Première fois

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Ce titre est peut-être un peu tendancieux, mais je vous promets qu'il n'en est rien. C'est en réalité une scène que je mourrais d'envie d'écrire, parce que je l'ai décrite dans le chapitre de juillet de son ciel. Peut-être que vous reconnaitrez avec la musique.


— Vous êtes sûr ?

Il me sourit, les mains sur son bureau.

— Oui, je suis sûr. Vous pouvez le faire sans danger. Je vous en donne l'autorisation, tout comme votre kinésithérapeute. Nous sommes tous les deux d'accord, Monsieur Andrews.

Je souris de toutes mes dents et je trépigne littéralement. J'attendais ça depuis des lustres. Des lustres et des lustres. Le médecin m'ouvre la porte et me souhaite une bonne fin de journée, avec un petit clin d'œil que j'apprécie tout particulièrement. Il ne connaît peut-être pas ma vie, mais il sait que cette acceptation était très importante pour moi.

En reprenant le bus, je ne peux pas m'empêcher de tapoter les doigts contre la barre qui me sert à me tenir. Je me fiche bien d'exaspérer les personnes autour de moi, je suis bien trop content pour le cacher. Je ne peux peut-être pas le crier sur tous les toits, mais je ne veux pas me gêner pour matérialiser cette joie de toutes les manières possibles.

C'est une fois arrivé à mon dortoir que j'envoie un SMS à Rio, en le priant de venir me rejoindre dès la fin de son entraînement. J'espère qu'il ne sera pas trop épuisé, parce que je risque d'avoir besoin de son énergie.

Depuis qu'il est entré dans le centre de formation de Newcastle, on le fait travailler d'arrache-pied — littéralement, d'ailleurs. Ça lui arrive souvent de revenir complètement explosé, se plaignant de son pied qui a été opéré. J'ai toujours peur que la fracture se fragilise à nouveau, ou qu'il perde de la mobilité à cause de tous les exercices qu'il est obligé de faire. Il ne cesse de me répéter qu'il ne sera jamais repéré par une équipe nationale s'il ne se donne pas à trois cents pour cent. J'ai parfois l'impression que mon inquiétude l'embête, mais je n'y peux rien. Je m'inquiète pour lui depuis que nous avons treize ans, et que j'ai pris la décision de l'aimer. Pour moi, c'est compris dans le packaging du petit ami.

Il me répond de nombreuses minutes après l'envoi de mon SMS. Je suis sur mon lit, un manuel de médecine entre les mains, pour faire semblant de réviser, alors que je suis en train de me mettre la tête en quatre. En voyant qu'il est presque arrivé au dortoir, je ferme violemment mon livre, et je souffle. Il est temps de se préparer.

Je me replace sur mon fauteuil, et je roule jusqu'à la porte. Dès que j'entends des bruits de pas, je m'accroche aux accoudoirs, et je commence lentement à me lever. C'est un peu laborieux parce que nous sommes en fin de journée et que je suis crevé, mais pour rien au monde je ne me laisserais retomber sur le siège derrière moi. Mes jambes tremblent légèrement, mais quand Rio toque à la porte de ma chambre — individuelle et au rez-de-chaussée — je suis debout. Je prends une petite respiration pour me donner du courage et je vais ouvrir.

Ce que j'attendais le plus, c'est sa tête. Celle qu'il m'offre en me voyant ainsi pour la première fois, à sa hauteur, souriant. Dans mon esprit un peu fantasmé, je me serais changé, j'aurais un beau costume avec une chemise en soie. Mais on est dans la réalité et je suis en pull tout simple. Enfin, peut-être pas si simple que ça. Le pull en question est bordeaux.

— Miho ?

— Entre. Ça a été ton entraînement ?

J'ai révisé mon petit scénario en revenant de chez le médecin. Faire comme si tout cela était normal, avec mon sourire que Rio qualifie de canaille.

Il franchit le pas de la porte et je la referme derrière lui, à double tour. Je n'ai aucune envie d'être dérangé, même si j'ai un dortoir assez tranquille. Les étudiants en médecine, une fois passée la première année, ne sont pas d'immenses fêtards.

— Miho, tu es debout !

— Oui, je sais.

— Mais... comment ?

— Tu es sûr que tu veux que je te fasse un cours sur l'anatomie et le fonctionnement des muscles ? D'ailleurs, je pensais que tu en aurais dans tes cours à la f...

Je me fais couper la parole par une main sur ma bouche, et une seconde sur ma joue. Il prend mon visage en coupe, et c'est à ce moment précis que je remarque l'eau dégoulinant de ses yeux. Mon beau Rio est en train de pleurer devant moi.

— Nous sommes face à face, Miho. Face à face.

Son sourire s'élargit, et ses dents viennent très doucement mordiller sa lèvre inférieure. C'est moi qui me jette à moitié sur lui, pour l'embrasser. Ça a un goût de première fois, parce que c'en est une. C'est la première fois que nos bouches se rencontrent alors que nous sommes ainsi. A la même hauteur.

Il se détache de moi — j'en suis presque triste — et fouille dans la poche de son pantalon. Il déniche son téléphone, et après quelques clics, une musique retentit. Notre musique. Cette fois-ci, c'est moi qui attrape les yeux émus.

— Je pensais que tu avais oublié, dis-je, le cœur au bord des lèvres.

— Jamais. On se l'est promis. Le jour où tu serais sur deux jambes, on dansera sur Send me on My Way. Et ce jour est arrivé.

Il me présente sa main, comme un gentleman, et nous commençons un slow. On ne recherche pas un truc sophistiqué, et très cadré, à la manière de la valse. Je veux juste danser avec mon petit ami.

Nous bougeons très légèrement dans ma chambre, ne respectant pas du tout le rythme de la chanson. Nous nous en moquons. J'ai l'impression d'être à la fin d'un film de Noël, quand tous les problèmes sont réglés, que le père Noël a sauvé tout le monde et que le couple s'étant rapproché pendant l'heure et demie précédente a enfin son moment de gloire. Les acteurs y mettent carrément du leur pour regarder leur partenaire avec des yeux brillants comme des ampoules en pleine nuit. Moi, je n'en ai pas besoin. Parce que ça vient tout seul.

Rio me fait soudain tourner tout autour de son bras, avant de me renverser, en me tenant bien fort contre lui. Il est penché, les yeux encore fortement humides, et les joues toutes rouges. Il est beau, tellement beau. Ses lèvres rencontrent à nouveau les miennes, et cette fois-ci, j'entends presque les feux d'artifice autour de nous. Je me relève de cette position qui n'est pas très confortable, tout en continuant à flatter cette bouche que j'apprécie tant. Quand nous nous décollons, le cœur battant et les joues rosies par notre proximité, je lâche cette phrase.

— Je veux encore partager d'autres premières fois avec toi.

Son sourire déborde d'amour, tellement que mon cœur pourrait en exploser.

— Je ne compte pas m'arrêter, Miho Andrews.

Et ce soir-là, en effet, je goûte une nouvelle première fois. 

Ciel de NoëlOù les histoires vivent. Découvrez maintenant