Cuillère en bois

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Mon ventre gargouille. Il est dix-sept heures, je suis en train de travailler sur mon ordinateur, et mon ventre gargouille comme si je n'avais rien mangé depuis des heures. Samuel, qui est sur le canapé, son PC sur les genoux — contrairement à moi, il joue — se tourne vers moi avec des yeux arrondis comme des billes. Il vit avec moi depuis quelques années maintenant, il devrait être habitué à mes bruits très étranges quand j'ai faim.

— Bon sang ! Y a quelqu'un qui est drôlement affamé là-dedans.

— Chut. C'est suffisamment gênant comme ça, je n'ai pas besoin de tes commentaires.

— Tu sais, ça arrive que la barre de l'appétit soit dans le rouge. Ce n'est pas un crime.

Il me montre l'écran de son ordinateur, et son Sims en train de préparer un repas avec sa famille. Tout le monde est au travail, même les enfants qui sont montés sur un tabouret. Voir des bouts de pixel manger d'autres bouts de pixel me donne encore plus faim.

— J'ai une idée, continue Samuel en fermant son PC un peu violemment pour moi. Nous aussi, on va cuisiner.

— Il n'est que dix-sept heures... je sais qu'en Angleterre, c'est courant de dîner super tôt, mais je n'y tiens pas forcément. Je ne suis pas une poule.

Et comme pour me contredire, mon ventre gargouille avec un grand bruit. Je baisse la tête, franchement honteux. Mes pommettes sont plus rouges que mon pull.

— Je n'ai pas dit qu'on allait cuisiner le repas du soir. Juste nous faire un petit goûter. Enfin, te faire un petit goûter, le grand affamé.

Il quitte le canapé pour venir me rejoindre à mon bureau, et m'embrasse très rapidement la joue. Ma concentration est définitivement perdue. Je ne pense plus à régler cette erreur de codage, mais à réclamer plus de baisers de ce genre. Je suis un faible.

Je ferme donc à mon tour mon ordinateur, en prenant soin de sauvegarder ce que j'ai fait, et je vais retourner Samuel dans la cuisine. Il est déjà en train de sortir les bols, les ustensiles et mieux encore, le chocolat.

— Tu vas me faire tes fameux brownies ?

On va faire mes fameux brownies. Tu vas participer.

Je remonte les manches de mon pull et je me lave les mains pour acquiescer à ses dires. Je suis prêt à remuer de la pâte ou m'occuper du chocolat.

— Tu me fais fondre les palets s'il te plaît ?

Rapide comme l'éclair, il les a déjà pesés dans un saladier en verre. Il n'y a pas que sur les parquets que cet homme est doué. Mettez-le dans une cuisine pour pâtisser et il sera merveilleux. Il devrait s'inscrire à cette émission culinaire dont le nom m'échappe.

J'attrape donc le récipient pour le placer dans le micro-ondes, comme je l'ai toujours appris.

— Hors de question d'utiliser ce truc. Tu le fais au bain-marie. Tu prends une grande casserole d'eau chaude, tu la poses sur le feu et tu plonges très légèrement le saladier de chocolat dedans. Et ensuite, tu remues pour que ça fonde.

Qu'est-ce que je disais ? Un vrai pâtissier. Je m'exécute donc sans rechigner, parce que je sais que je vais être récompensé par une délicieuse odeur de cacao flottant dans la cuisine. Mon ventre en gargouille d'autant plus.

— Et l'affamé, je t'interdis de grignoter la marchandise ou je te préviens, je te punis.

— Tu me punis ? Comme un enfant de cinq ans ? Pas de dessert et direct au lit ?

Je m'amuse, tourné vers lui et ne faisant plus attention à mon chocolat. Il est en face de moi, en train de préparer la pâte pour les brownies : les œufs, le sucre et la vanille. Tout en ne me quittant pas des yeux, il va faire chauffer le beurre au micro-ondes. Lui, bizarrement, il y a droit.

Ciel de NoëlOù les histoires vivent. Découvrez maintenant