Boule de neige

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J'ai le nez collé à la fenêtre du salon. Je suis censé travailler sur mes recherches, mais je ne parviens pas à décoller mes yeux de la merveille qui se déroule dehors. C'est très simple pourtant. Nous sommes en hiver, non loin de Noël, et il neige.

— T'es dans la lune ?

Curtis s'est également arrêté de taper sur son clavier. J'aime quand nous sommes comme ça, silencieux, chacun à notre place, et faisant travailler nos neurones. Ça nous arrive de nous fixer quelques secondes, de sourire avec tendresse avant de reprendre notre besogne. C'est sans doute ce qu'il s'est passé avec lui.

— Non, je suis juste fasciné.

— Après une vingtaine d'années d'existence, tu es encore fasciné par de la neige tombant du ciel ?

Je grince légèrement, les sourcils froncés, avant de répondre.

— Oui. Pas toi ?

— Bof. C'est blanc et froid. Je suis bien mieux à l'intérieur.

J'ouvre la bouche en o, avant de répliquer.

— Je ne suis absolument pas d'accord et je vais te le prouver !

Je laisse définitivement tomber mon envie de travailler en fermant mon ordinateur et en le déposant sur la table de la salle à manger. Je m'approche du bureau de Curtis à pas de loup, faufilant mes mains sur ses épaules. Je souris en les lui massant tout doucement.

— Allez, s'il te plaît. Viens avec moi dehors.

— Et qu'est-ce que j'y gagne, mis à part être frigorifié ? Tu sais très bien que je suis un grand frileux.

Je me penche vers une de ses oreilles et je glisse quelques mots à l'intérieur. Elles rougissent immédiatement, comme la tête de mon petit ami.

— Sérieux ? Tu ferais ça ?

— Ouais. Si tu viens dans la neige, je ferais ça. Je te le promets.

Il se lève d'un seul homme, manquant de me cogner en même temps. Je me recule juste avant de me faire percuter. Curtis peut être très facilement convaincu quand on sait lui parler.

Il se dirige à toutes jambes vers le portemanteau et le déshabille complètement. La doudoune, le bonnet, l'immense écharpe et les gants, tout y passe. Il a presque doublé de volume, et je me retiens d'éclater de rire. Je glisse aussi des gants sur mes doigts, obligatoire pour l'activité que j'ai prévue. Contrairement à lui, je ne m'enroule pas dans différentes couches de vêtements. Comme ce n'est pas la première fois que nous passons un hiver ensemble, il n'est pas surpris de la différence qu'il existe entre nous, à mon inverse. Je pense que je le serais toute ma vie.

L'immeuble où nous habitons comporte une petite cour, très pratique. Je sais que quelques chiens viennent se dépenser ici, et j'espère ne pas trouver de mauvaise surprise sur le sol. Normalement, les propriétaires sont au courant qu'il est interdit de laisser leurs animaux faire leurs besoins dans l'herbe commune.

Les enfants de nos voisins vont être particulièrement tristes lorsqu'ils rentreront de l'école aujourd'hui, puisque nous allons complètement gâcher la perfection du manteau hivernal. C'est peut-être mon côté de méchant qui parle, mais j'y prends beaucoup de plaisir. Où est-ce marqué que la neige est le domaine réservé des gamins ? Les adultes peuvent tout à fait en profiter.

— Bon, on y est. Qu'est-ce que tu veux qu'on fasse ?

J'ai laissé Curtis me devancer, pour me baisser en toute confidentialité et ramasser quelques grammes de poudreuse. Un peu de sculpture entre mes doigts plus tard, et voici une magnifique boule.

— Retourne-toi, et je te le dirais.

Je ne sais pas vraiment si Curtis joue au naïf, ou s'il veut simplement me faire plaisir pour que je réalise notre part du marché. Quoi qu'il en soit, son corps tourne et il me fait face. Et quelques secondes plus tard, je lui envoie la boule sur le haut de la tête — je ne l'ai pas trop tassée pour éviter de le blesser. J'attends avec appréhension qu'il réplique, qu'il se fâche ou qu'il rentre en furie.

Ses lèvres s'étirent, et il éclate de rire. Ça me fait fondre, comme d'habitude — je crois qu'il ne se rend pas compte de ce que ce son représente pour moi —, et je ne me méfie pas. Il a vite fait de se baisser à son tour pour m'envoyer toute la neige qu'il trouve.

— Vengeance ! hurle-t-il.

Je souris à mon tour, au comble de la joie. Il entre dans mon jeu en prenant part à mon début de bataille. Nous nous coursons dans la poudreuse, armés jusqu'aux dents. Curtis est un vrai vicieux, et profite du fait que je ne sois pas beaucoup habillé pour faire s'infiltrer la neige entre mes vêtements, et plus particulièrement sur ma nuque. Je me tortille comme un ver pour essayer de chasser cette désagréable sensation, et je ne le vois pas arriver.

Fredonnant une mélodie que l'on associe souvent aux requins dans les films, il me saute dessus pour me plaquer au sol, les deux mains sur mes bras pour m'éviter de me débattre.

— Plaquage !

Il a de la neige sur tout le visage, et l'eau s'est infiltrée sur ses longs cils. Il ressemble à une créature merveilleuse de conte de fées, et je n'ai aucune envie de me venger. Je pourrais l'observer pendant des heures, une main sur sa joue.

— J'avoue, tu as gagné, chuchoté-je. Je rends les armes.

— Le vainqueur va donc embrasser le vaincu pour le féliciter de sa participation.

Il se penche plus encore vers moi et nos lèvres se rencontrent. Ses gants froids touchent ma nuque, et je frissonne à nouveau, rompant — à contrecœur — le baiser. Il rit, malicieux au possible. Je devine presque sa prochaine réplique.

— Tu m'as l'air de mourir de froid, mon cher Samuel.

Gagné. J'entre dans son jeu, comme lui est entré dans le mien.

— En effet, je meurs de froid.

— Il serait donc temps de rentrer et de vous réchauffer.

— Je suis totalement d'accord. Mais il faut tout d'abord que vous me libériez.

Ses lèvres se collent rapidement sur les miennes, et il m'aide à me lever. Sa main ne lâche pas la mienne, alors que nous nous dirigeons vers notre appartement. Avant de rentrer dans l'enceinte du bâtiment, il s'arrête et me fixe droit dans les yeux.

— Merci pour ça, Samuel. Ça m'a fait beaucoup de bien.

— Pour moi, c'est tout le principe des batailles de boules de neige. 

Ciel de NoëlOù les histoires vivent. Découvrez maintenant