Paris, le 24 décembre 1999
Mon petit Valentin,
C'est ta maman qui t'écrit cette lettre, et elle te sera remise lorsque tu fêteras le Noël de tes dix-huit ans. Dix-huit ans... tu penses sans doute que je suis une vieille qui ne fait que t'embêter, et qui est incroyablement curieuse (je me connais, je suis sûre que je voudrais tout savoir sur ta vie, sur tes amours et tes projets). Cela me paraît loin, surtout alors que je te regarde dormir dans ton berceau.
Cela fait un peu plus de deux mois que tu es arrivé dans notre famille, avec ta bouille toute ronde et tes yeux plus bleus que le ciel. Le médecin qui m'a accouchée m'a dit que tes iris allaient sans doute changer de couleur au fil du temps. Peut-être avec les autres bébés, mais pas avec toi, mon amour. Parce que toi, tu seras un tombeur avec ton regard à couper le souffle. J'en suis absolument certaine.
Ton père ne comprend pas pourquoi je suis assise là, dans ta chambre, sur le fauteuil à bascule offert par ton grand-père (c'est lui qui l'a construit exprès pour moi) à t'écrire tout cela. Il est épuisé par la soirée et parce que tu le sais sans doute maintenant, mais s'occuper d'un bébé, c'est vraiment très énergivore ! Même si je répète à tout le monde que tu es parfait et très mignon quand tu dors, je rêve d'une sieste de douze heures d'affilée. Mais à la place de retrouver mon lit et mon petit mari, je préfère t'écrire tout cela.
Aujourd'hui, donc, tu as fêté ton premier Noël et je couche tout cela sur une feuille pour que tu t'en rappelles. J'ai été légèrement déçue qu'il ne neige pas, mais après réflexion, je me suis dit qu'il valait mieux que tu te souviennes de cet événement fantastique.
Avant de te mettre au lit, nous avons passé du temps avec ton papa. Nous étions tous les trois super beaux ! Théodore, lui, était en costume, le même que quand on s'est mariés (je pense qu'en 2017, ce même costume doit prendre la poussière au fond d'une armoire, ou qu'il a été mangé par les mites). Moi, je n'avais pas ma belle robe blanche, mais j'étais quand même jolie (c'est papa qui me l'a dit, je ne me vante pas, ce n'est pas mon genre !). Toi aussi, tu étais à croquer ! C'est une amie qui m'a offert ce body-pyjama noir, tout doux, avec un petit dessin de nœud papillon incrusté. Un futur gentleman !
Nous nous sommes assis tous les trois devant notre sapin pour ouvrir les cadeaux. Je pense qu'à ton époque, il est mal vu d'avoir un arbre vivant chez soi, mais nous, nous aimons cela. Moi pour la senteur des épines et ton père parce qu'il peut le dessiner. Il trouve que les sapins artificiels manquent de nuances et sont affreusement tristes. Peut-être que quand tu viendras nous rendre visite, une fois adulte, tu nous critiqueras et nous aurons des discussions enflammées à ce sujet. Mais sache, mon fils chéri, que tu as adoré notre sapin. Nous avons protégé tes petites mains des épines, mais tes yeux étaient pleins d'étoiles.
Nous t'avons offert un doudou pour ton premier Noël parmi nous. Je suis au courant que ce n'est pas très original, mais que veux-tu, nous sommes des parents, nous sommes vieux et nous sommes fatigués. Par contre, nous avons été audacieux sur la teinte de ton ourson. Nous étions si incapables de nous mettre d'accord (ton père souhaitait du violet et moi du vert) que nous lui avons choisi une peau de toutes les couleurs ! Je suis certaine que tu l'adoreras quand tes petits yeux seront capables de différencier toutes les nuances de l'arc-en-ciel.
Ton papa pense que c'est une sorte de déformation professionnelle. Ça m'étonnerait que ça ait changé, parce que c'est l'essence de sa personne, mais je te le dis quand même : Théodore est peintre. Il nourrit secrètement l'envie que tu sois comme lui, un créatif. Nous avons même fait un pari ce soir ! Je suis certain que tu seras aussi littéraire que ta maman d'amour, à dévorer les auteurs français. Ton papa, lui, serait capable de te mettre un pinceau dans les mains dès ton plus jeune âge. Il est même d'ailleurs content que l'on t'enseigne d'abord à peindre à la maternelle, avant la lecture en CP. Ne lui dis surtout pas, mais j'ai pour projet de te faire apprendre à lire avant que tu aies six ans. Ça en bouchera un coin à ta maîtresse !
Je ne connais pas encore ton sourire, mais je suis capable de t'imaginer en train d'étirer les lèvres derrière cette feuille. Peut-être que je me fourvoie complètement et que tu ne seras ni littéraire ni créatif. Peut-être que tu nous regarderas étrangement quand nous te parlerons de nos passions. Peut-être que nous n'aurons rien à nous dire.
Je voudrais terminer cette lettre en te déclarant ceci : tu n'as que deux mois et demi, mais je suis fière de toi. Je suis fière d'avoir un fils tel que toi. Et je serais toujours fière de toi. Je serais fière quand tu commenceras à marcher, à parler, à t'exprimer avec tes mots, à tout apprendre de la vie. Je serais fière de toi quand tu feras tes premiers pas à l'école, quand tu rapporteras tes premières notes, bonnes ou mauvaises. Je serais fière de toi quand tu grandiras, quand tu ne voudras plus de ton cartable, quand tu réclameras des baskets à la mode alors que les tiennes seront très bien. Je serais fière de toi quand tu seras un ado au caractère de cochon, qui s'enfermera dans sa chambre en claquant la porte, qui nous fera tourner en bourrique, et qui écoutera de la musique à fond. Je serais fière de toi si tu nous présentes quelqu'un, je serais fière de toi si tu ne nous présentes personne. Je serais fière de toi quand tu nous parleras de ton futur métier avec des étoiles plein les yeux. Et je serais fière de toi quand tu liras cette lettre, à Noël, dans dix-huit ans.
Je t'aime mon fils, de ton mon cœur,
Ta petite maman (chérie)
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Ciel de Noël
Short StoryParce que manger des chocolats, c'est sympa, mais lire des petites scènes bonus des cieux, rédigées exprès pour ce calendrier, c'est encore mieux ! Au programme, toutes les saisons, des petits personnages bien sympathiques, une ambiance de Noël dign...