Je s'appelle Groot

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Tous les trois mois, avec Charles, nous avons une tradition. Nous prévoyons un espace dans nos emplois du temps de ministres, et nous nous posons devant la télévision. Nous éteignions nos téléphones, et nous profitions. Parce que tous les trois mois, nous regardons les Gardiens de la Galaxie, deuxième du nom.

À force, nous connaissons le film sur le bout des doigts. Parfois, nous imitons même les personnages, spécialement Groot. En sa qualité de plante verte, Charles prend un malin plaisir à parler comme l'arbre vivant pendant toute la soirée. C'est parfois compliqué de se faire comprendre, surtout quand je suis dans la cuisine. Et bien entendu, aujourd'hui ne fait pas exception à la règle.

— Charlou, qu'est-ce que tu veux dans ton sandwich ? On a du blanc de dinde, du poulet et du jambon blanc. Y a même un reste de thon au fond du frigo.

— Je s'appelle Groot !

Le principe, c'est d'écouter le ton qu'il prend. Il m'indique si c'est négatif ou positif. Je fais donc la liste de chaque ingrédient, et je tends les oreilles. La cuisine étant ouverte sur le salon, ce n'est pas très compliqué.

— Dinde ?

— Je s'appelle Groot.

Ça, c'est un non franc et massif. Il abuse un peu, c'est lui qui me l'a fait acheter, et je déteste ça. J'ai aucune envie de gâcher de la nourriture.

— Poulet ?

— Je s'appelle Groot ?

Là, c'est une question qui veut simplement dire comment oses-tu proposer un truc pareil ? Les goûts de mon petit ami sont un peu compliqués, à vrai dire.

— Je sais ce que tu veux en fait. Le thon, n'est-ce pas ?

— Je s'appelle Groot, je s'appelle Groot !

Quand il le dit deux fois, c'est gagné. Je me mets donc à la préparation, tout en écoutant Charles déblatérer devant le lecteur DVD qui fait encore des siennes. Bien entendu, il n'y a aucun mot autre que je, s'appelle et Groot. J'espère sincèrement que les voisins ne nous entendent pas, ou ils risquent de nous fixer étrangement lorsque nous nous croiserons dans les escaliers. Ma plante verte préférée me répliquerait qu'elle s'en moque, et que le monde n'est qu'une poêlée de légumes pas cuite.

Je ris à ma comparaison foireuse, et j'attire le végétal sur pattes dans la cuisine. Il s'accoude au comptoir, et me fixe avec un grand sourire. Il a dû remarquer que j'avais presque fini son sandwich.

— Je s'appelle Groot ?

— J'ai pas encore activé le décodeur, je suis désolé. Si tu veux me dire quelque chose, il va falloir faire des phrases avec un sujet, un verbe et un complément.

Il pose un doigt sur son menton, et étire ses lèvres avec une malice que je n'aime pas spécialement. Ça, ça veut dire que je me suis fait avoir comme un bleu — ce que j'aime cette expression.

— Je ? S'appelle ? Groot ?

— Oui, je sais. Je est un sujet, s'appelle est un verbe, et Groot est le complément de tout ça. Ça va ? T'es content de toi ?

Je pose son sandwich terminé sur le comptoir, et il l'attrape avec une rapidité sans pareille. C'est un estomac sur pattes, comme son cousin. Armé de son assiette, il se dirige vers moi en glissant sur le carrelage. Malgré les températures qui sont dangereusement en train de chuter, il s'évertue à marcher pieds nus. Je sens que ce soir, dans le lit, je vais encore avoir le droit aux pieds froids.

Une fois en face de moi, il repose son assiette sur le plan de travail, et me colle un baiser sur la joue. En se reculant, il glisse dans mon oreille, tout doucement.

— Je s'appelle Groot.

Il s'évade à nouveau, mais je le retiens par le bras.

— Hé, attends deux secondes, la plante verte. J'aimerais plus, si ça ne te dérange pas.

— Je s'appelle Groot ?

Je lui touche le bout du nez, et ses lèvres s'étirent avant de se coller aux miennes. Malheureusement pour moi, cet échange ne dure pas, et c'est reparti avec le charabia de végétal. Il attrape son sandwich, et se dirige vers le salon pour mettre en route le film.

— Je s'appelle Groot ! dit-il sur un ton très pressé.

Je comprends que je dois me dépêcher de terminer mon propre casse-croûte si je ne veux pas déranger tout notre programme. Avec un sourire un peu malicieux, je tapisse le pain de mie de poulet, d'un peu de margarine et de crudités. Je ramène également deux grands verres de soda, pour qu'on ne meure pas de soif.

Me voyant arriver, ma chère plante verte lance le DVD et me fait signe de m'approcher. Je sens que je vais à nouveau avoir droit à un je s'appelle Groot plein d'entrain. La plupart du temps, quand le générique de début arrive, il imite le petit arbre qui danse alors que ses coéquipiers sont en train de combattre une bestiole bien affreuse. C'est l'un de mes moments préférés, parce que Charles déborde de joie et que la chanson qui passe est Mister Blue Sky.

Je m'approche donc, alors que le logo Marvel apparaît à l'écran. Et comme je me l'imaginais, alors que nous nous blottissons l'un contre l'autre, mon amoureux des plantes déclare, une fois pour toutes.

— Je s'appelle Groot ! 

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