J'ai tenté de spoiler le moins possible !
Nous sommes sur le canapé, assis en tailleur, une tasse de café entre les mains. J'ai l'air grave, et elle aussi.
— Kiera. Je dois te dire un truc.
Je fronce plus encore les sourcils pour accentuer mon propos.
— Maintenant que tu es ma copine, il va falloir que tu passes un rite. Le rite de la famille Reagan quand les fêtes de Noël arrivent.
Elle hoche la tête pour m'inviter à continuer. Je me lève de ma place et je me dirige vers les cartons de décoration qui traînent toujours dans le salon, au pied de notre sapin tout juste décoré. En dessous des vieilles guirlandes refourguées par ma mère se trouve une récente acquisition. J'ai profité de nos emplois du temps différent pour aller l'acheter dans la même boutique que le mien. Le vendeur m'a immédiatement reconnu et il m'a charrié pendant que je payais quand il a compris que j'avais une petite amie.
— Voilà le rite. À toi de le commencer.
Je lui tends le sachet et elle l'ouvre avec un air suspicieux — ou devrais-je dire avec son air de serpent qui lui va si bien. Je n'ai pas pris la peine d'emballer mon achat, puisque ce n'est pas vraiment un cadeau.
— T'es sérieux ?
— Très.
— Oh bon sang, ce que c'est kitsch !
— Je suis au courant. Mais c'est le rite. Si tu veux continuer à être ma copine, il va falloir que tu le mettes tous les jours jusqu'à Noël. C'est comme ça.
— Si j'avais su...
Je la fixe avec surprise, et elle me siffle dessus. L'instant d'après, elle place le serre-tête sur ses cheveux, détachés pour l'occasion.
— Voilà. Ça te convient, Ô Coby Reagan ?
— Tu es parfaite.
Je me recule un peu pour l'observer. La moue boudeuse, son grand pull noir qui laisse légèrement entrevoir un bout de sa poitrine, elle n'arrête pas de toucher son serre-tête aux bois de rennes. Je l'ai choisi un peu plus sophistiqué que le mien, puisqu'il comporte des petites fleurs entre les deux oreilles. Elle est très mignonne, mais je crois que je vais bien me garder de le lui dire, au risque qu'elle fasse le serpent toute la journée, sans la moindre interruption.
— Et toi du coup ? Tu ne prends pas part à la tradition de ta propre famille ?
— Si, si, deux petites secondes.
Je plonge à mon tour la main dans le sachet que j'ai offert à Kiera, et je déniche mon serre-tête. Je l'ai changé l'année dernière, puisque mon ancien me donnait vraiment mal à la tête.
— Tadam.
J'écarte les bras pour un peu plus de style, et je souris de toutes mes dents. Mon serpent préféré se tait et m'observe de bas en haut. Tout comme elle, je suis en gros sweat confortable, puisque nous étions en train de jouer à Mario Kart pour décider qui de nous devait aller faire les courses aujourd'hui.
— T'es pas trop mal, en effet.
— C'est tout ?
— Désolée de te l'annoncer aussi abruptement, Cobichou, mais tu as déjà été bien plus chou que ça. C'est un fait indéniable.
— Quelle horrible personne tu es !
— Je sais.
Elle pose ses deux coudes sur ses genoux, et elle tient sa tête de ses deux mains. Son sourire est mutin à souhait, et comme d'habitude, c'est encore moi qui me fais avoir comme un bleu. Cette fille veut ma mort, c'est presque certain maintenant.
Puis, soudainement, elle attrape un des cordons de mon sweat, et elle me tire vers elle. Pris par surprise, je dégringole à moitié sur elle. Fort heureusement, elle a des réflexes de ninja et elle me rattrape au vol. Elle en profite même pour me coller un long baiser sur les lèvres, qui manque à nouveau de me faire tomber comme une chiffe molle.
— Mais t'inquiète pas, Cobichou, je t'aime quand même. Même si ta tradition est kitsch à souhait.
Mon petit cœur en rebondit de joie et je m'assieds carrément sur les genoux de Kiera pour éviter de glisser au sol. Avant de l'embrasser à nouveau, je murmure.
— Heureusement.
***
Nous sommes le soir de Noël et nous venons de rentrer de la soirée chez mes parents. Comme à chaque fois qu'elles se croisent avec Kiera, elles ne peuvent pas s'empêcher de se bouffer le nez — étant donné qu'elles ont toutes les deux un sacré caractère. Mon père et moi, nous avons tenté de jouer les arbitres, mais sans succès. Nous sommes donc repartis le plus vite possible vers notre appartement, où Kiera souffle enfin.
Elle a retiré ses chaussures à talon — mais heureusement, pas sa merveilleuse longue robe rouge — et elle est debout devant la fenêtre du salon, l'une des seules de la pièce à vivre. Elle a ouvert, malgré le froid, et je peux déjà remarquer ses épaules nues qui sont en train de rougir. Je joue donc au Cobichou pour venir la réchauffer.
— Ça va ? Je suis désolé pour ma mère.
— T'inquiète. Je m'y suis fait, depuis le temps. Elle ne supporte pas de te savoir en couple, c'est tout. Elle aurait pu éviter de me traiter de gros parasite, certes, mais c'est comme ça. En fait, je suis en train de penser à ma propre tradition familiale.
— Ah ? Je t'écoute.
Je suis juste derrière elle, les mains sur ses épaules. Elle se blottit contre moi, et j'en profite pour l'entourer amoureusement. Je l'entends presque soupirer d'aise.
— Quand j'étais enfant, on avait l'habitude de se mettre à la fenêtre et d'allumer des cierges magiques pour le Père-Noël. On n'avait pas de cheminée chez moi, du coup, on laissait la fenêtre ouverte pour qu'il puisse passer. Et on lui envoyait un petit signal dans la nuit noire. Ça fait longtemps que je ne crois plus au Père Noël, mais tous les ans, je fais ça. Et j'avais envie que tu m'accompagnes.
Elle se retourne vers moi, un sourire à la limite du mélancolique sur les lèvres. Je n'aime pas la savoir mal ou torturée par certains de ses souvenirs, et je me sens toujours aussi impuissant quand il s'agit de la réconforter. Si bien que je fais la seule chose qui me passe par la tête.
— Avec grand plaisir.
Elle me colle un baiser sur la joue et elle court pieds nus dans notre chambre. Elle revient une petite trentaine de secondes plus tard avec un sachet blanc opaque — pour que je ne puisse pas voir ce qu'il renferme. Elle en sort un paquet de cierges magiques, ainsi qu'un allume-bougie — puisqu'elle a peur des allumettes. Elle me tend le bâtonnet en silence, et elle l'embrasse d'un coup de main. L'instant d'après, elle fait de même avec le sien.
Émerveillé par tous les crépitements que produisent les cierges, je me rapproche de ma copine pour la serrer contre moi. Les bois de nos serre-tête de rennes s'entrechoquent, mais je n'en ai rien à faire. Nous sommes devant la fenêtre, prévenant le Père Noël que nous l'attendons de pied ferme. Et surtout, nous sommes ensemble.
Mon serpent préféré, moi, et nos traditions.
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Ciel de Noël
Short StoryParce que manger des chocolats, c'est sympa, mais lire des petites scènes bonus des cieux, rédigées exprès pour ce calendrier, c'est encore mieux ! Au programme, toutes les saisons, des petits personnages bien sympathiques, une ambiance de Noël dign...