Lecture aléatoire

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Dans la vie, il y a les premières danses, la découverte du partenaire, parfois même de la danse en elle-même. Il y a également les dernières danses, celles des adieux, celle du cœur qui se brise, des dernières étreintes. Mais il y a quelque chose qui me frappe totalement, c'est qu'on ne parle jamais de celles entre les deux. Celles du milieu. Celles de la vie de tous les jours. Celles où nous ne sommes pas forcément bien habillés, comme ça, au détour d'une chanson qui nous touche. Celles que j'appelle les vraies danses.

Je suis allongé sur le canapé, la tête sur le ventre de Curtis. Il lit un livre au-dessus de moi, faisant défiler les pages numériques sur sa tablette. Il est silencieux comme à chaque fois qu'il se laisse embarquer dans une histoire. En ce moment, il est dans sa période fantasy. La plupart du temps, il râle du manque de diversité de toutes ces créations. C'est toujours une femme forte, un homme qui peut être sensible, et souvent le même schéma. Ils se détestent au début, et finissent par se rapprocher. Une scène chaude plus tard, ils sont inséparables et plus rien ne peut les abattre.

C'est un soupir qui me fait me décider. Il manque de m'assommer en aplatissant sa liseuse sur ma tête, et je me relève doucement, avant de me replacer contre son épaule.

— Cette histoire me crispe vraiment. Je suis en train de me forcer parce que tout le monde me l'a vendue. Mais je n'accroche pas.

— Tu veux danser ?

Ça, c'est une danse du milieu. Sans préparation, sans préavis. Quelqu'un propose, et c'est parti.

— Oui. Dans tes bras, au moins, je ne m'ennuie pas.

Je ne savais pas vers quel style me diriger — nous ne dansons pas que de la valse — et là, je sais. Je vais revenir à nos premières amours.

— Rassure-moi, il n'y a pas de valse dans ton bouquin ?

— Apparemment si, mais je n'y suis pas encore.

Il se lève avant moi, et me propose ses mains, déjà cadrées. Ses yeux sont pleins de défis, et j'adore ça.

— Tu me guides, mais je choisis la musique. Ça te va ?

— Ça me va.

Il sort son téléphone, la connecte très rapidement à l'enceinte de son appartement, et je souris en reconnaissant l'air. Ce n'est pas la première fois que je l'entends, puisque c'est l'une des préférées de Curtis. Ce n'est absolument pas du classique, comme on pourrait s'y attendre. Mais comme je l'ai dit, c'est ce qui fait la magie et le spontané des danses du milieu.

Nos pas se décalent derrière le canapé, dans cet espace entre l'espace salon et l'espace salle à manger. Je profite du parquet, et je suis presque tenté d'enlever mes chaussettes. Et comme mon partenaire me vole mon idée, je ne me gêne pas pour le copier. Nous voilà pieds nus, à danser sur une guerre de cœur.

— T'as fait exprès, avec le refrain ? dis-je en commençant doucement.

Encore une particularité de la danse de milieu. On ne se prend pas la tête. Nous ne sommes pas à un bal, ni à Vienne, ni à une compétition. On danse, c'est tout. On profite du moment, de cet instant dans les bras de l'autre.

— Même pas. Je te promets. C'est la magie de la lecture aléatoire.

— Si tu ne le savais pas, je le déclare solennellement. J'aime la lecture aléatoire.

Nous continuons à tourner dans le salon, et les chansons défilent doucement sous nos pieds. Nous ne voyons pas vraiment le temps passer, et c'est la transpiration qui nous fait nous arrêter. Reprenant notre souffle, nous retournons sur le sofa. Nous retrouvons nos positions précédentes, moi fixant le plafond, allongé contre son ventre, lui avec son livre numérique. Mais avant de se replonger dans son histoire, il m'embrasse la joue, et déclare.

— J'adore danser avec toi pour rien, comme ça.

— J'appelle ça les danses du milieu, même si c'est bizarre.

Il me sourit, et je fonds comme une immense guimauve.

— Je valide totalement. Le nom et le concept.

— Parfait. Parce que je ne compte pas m'arrêter. 

Ciel de NoëlOù les histoires vivent. Découvrez maintenant