Schrödinger

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— Oh mon dieu ! Rio Hardy, le joueur de foot ! Mais qu'est-ce que vous faites ici ?

J'ai fait exprès de choisir un refuge très éloigné de Newcastle afin de ne pas être reconnu par d'éventuels fans. Le problème, c'est que j'aurais dû carrément changer de pays pour éviter qu'on me saute dessus en me demandant un autographe. Derrière moi, dans son fauteuil, Miho se marre comme ce n'est pas pensable.

— Je viens adopter un chat. Et je suis aidé par...

— Oh mon dieu, continue la fille qui nous accueille, est-ce votre copain ?

Elle hurle pratiquement, et je me recroqueville, ma tête entre mes épaules, comme pour me cacher. Ce n'est pas la première fois qu'on m'alpague depuis ma conférence de presse et la révélation de ma bisexualité, mais jamais de manière aussi... aiguë. Elle paraît tout excitée et saute partout. J'aurais dû me déguiser, ou demander à Daisy d'accompagner Miho — je fais confiance à mon fiancé pour choisir notre mascotte à quatre pattes. C'est vraiment le plus gros désavantage de la célébrité.

— Oui, répond le copain en question.

Pour l'instant, nous n'avons pas révélé au public que nous sommes plus que ça, tout simplement pour garder un semblant d'intimité. Mon ancien agent se moquerait de moi s'il m'entendait.

— Oh ! La chance que j'ai ! On peut faire une photo tous les trois ?

— Non, répliqué-je. Nous sommes là pour adopter un chat, pas pour jouer au paparazzi. Je vous en prie, faites comme si j'étais un inconnu qui souhaite donner une nouvelle vie à une petite boule de poils.

Elle ravale son sourire, et Miho me donne un coup dans la hanche, sauf que ça ne me fait rien du tout. Je suis tout simplement agacé.

— Bien. Suivez-moi s'il vous plaît. Je vais vous montrer les cages. Que préférez-vous ? Chatons ou adultes ?

— Indifférent. Nous fonctionnons au coup de cœur, réponds-je.

Ça, ce n'est pas absolument vrai, puisque j'ai déjà ma petite idée derrière la tête. J'aimerais beaucoup que nous adoptions un chat orange.

— D'accord.

Nous marchons dans un silence pesant, et je suis content que Miho puisse passer avec son fauteuil à côté des cages.

— Nous y voilà.

Les petits miaulements me font fondre le cœur, et je ne peux pas m'empêcher de me baisser vers eux. Les chatons sont souvent des petites bêtes qui ont été confiées par des familles qui n'ont pas réussi à les faire adopter ou à les tuer. Ils sont souvent très appréciés par les futurs adoptants parce que c'est plus agréable de voir son chat grandir. Le problème, c'est que malgré leurs bouilles toutes mignonnes, il n'y a pas de chaton roux. Un noir, deux blancs, plein de tigrés, quelques tachetés. Mais pas de roux.

— Regarde ceux-là, moi, je vais voir les adultes.

Miho passe les doigts au travers des cages pour les attirer jusqu'à lui, et il sourit de toutes ses dents. Il est beaucoup trop mignon, c'est une vraie catastrophe. J'ai envie de lui embrasser la tempe, mais étant donné que l'employée est toujours là, je me retiens.

Je me baisse à nouveau vers les cages, et mes yeux naviguent sur les pelages. Du noir — beaucoup — du blanc, du rayé. Et finalement, un bel orange clair. J'écarquille les yeux derrière mes lunettes, et je me déplace sur les côtés pour l'attirer jusqu'à moi. Je tends les doigts, en émettant des bruits étranges avec ma bouche.

— Je suis ridicule, chuchoté-je, remarquant que le chat se moque totalement de moi.

— Il te boude ?

Miho est parvenu à côté de moi, et je me relève à hauteur d'homme. Je ne lâche pas le rouquin des yeux.

— Oui. Alors que c'est un chat orange. Il devrait m'aimer.

— Pas forcément. Toi, tu es le rouge. C'est nous deux qui sommes le orange. On essaye ensemble ?

Je glisse une main sur son épaule, en souriant. Mon envie de l'embrasser est de plus en plus forte, et pour lui aussi. Un bout de dent dépasse de ses lèvres, et les mordille.

— Minou minou minou, lançons-nous en même temps.

Le chat relève la tête, nous observe sans bouger. Je pourrais presque entendre les battements de mon cœur. Il faut qu'il nous aime, ou je déclare forfait et je choisis un chat noir. Après une hésitation, le chat avance enfin vers nous. Nos lèvres s'étirent presque en même temps lorsqu'il vient se frotter contre nos mains, en ronronnant comme un tracteur.

— Je craque, murmure Miho. Il est presque aussi doux et mignon que toi.

— Presque.

Il se tourne vers moi, et m'indique de m'approcher. L'employée ne fait plus attention à nous, et est en train de donner à manger aux chatons. C'est l'occasion ou jamais. Nos lèvres se joignent rapidement, et nous nous sourions de toutes nos dents.

— Il reste une question épineuse.

— Laquelle ?

— Comment on va l'appeler ?

Mes lèvres s'étirent encore plus, et je croise les bras sur ma poitrine.

— Facile. Très facile, même.

Mes yeux croisent les iris ambrés de Miho.

— Schrödinger, ça te plaît ? 

Ciel de NoëlOù les histoires vivent. Découvrez maintenant