Marrons chauds

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En ce jour de la Saint-Sylvestre, pour moi, le rôle le plus important est celui qui occupe la cuisine. Sans cet être humain, les convives ne mangent rien, et attendent toute la soirée, l'estomac dans les talons, que le père Noël fasse sa tournée. Il est hors de question de décevoir toutes les personnes qui nous rendent visite, si bien que je suis attelé devant les fourneaux depuis le début de la journée.

J'ai sélectionné tous les ingrédients moi-même et j'ai mis le prix en achetant la dinde — mes invités le valent bien. J'ai senti, touché et même goûté certain des aliments que je vais utiliser afin d'être sûr de moi et de faire plaisir. Je ne suis peut-être pas doué pour offrir des cadeaux, mais par contre, je suis sûr de mes compétences en cuisine.

Alors que je suis en train de remuer les marrons dans leur poêle, je sursaute en entendant la porte claquer au loin, dans l'appartement. Je ne peux pas m'empêcher de sourire, puisque j'ai laissé celle de la cuisine ouverte afin qu'il sente les délicieuses odeurs une fois qu'il aura fini de travailler. Et je comprends que c'est gagné quand je perçois ses pas approcher.

— Ça sent divinement bon.

Il sait comment parler à mon cœur de cuisinier, en plus de mon cœur amoureux. J'évite de me retourner pour le voir arriver dans notre grande cuisine, puisque si je fais ça, je risque grandement de me déconcentrer. L'envie est fortement prenante.

Il parvient enfin sur le pas de la porte et je tape ma cuillère de bois sur la poêle pour qu'il me repère dans la pièce. Il ne fréquente pas beaucoup cette pièce, et il n'a pas ses habitudes comme dans le salon, son bureau ou notre chambre.

— Que fais-tu ? Puis-je goûter ?

Tout mon corps se tend à son approche, c'est une vraie catastrophe. Ma seule envie est de me retourner, de le prendre dans mes bras et ne plus jamais le lâcher. Nous ne voyons pas beaucoup en ce moment, puisque je passe certaines de mes nuits à l'observatoire et qu'il était en tournée pour ses livres dans tout le Royaume-Uni. Il a exigé auprès de son éditrice d'être chez lui pour Noël. Heureusement qu'elle a accepté ou je sens que j'aurais dépéri comme un vieux légume pourrissant au fond du frigidaire.

— Ce sont des marrons chauds. Et oui, tu peux goûter, si tu le souhaites.

Comme je le redoutais, il se place juste derrière moi, pose sa tête contre mon épaule et glisse ses paumes sur mon torse pour me coller contre lui. Il sent si bon que j'en oublie ma cuisine pendant une seconde.

Comme d'habitude, mes yeux accrochent sa main gauche, et son annuaire habillé d'une alliance. C'est presque une fierté pour moi, que nous soyons officiellement associés aux yeux de la loi. Je recouvre cette main de la mienne, pour la serrer de toutes mes forces. Je baisse le feu des marrons au minimum pour éviter les catastrophes.

— Hyppolyte ?

— Oui mon cher mari ?

Je l'entends soupirer d'aise derrière moi. Il adore ce surnom, même s'il me soutient que non.

— Pourrais-tu te retourner, je te prie ?

Je m'en doutais et c'est pour cela que j'ai diminué le gaz de mes plaques. Je ne peux pas lui résister, surtout quand il parle.

— Est-ce parce que tu es gourmand ? repris-je.

— Oui. Je veux goûter tes lèvres avant de toucher ces fameux marrons. Est-ce français ?

— Effectivement.

Il desserre sa prise contre moi et je me retourne vers lui. Afin de ne pas le gêner, il a attaché ses cheveux en demi-chignon sur sa tête, et ses yeux noirs me regardent. Je suis toujours surpris quand c'est le cas, puisque je sais qu'il ne me voit pas.

Il pose ses mains sur mon visage, comme d'habitude. Ses doigts frôlent ma bouche pour la repérer avant de se pencher vers elle. Souvent, je termine le mouvement pour être sûr qu'il ne se rate pas. Nous adorons cela tous les deux ; nous avons l'impression d'être deux amoureux courant l'un vers l'autre et se retrouvant au milieu d'un pont.

Son baiser est une nébuleuse, comme à chaque fois que nous sommes séparés et que nous nous rejoignons enfin. Ses mains jouent avec mes longs cheveux que j'aurais dû attacher et il me rapproche plus encore de lui pour l'approfondir. Je sens que j'ai bien fait de diminuer le feu de mes marrons.

— Yahiko...

Je soupire entre ses lèvres, alors qu'il est en train de maltraiter mon cou. C'est bon, mais je ne peux pas me laisser distraire de mon travail.

— Oui ? Une plainte à émettre ?

— Je dois retourner aux fourneaux. Je ne peux pas m'abandonner dans tes bras, ou nos invités vont me faire une soupe à la grimace.

Il soupire en revenant vers ma tête. Son sourire lui mange la moitié du visage, si bien que même s'il est vexé, rien ne le laisse paraître.

— Nos invités sont embêtants, déclare-t-il tout d'un coup.

— Il s'agit de ta mère et de ton beau-père, ainsi que ma sœur et sa fiancée. Serais-tu capable de sortir à notre famille qu'elle est embêtante parce qu'elle t'empêche de prendre du bon temps avec moi ? Si tu le fais, je te préviens tout de suite : Lola risque de te le faire payer pendant de nombreuses années.

— Certes.

Il s'éloigne, franchement à regret, et reprend sa canne laissée contre un comptoir de la cuisine. Grâce à elle, il se dirige vers la table dont nous nous servons peu de fois, et s'assoit en face de moi.

— Mais ne t'étonne pas si ce soir, je sors de la salle de bain uniquement vêtu d'un nœud de soie.

J'écarquille les yeux, en manquant de renverser mes marrons, dont la cuisson a repris. Toutes mes mimiques ne sont pas visibles par mon mari, si bien que je recommence à parler.

— Pardon ?

— Je serais ton cadeau, et ta récompense pour le dur labeur que tu fournis en faisant le repas de Noël. Je souhaite simplement te prévenir, afin que tu ne hurles pas et que tu ne réveilles pas nos invités.

— Tu es un monstre Yahiko, hurlé-je presque, en cognant ma pauvre poêle qui n'a rien demandé.

— Et pourquoi cela ?

Je regarde le four, ainsi que les plaques professionnelles qui font ma fierté, avant de me tourner à nouveau vers lui, en faisant du bruit pour qu'il m'entende.

— Eh bien, à cause de toi, je n'ai plus du tout envie de cuisiner !

Il rit à gorge déployée, se moquant allègrement de moi. Puis, comme l'être vil qu'il est, il se lève, se dandine légèrement pour me montrer tous ses attributs, et s'en retire sans doute vers son bureau.

— Eh bien, tant pis pour toi !

Tout en l'observant et en m'imaginant me venger, je prie pour que ce repas, si délicieux repas préparé avec amour, soit avalé en un rien de temps, afin que moi aussi, j'aille apaiser ma faim. 

Ciel de NoëlOù les histoires vivent. Découvrez maintenant