Cadeau

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Je ne suis pas quelqu'un qui trépigne. Je suis même connue pour ma patience assez légendaire. Dans une file au supermarché, je serais toujours l'une des seules personnes qui continuera à sourire et à regarder droit devant elle, comme si tout allait bien. Je ne vais jamais crier sur une personne pour qu'elle avance plus vite, ou la dépasser en soufflant.

Mais cette règle a une petite exception. Et cette exception, c'est le soir de Noël.

Comme je suis jeune et que je n'ai pas d'enfants, je suis l'une des dernières à terminer ma garde, tout comme les autres jeunes sans enfants. C'est d'une injustice sans nom — nous aussi, nous avons une famille — mais je préfère me taire, car d'autres sont coincés toute la soirée dans les couloirs de l'hôpital. Les maladies, les cancers et les accidents ne s'arrêtent pas pour la venue du Père Noël — dans ce dernier cas, c'est même plutôt l'inverse. Je m'estime donc chanceuse de pouvoir avoir le droit de rentrer chez moi. C'est juste que je trépigne.

Dans les vestiaires, je trépigne.

Dans le bus, je trépigne.

Même dans les escaliers, je trépigne.

Mais heureusement, toute cette attente se termine une fois que j'ai passé la porte de l'appartement. La lumière jaune et tamisée m'envahit, tout comme la chaleur dans laquelle j'ai envie de me blottir. Mon nez, désinfecté par les aseptisants de l'hôpital, se réveille à son tour quand je hume les bonnes odeurs qui proviennent de la cuisine.

— Chérie ? C'est toi ?

Le cuisinier en sort même, un tablier rouge et vert autour de son cou, et lié à sa taille fine. En dessous, il est déjà bien habillé et c'est très difficile de ne pas le détailler. Moi, je ne ressemble à rien dans mon pull trop grand et dans mon jogging de grand-mère.

Mais dans ses yeux, je sais que je serais toujours la plus belle — même plus que sa mère, ce qui est un certain exploit. Son sourire transperce toute la pièce, et explique surtout la raison de mon trépignement. J'avais envie de le retrouver.

Mes lèvres imitent donc les siennes et je largue mes affaires sur le sol, pour venir le rejoindre. Je me colle contre lui, pour le serrer tout contre moi, avant de lever la tête et de l'embrasser.

— Oui. C'est moi.

— Je viens à peine de commencer à faire à manger. Je suis désolé, mais tu vas devoir attendre.

— T'inquiète pas, ça me laissera le temps d'aller me faire belle.

Je m'éloigne, mais il me retient par la main. Comme si c'était possible, son sourire essaie de rejoindre ses oreilles tant il est grand.

— Tu es toujours belle, Daisy.

— Je savais que tu allais dire ça.

— Je suis si prévisible que ça ?

— Un peu. Désolée.

Je lui tire la langue et je m'enfuis dans la chambre. J'ai passé plusieurs jours à concocter ma tenue, parce que je savais très bien que je n'aurais pas le temps de passer de longues minutes devant ma penderie. Je me suis même exercée à me faire un chignon assez sophistiqué grâce à une vidéo envoyée par Kat. Entre Kiera et elle, je suis entourée d'experte en chignons, et je n'ai pas le droit d'échouer.

Je saute donc à toute vitesse dans la douche, et je me parfume avec de la rose, qui est la senteur préférée de Callahan — il m'a même dit un jour que s'il le pouvait, il ne vendrait plus que cette fleur à Digitaline. Le maquillage est très rapide — Lola me manque soudainement, et je songe au fait que je n'ai pas eu de ses nouvelles depuis des semaines — et je passe enfin à la coiffure. J'essaie de penser que mes doigts sont entraînés avec toutes les sutures que j'ai pu faire au travail — la traumatologie, ça en engendre beaucoup — mais je dois m'y reprendre à plusieurs fois avant d'arriver à quelque chose de correct. Je n'aime pas trop la mèche sur le devant, et ça me rappelle surtout que je dois aller me couper les cheveux et potentiellement refaire ma couleur — au moins sur les racines. Je note donc de ne pas retenter cette coiffure et de rester à mes cheveux normaux, peut-être agrémentés de barrettes en plaqué or.

J'enfile ensuite ma robe, une pure merveille que j'ai dénichée en faisant les magasins avec Kat et Harold — c'est d'ailleurs lui qui m'a conseillé de la prendre. Elle est longue, si bien que je pourrais marcher pieds nus si l'envie m'en prenait — et c'est exactement ce que je vais faire — et surtout verte. C'est une sorte de clin d'œil à celle que je portais le soir du bal où Callahan m'a annoncé qu'il était amoureux de moi. La couleur est peut-être un peu plus claire et pétante, mais j'espère sincèrement qu'il comprendra mon petit manège. Une fois parfumée — toujours avec de la rose —, je sors enfin de la salle de bain. Comme je suis pied nu, je ne fais aucun bruit sur le carrelage de l'appartement — je risque juste d'avoir rapidement froid. Je cherche Callahan, pour qu'il puisse m'admirer dans mes habits de fête. Contrairement à ce que je pensais, je ne le trouve pas dans la cuisine, mais dans le salon. Il est assis au sol, de dos, et semble soucieux face aux cadeaux. Je souris avec malice, bien décidée à lui faire une petite farce.

Avec une certaine discrétion, j'approche de mon petit-ami et je colle mes mains sur ses épaules, tout en m'accroupissant au sol.

— Bouh !

Son sursaut et son retournement me font tomber sur mes fesses, sans la moindre grâce. La surprise laisse place à l'inquiétude sur son visage, mais je la balaye d'un coup en éclatant de rire.

— Ma chérie, tout va bien ?

— Oui. On va dire que c'est l'arroseur arrosé. Je voulais te faire peur et c'est moi qui finis par me ratatiner au sol comme une patate.

Il glisse sa main sur mon bras, vers mes doigts. Il les saisit avec une douceur extrême et il les colle sur ses lèvres. Même maintenant, alors que nous sommes ensemble depuis des années, il continue à être un véritable gentleman. Comme à chaque fois qu'il est comme ça, je fonds complètement.

— Tu es une très jolie patate alors.

Je pouffe et je m'assieds un peu mieux, faisant bouffer un peu ma robe. Callahan a à nouveau le nez collé sur les cadeaux à nos pieds.

— Je sais que ce n'est pas conventionnel, mais j'avais envie de te le donner tout de suite, et non après le repas.

— Pourquoi ? C'est un bavoir ? réponds-je en lui offrant une tête un peu sarcastique.

Je m'en veux immédiatement d'avoir utilisé le sarcasme quand je remarque son expression faciale. Il tient le cadeau avec ferveur, d'une main sûre, et je l'observe. Le paquet lui-même est une œuvre d'art. Je ne sais pas en quoi est fait ce gigantesque flocon argenté au milieu, mais il semble solide, comme une décoration à accrocher au mur. Le papier est d'un rouge qui hurle Noël, et le petit flot est noir, presque en soie.

— Désolée. Ce n'était pas drôle. Il est vraiment magnifique.

— C'est moi qui l'ai emballé.

— Je savais déjà que tu étais un artiste, mais là, c'est une beauté absolue.

Son sourire se fait un peu plus doux que précédemment, et je sais que j'ai réussi à me faire pardonner. Je me laisse couler contre lui, et je cherche ses lèvres pour sceller tout cela. Il me tient la taille d'une main et de l'autre, il tient toujours son cadeau. Moi, j'essaie de ne pas trop abuser dans le baiser, parce que j'ai quand même envie de l'ouvrir.

— Joyeux Noël, ma petite fleur.

— Merci, mon fleuriste préféré. 

Ciel de NoëlOù les histoires vivent. Découvrez maintenant