Toit de serre

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La vie est faite de petits bonheurs, et l'un d'entre eux réside dans le fait d'être allongé dans mon lit, un livre entre les mains et mon Valentin à mes côtés. Nous nous moquons de l'heure, du temps qu'il fait ou même de la chaleur. Nous sommes côte à côte et nous lisons. Parfois, lorsque ma concentration s'enfuit quelques secondes, je lève les yeux au ciel. Quel que soit l'endroit où nous nous trouvons, je le fais. Et ce matin, j'ai de la chance. Nous sommes en Irlande, chez mes parents. Et le ciel est d'un bleu d'été.

— J'adore quand tu fais ce genre de chose.

Je baisse à nouveau la tête, avec rapidité, pour me plonger dans le regard de Valentin. Il a laissé son manga contre la couverture et me fixe, un doux sourire dessiné sur ses lèvres.

— Quoi donc ?

Je joue la carte de l'innocence, simplement pour qu'il continue à m'observer comme il le fait si bien. Lorsque nous étions adolescents, j'avais peur de ce que je pouvais trouver au fond de ses pupilles. Désormais, cela me rassure et me conforte. Il m'aime, tout simplement.

— Quand tu lèves les yeux et que tu souris. Je ne suis même pas sûr que tu t'en rends compte, c'est presque automatique. À chaque fois qu'on est dans cette position, je m'arrête de lire juste pour t'étudier. Et ici, c'est encore mieux. Ta joie se reflète dans ton toit de serre.

Mes lèvres s'étirent et je me rapproche de Valentin pour lui offrir un baiser sur la joue. Je fais mine de m'éloigner, mais il me retient tout contre lui. J'en profite alors pour m'allonger contre son épaule et reprendre mon livre de poésie. Valentin, lui, me masse les cheveux avec douceur.

— J'aimerais que le temps s'arrête, ou que nous restions figés dans cette position. Comme des statues de glace.

— C'est quelque peu morbide comme idée.

Il grimace avant de répliquer.

— Désolé. Je ne suis pas très doué pour la romance. Le maître des mots, c'est toi.

— Je ne suis pas d'accord. De plus, je partage ce sentiment, sans l'aspect morbide. Je n'ai aucune envie de bouger de cet endroit. Je suis bien ici, entre tes bras.

Il sourit délicatement avant de m'embrasser la tempe. Je remarque ses yeux qui se promènent sur les caractères et mon cœur pointe légèrement de déception — il aurait pu lire avec moi. Pour une fois, mon livre n'est ni en anglais ni en français. Ma mère m'a retrouvé un recueil qu'elle avait étudié adolescente, et il est rédigé tout en japonais.

— Je suis désolé, dis-je tout bas. Tu ne dois rien comprendre.

— L'important, c'est que toi tu comprennes, tu sais. Je pourrais reprendre ma propre lecture.

— Certes. Mais j'ai une idée. Je suis loin d'être un professionnel, mais je pourrais tenter de te les traduire.

— Ne t'embête pas pour moi, Eliot. Je suis un grand garçon.

La déception revient, mais je ne lui laisse pas le temps de piquer mon cœur.

— Je souhaitais simplement partager cela avec toi. Cela ne m'ennuie pas du tout.

Les caresses dans mes cheveux reprennent, et je sens son sourire sur mon oreille.

— D'accord. Si ça te fait plaisir.

Je commence donc lentement, en butant sur quelques mots. Comme je l'ai indiqué à Valentin, je suis loin d'être un professionnel. Au bout de deux pages, il m'arrête, et déclare quelque chose qui me surprend au plus haut point.

— Et si tu me les lisais en japonais ?

— Tu ne comprendras pas grand-chose. Je crois qu'un poème parle de chat, et je sais que tu connais ce mot.

Il rit, en appuyant son doigt sur ma joue. Il doit penser que je me moque de lui, alors que pas du tout. Je ne fais qu'énoncer des faits.

— Certes, mais je veux t'entendre et t'écouter. Ça me détend.

Il me serre plus encore contre lui. Je prends cela pour un top départ, et je reprends ma lecture, bien plus fluide. Je traduis uniquement le titre.

— Tu as raison, déclare-t-il à la fin de la première partie.

— J'ai souvent raison, mon cher Valentin. Pourrais-tu préciser la teneur de cette déclaration ?

Il me pince la joue, comme mon frère lorsque nous étions jeunes. Le voilà vexé.

— Sur le toit de serre. Je me sens bien comme ça, à t'écouter et à regarder le ciel.

Je souris. J'ai envie de l'embrasser, mais nous sommes le matin et mon hygiène me prie de m'abstenir.

— Je le savais.

Et alors que je reprends ma lecture, un flocon vient se poser sur le verre qui décore mon plafond. 

Ciel de NoëlOù les histoires vivent. Découvrez maintenant