Feu

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Je m'assieds sur le canapé avec un craquement qui ne présage rien de bon. Je grimace franchement en me tenant les reins. La vieillesse me rattrape et est en train de me frapper de plein fouet. La réalisation est violente. Je suis un vieux pépé.

Je grommelle en enlevant mes chaussures. Encore une fois, mon dos fait des siennes et cette fois-ci, je jure à haute voix.

— Y en a marre à la fin !

J'entends quelques pas dans la cuisine et Samuel surgit à toute vitesse. Si moi, je suis une sorte de tas craquant de tout partout, lui, il est incroyablement bien conservé. Le pire là-dedans ? Il est plus vieux de trois mois. Ses cheveux ont adopté un blanc absolument divin, il porte de belles lunettes aux bords fins dorés, toujours à la pointe de la mode, et il possède un look de dandy chic. Quand je le regarde, je me demande parfois ce qu'il fait encore avec moi.

— Mon amour, ça va ?

Il accourt et s'assied à côté de moi, en me prenant les mains. Ses yeux bruns cherchent les miens, et quand ils les trouvent, son sourire illumine toute la pièce. Ma mauvaise humeur est légèrement chassée.

— Je suis vieux, voilà ce qu'il y a. J'ai l'impression d'être un kit. Faudrait me ramener au fabricant pour que je puisse passer à la révision.

— C'est parce que tu es craquant que tu dis ça ?

Cette fois-ci, c'est le sourire qui vient m'envahir. Il a toujours le bon mot pour me faire oublier mes problèmes.

— Oui. Mais pas dans le sens que tu crois.

Je baisse la tête et observe mes charentaises. Elles sont enfin à mes pieds, après moult efforts.

— Je suis un petit vieux dans tout ce que je fais. J'aime les chaussons confortables, les jeux l'après-midi, la tisane à dix-sept heures, contempler les pigeons manger du pain, m'emballer dans une couverture chaude et regarder les films de Noël en priant pour qu'un jour, on en voie un qui nous ressemble. Enfin, qui nous ressemblait, quand j'étais beau et fringant.

Samuel s'assied mieux dans le fauteuil et lie ses doigts aux miens. Son alliance dorée brille à la lumière jaune de notre salon. À chaque fois que je la regarde, des bribes de cette journée me reviennent en mémoire. Et après, je prie pour que ma cervelle ne m'ait pas joué de tours.

— Tu es toujours beau et fringant. À mes yeux au moins.

Je siffle entre mes dents, ne le croyant pas. Mais il ne se laisse pas faire par mon pessimisme et s'installe complètement à côté de moi. Il ramène le pouf devant nous, et m'oblige presque à poser mes pieds dessus. Encore une fois, mes os craquent dans tous les sens. Je devrais peut-être consulter ?

Samuel se lève ensuite, et avise la cheminée. Elle n'a été utilisée que trois fois depuis que nous sommes là, mais je m'occupe de son nettoyage tous les ans, parce que ma principale hantise, c'est qu'elle nous cause des problèmes. À la base, je voulais qu'elle soit bouchée quand nous avons acheté cette maison, mais Samuel a insisté pour qu'on la garde. Ça me fait plaisir qu'il se rappelle qu'elle existe, et qu'il y place des bûches. L'allume-bougie que nous utilisons pour enflammer le bois est dans une boîte, sur les rebords, qui auraient besoin d'un bon nettoyage. Mais comme mon petit mari est parfait, il ne fait aucune remarque sur l'entretien de cette maison. De toute manière, je pense qu'il sait comment je réagirais. Je grognerais en lui disant que s'il n'est pas content, il peut s'en occuper lui-même.

— Comme il fait très froid dehors et que nous rentrons du magasin, nous allons nous reposer tranquillement devant la cheminée, pendant que je te ferais une dissertation complète sur le fait que tu es merveilleux, que tu n'es pas vieux et que les problèmes rhumatologiques, ça existe et c'est normal à nos âges.

Je sens déjà la chaleur m'envahir, bien installé sur mon fauteuil. Samuel revient à côté de moi, et m'offre une couverture reçue pour Noël de la part de je ne sais plus trop qui. Elle permet de couvrir deux personnes en même temps, et chacun passe un bras dans l'espace prévu à cet effet. Ce que j'adore là-dedans, c'est que nous sommes obligés de nous rapprocher sur le fauteuil et de nous coller.

Quand il se rassoit enfin à mes côtés, je tire légèrement sur son veston et il comprend le message — ai-je déjà fit à quel point il est parfait ? Il m'embrasse doucement, mais c'est plus long que d'habitude. Parfois, je ressens aussi la vieillesse dans notre couple. Ce n'est pas que la routine ou les habitudes me dérangent, mais j'ai l'impression que nous nous encroûtons autour d'elles, et que nous estimons que notre flamme est éteinte depuis des années. Sauf que nous n'avons jamais été du type flamme éteinte. Nous avons été un brasier en sortant de notre adolescence, nous nous sommes peut-être un peu calmés en entrant dans l'âge adulte, mais nous avons continué à brûler. Et j'adore quand soudainement, la vie me le rappelle.

— Profitons de la cheminée, glisse-t-il, quand j'accepte enfin de me séparer de lui. Nous allumerons notre feu interne lorsque celui-ci sera éteint.

Il a toujours su comment me parler. D'ailleurs, c'est l'une des premières choses que je lui ai dites au moment de prononcer nos vœux de mariage.

— Tu n'as pas peur que je finisse par mourir par trop d'exercice ?

— Je sais être doux.

Il se rapproche de moi, nos pieds s'emmêlent et il laisse tomber sa tête contre mon épaule. Il est si beau qu'en réalité, je pourrais me consommer sur place.

— Et puis, nous ne sommes pas dans les Sims.

Je pouffe, les yeux perdus dans les flammes. J'ai tout à fait raison. Il connaît les mystères de mon fonctionnement, et de mes humeurs de vieux pépé. Je ne suis plus du tout grognon. J'aimerais juste que cet instant ne s'arrête jamais. 

Ciel de NoëlOù les histoires vivent. Découvrez maintenant