Chocolat

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Je suis dans la cuisine, en train de faire la vaisselle, profitant de l'eau chaude sur mes mains pour me réchauffer. Je ne sais pas si c'est à cause de notre immeuble qui est vieux comme ce n'est pas pensable ou que nos radiateurs se sont soudainement mis en grève, mais je meurs de froid. Je sens que je vais aller enfiler une petite laine pour survivre à cette soirée, surtout si Eliot se scotche à moi. Sa peau est encore pire que la mienne, et je le compare souvent à un serpent. D'ailleurs, le voilà qui arrive.

Son corps se colle au mien lorsqu'il élève le bras pour attraper une tasse, et je frissonne. Même sous ses vêtements, il est glacial. Et malheureusement pour moi, il ne s'écarte pas une fois son mug dans les mains. J'adore cette position en temps normaux, quand il m'entoure de ses bras et que sa tête se pose sur le creux d'une de mes épaules. Ses cheveux chatouillent ma peau et me filent des frissons. Enfin, comme je l'ai dit, ça, c'est en temps normaux. Là, j'ai juste l'impression d'être collé au frigo.

— As-tu bientôt terminé ? Je me sens seul au fond de notre lit.

— Oui. Je n'ai plus que ta troisième tasse de thé à achever. C'est impressionnant tout ce que tu bois en ce moment. C'est pour ça que tu cours sans cesse aux toilettes ?

La dernière fois, c'était cette après-midi, alors que nous nous embrassions. Je n'ai pas été capable de cacher ma déception quand il m'a soudainement lâché pour aller se soulager.

— Oui. Le thé est très diurétique. Mais c'est la seule chose qui me réchauffe.

Mes mains s'arrêtent sur l'éponge et j'écarquille les yeux. Eliot ne me voit pas, et c'est encore mieux. Je viens d'avoir une excellente idée.

— Tu ne voudrais pas boire autre chose ? Quelque chose qui est très onctueux, avec un goût plus ou moins appréciable selon les palais, et quelques surprises ? Quelque chose de préparé par ton adorable petit ami ?

Je me retourne tout doucement pour lui laisser le temps de se reculer et de me faire face. Il sourit comme je l'aime tant.

— Il n'y a que toi qui es capable de me faire apprécier le chocolat chaud, Valentin. De plus, il me rappelle d'excellents moments. Je suis d'accord. Tu peux m'en préparer un.

Il s'avance légèrement et je lui embrasse le bout des lèvres pour accepter. Je me dépêche de finir ma vaisselle pour mettre tout en route. Depuis que nous sommes dans notre appartement parisien, j'ai amélioré la recette de ma mère. Bien qu'elle soit délicieuse au possible, j'ai trouvé le moyen de la rendre encore plus savoureuse.

Le secret réside dans le chocolat. Si lors de notre escapade chez Walter, j'avais utilisé du cacao en poudre, j'ai évolué et fait gagner un niveau à la recette de ma famille.

Je sors donc tout le nécessaire des placards avant de le déposer sur la table, en faisant le moins de bruit possible. Bien qu'Eliot n'aime pas le chocolat, je ne veux pas qu'il devine les ingrédients en les voyant étalés devant son nez. S'il m'entend, sa curiosité va prendre le dessus et il va venir m'espionner. Il me fera croire qu'il est parfaitement innocent, mais je sais remarquer, derrière ce sourire charmeur, les cornes de diablotin sur ses cheveux noirs.

Comme si j'étais un véritable cuisinier, je ne pèse strictement rien, et je balance tout dans la casserole. D'abord le chocolat, que je mets à fondre avec une lichette de miel. Du lait pour que ça ne se transforme pas en pâte informe et impropre à la consommation — surtout pour le palais raffiné de mon petit ami. Quand le liquide me satisfait, je baisse le feu au minimum et je me lance dans la chose la plus ambitieuse de cette recette : la chantilly maison. Encore une fois, avant, j'utilisais de la crème toute faite achetée dans le commerce. Je me suis longuement entraîné pendant quelques nuits insomniaques, pour créer la chantilly parfaite. Et le truc dont je suis le plus fier, c'est que je n'emploie pas de robot pâtissier. Tout est à la force de mes bras.

— Valentin ? m'appelle Eliot depuis notre chambre. Tout va bien ? As-tu besoin d'aide ?

— Surtout pas ! hurlé-je à moitié. Reste bien au chaud, j'ai presque fini.

Mes bras s'agitent de plus en plus, et je manque de lâcher mon récipient. La chantilly a un peu de mal à monter, mais c'est de ma faute. C'est le problème avec la spontanéité de mon geste : normalement, il faut laisser la crème et le saladier dans un réfrigérateur bien froid afin de nous faciliter les choses.

Mais enfin, enfin, je peux observer le magnifique bec d'oiseau qui me signifie que ma chantilly est prête. Je déniche une poche à douille, cachée au fond d'un tiroir — Eliot ne touche pas beaucoup à la cuisine, et c'est tant mieux pour moi — et je la remplis un peu salement — j'ai intérêt à débarrasser après moi sinon mon cher et tendre risque de faire une belle syncope. Je vais goûter le chocolat — un délice — du bout de mes doigts, avant de le transvaser dans sa tasse, qu'il a laissée là. De la chantilly en tourbillon, une longue cuillère, et des amandes effilées pour compléter le tout. Je retrouve même, juste à côté des fruits secs, quelques petits chamallows. Après un test de qualité tout à fait concluant, j'en verse également. Et enfin, je quitte la pièce, avec mon précieux breuvage.

— C'est prêt, mon cher.

Je dépose la tasse avec la plus grande douceur possible dans les mains d'Eliot, qui m'embrasse la tempe pour me remercier. Je devrais retourner en cuisine pour ranger mon bazar, mais je ne peux pas m'empêcher de l'observer tremper les lèvres dans sa boisson. Ses yeux s'écarquillent très légèrement au contact de ma chantilly, et sa langue est même de sortie. Il se lèche les babines en buvant mon chocolat, et ça me fait fondre. Je pourrais aller m'allonger dans une casserole tellement je me sens mou. On me transformerait à mon tour en délicieuse boisson.

— C'est absolument divin. As-tu amélioré la recette ?

— Oui.

— Eh bien, lorsqu'il y aura une bague sur ma main gauche, il faudra me la transmettre. Désormais, nous avons aussi une recette de famille.

Maintenant, je ne suis plus qu'une flaque. Une immense flaque de chocolat chaud, qui gît au sol en écoutant les paroles d'Eliot. J'ai l'impression d'être de retour à notre adolescence, quand il ne se rendait pas compte de ce qu'il racontait, et de l'effet sur mon cœur.

— Valentin ?

— Je t'aime, lâché-je, de but en blanc.

Parce que c'est ça la grande différence avec notre adolescence. Je peux tout à fait lui dire des choses pareilles, me rapprocher de lui, l'observer déposer sa tasse sur sa table de nuit et l'embrasser avec tendresse. En plus, au moins maintenant, sa peau est toute chaude. 

Ciel de NoëlOù les histoires vivent. Découvrez maintenant