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« Gare de Cassidy, terminus », nous annonce la voix qui parle depuis l'interphone. Nous sommes arrivés à destination, là où nous pourrons nous reposer un peu, voir du paysage et aussi découvrir le reste du monde.

A partir de maintenant, je reste sur mes gardes. De plus, maintenant que je connais le secret de Kaïs, je dois être vigilante car son espèce est traquée partout dans le monde.

Je me demande comment il fait pour vivre avec ce poids, avec son histoire. Il est vraiment fort, bien plus que je ne le pensais en le rencontrant. Edouard a tort, les Hierduns ne sont pas des bêtes assoiffées de sang, meurtrières, comme il l'a décrit. Du moins, Kaïs n'est pas comme ça.

Je ne peux m'empêcher de l'observer, encore et encore, imaginant la rage qu'il a dû ressentir ces derniers temps.

Il est tranquillement en train de marcher à côté de moi, sans un bruit, nous emmenant dans un nouvel hôtel. Celui-ci est beaucoup moins prestigieux que l'ancien mais il n'y a rien d'autre. Pour combler le tout, il n'y a plus qu'une chambre simple de disponible, ce qui signifie que nous allons devoir dormir ensemble, dans un petit lit.

Nous montons en direction de notre chambre, le parquet craque sous nos pieds et nous entendons tous les voisins : certains en train de s'engueuler, d'autres qui regardent la télévision très forte, j'entends même des amoureux faire leurs affaires. Cela promet d'être très gênant. J'espère que nous ne resterons pas longtemps ici. Kaïs pose nos affaires à côté de la fenêtre qui donne sur la gare.

- Je te laisserai le lit, ne t'inquiète pas, dit-il en s'asseyant dessus.

- Tu vas faire comment toi ?

- Ce tapis a l'air confortable.

Il n'a pas l'air confortable du tout.

- Ne dit pas de bêtise. Nous pouvons dormir ensemble. Après tout, je suis très fine, nous devrions passer sans trop nous pousser.

- Tu as l'air de frapper dans ton sommeil, lance-t-il

- C'est faux ! J'étais en colère c'est tout.

Il se met à rire un petit peu, amusé par sa propre remarque ou alors par l'expression de mon visage. Il est plus joyeux que moi, pour une fois. Je dois me détendre un peu si je veux recommencer à apprécier ce voyage comme il se doit.

Je m'allonge sur le lit qui grince si fort qu'il me fait mal aux oreilles. J'essaye de me placer pour vérifier si nous avons l'espace pour deux personnes et pour qu'aucun de nous n'ai à dormir sur le tapis.

Kaïs s'allonge à côté de moi, prenant le reste du lit, me poussant sans vraiment le vouloir. Nos deux corps passent si nous ne bougeons pas, ce qui risque de relever de l'impossible mais, à défaut, nous sommes mieux que parterre. Il tourne les yeux vers moi alors que j'observe le plafond.

- Tu connais cette ville ? demandé-je.

- Non pas du tout, j'en ai juste entendu parler.

- Et qu'est-ce qu'il se dit ?

- Qu'il y a une forêt magnifique et un refuge. Je suis sûr que ça te plairait.

- Un refuge ?

- Il y a de nombreux animaux qui ont été sauvé de la chasse et qui ont perduré grâce à ce refuge.

Je tourne les yeux vers lui en souriant de nouveau, comme avant. Il m'affiche un sourire complice. Je sens de nouveau son parfum autour de moi. Une odeur douce et chaleureuse, à la hauteur de son expression du visage.

Je me tourne vers lui, silencieuse et observe ses yeux marrons/verts, ses cicatrices, ses cheveux. J'ai tellement de question à lui poser, des choses dont je veux parler avec lui mais je n'ose pas. Je préfère attendre qu'il soit prêt à me parler de nouveau de lui.

- Que t'arrive-t-il ? Tu ne parles plus ? lâche-t-il.

- Je t'observe.

- Vas-y, Amélia, pose-moi les questions qui te perturbent.

- Depuis quand tu me connais si bien ? dis-je en riant un peu.

- Tu es un livre ouvert.

- Aouch... ça n'est pas très gentil ça.

- Cela dépend de la manière dont tu le prends, pour moi c'est un compliment.

Si je suis, à ce point, un livre ouvert, il a déjà remarqué que je craque de plus en plus pour lui et que la seule chose qui m'empêche de me rapprocher à nouveau, c'est la peur. Mais, finalement, le sait il peut-être déjà ?

- Ces cicatrices, sur ton visage, d'où viennent-elles ?

- De ma première engueulade avec ma sœur. Nous nous étions fâchés, nous nous sommes transformés puis battus. Rien de bien intéressant. Des chamailleries d'enfants quoi.

- Et bien, c'est si impressionnant d'être un Hierdun ! J'aimerais en savoir plus.

- Si tu veux parler de ça, nous devrions aller dans la forêt, nous serons plus tranquilles.

J'hoche la tête, il a raison. Nous entendons les conversations de toutes les personnes autour, rien ne nous assure qu'elles n'entendent pas la nôtre. Si jamais c'est le cas, il vaut mieux éviter de parler de ce genre de sujet, nous risquons de nous faire prendre encore une fois.

Nous partons en direction de la forêt, évitant de passer dans la ville au cas où Edouard aurait informé les gardes de notre recherche. Nous devons rester vigilant, loin de la royauté, de la politique, loin du danger.

Sur le trajet, je lui pose quelques questions sur sa vie avant notre rencontre. Il m'explique qu'il a rapidement quitté sa ville après le décès de sa famille, qu'il a longtemps voulu se venger sur Edouard. Il a vécu quelque temps à Literla pour devenir garde et le tuer directement dans le château. Mais à chaque entraînement, Kaïs était beaucoup trop fort et commençait à attirer les soupçons donc il a abandonné. C'est comme ça qu'il est arrivé à Vielburg et qu'il a commencé un petit travail en tant que serveur.

Une fois à l'entrée de la forêt, je m'arrête quelques secondes pour observer les arbres gigantesques que j'ai devant moi.

C'est donc ça une forêt, comme je l'avais imaginé, comme dans les livres. Je ne réalise même pas que l'objet de toutes mes ambitions est devant moi. La veille, j'ai été abritée par les arbres pour nous cacher des gardes mais je n'ai pas eu l'occasion d'apprécier ce moment. Aujourd'hui, je prends le temps de contempler ce qu'il y a devant moi, le bruit du vent qui siffle au travers des branches, les oiseaux qui chantent, le craquellement des feuilles sous mes pieds à force que je m'avance dans la beauté de cet endroit.

Tous les bruits parasites du quotidien me paraissent bien loin. Je sensla chaleur de ce lieu, l'énergie qui en ressort, la senteur des feuilles quiont séchés avec le soleil. Rien ne ressemble à ce que j'ai vu auparavant maisje me suis rarement sentie autant chez moi. J'ai l'impression que ma vie estfaite pour être ici, dans ce genre de lieu, dans la nature.

La Chasse Hierdun - Et si tout était faux ?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant