malaise qui venait de s'installer en laissant son esprit vagabonder sur la longue étendue d'eau qui était devant nous.
Je m'en voulais un peu de l'avoir blessé ainsi, sa question était légitime, elle n'aurait certainement pas été la seule à la poser dans une situation comme celle-ci. Elle venait tout juste d'arriver ici, elle ne connaissait rien ni personne de ce monde, et la seule chose que j'avais été capable de faire était de la blesser sans penser une seule seconde qu'elle avait besoin d'être rassurée. J'étais arrivé ici avant elle, j'avais donc passé cette étape avant elle, pourtant, je ne l'avais pas rassuré comme j'aurais dû le faire, mais surtout comme j'aurais aimé qu'on le fasse pour moi.
« Excuse moi.
- Non... Tu as raison, ma question était idiote. »
Que pouvais-je répondre à ça ? Elle n'avait pas entièrement tord. Bon aller Bridger ! Un peu de gentillesse ne te ferait pas de mal ! Je me levai du banc et lui tendis la main en lui souriant.
« Viens. Je vais t'emmener dans le meilleur endroit de toute la ville. »
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Sur le Fil
Mystery / ThrillerUn soir, deux personnes se donnent rendez-vous au restaurant. La première attend de longues heures la seconde devant deux chandelles qui disparaissent lentement sous un balai de flamme. La seconde ne viendra jamais. Les jours suivants, elle ne revi...