Chapitre 44

7 3 0
                                    

Nous mangeons à pas d'heure, Laura et Lily ont eu tout le temps de parler. Et à la tête toute pâle de la télépathe, j'imagine qu'elle a appris la nouvelle. Cyril doit la connaître aussi, car je le vois souvent jeter des coups d'œil dans sa direction. Je sens venir la catastrophe quand la nouvelle va s'ébruiter, ou que Laura va carrément nous l'annoncer. Je pense qu'elle va le dire à Julien d'abord, ce qui semblerait normal, mais je n'ai pas la moindre idée de comment il va le prendre.

Petit à petit au fil du repas, la tension palpable fait se tarir la bonne ambiance et c'est avec un calme digne d'un cimetière que nous terminons de manger. Dommage, car malgré l'aspect bancal des préparations tout était excellent.

Laura s'éclipse avec Julien, pendant que nous débarrassons. Mais il ne faut pas longtemps pour entendre le cri effaré et de désarroi du jeune homme. Notre ouïe est peut-être meilleure qu'avant, sauf qu'un sourd aurait attendu cette exclamation à fendre l'âme, mêlée de désespoir et d'incrédulité.

— Ils se passe quoi ? demande Martin.

Lily me jette un regard, puis à Cyril. Estelle, fidèle à elle-même ne dit rien, mais Laurent calme rapidement tout le monde.

— Tu peux nous dire ce que tu veux Laurent, on sait qu'un truc cloche, déclare Benoit. Personne ne peut garder ses problèmes pour lui, ça peut potentiellement tous nous mettre dans la merde ! Je vais aller voir ce qui se passe.

Je ne peux pas m'empêcher de lui barrer le passage avant même de réfléchir. Les esprits s'échauffent. Je suis bousculée, Cyril et Laurent aussi. Estelle et Lily tentent de s'interposer. Mais c'est dur à cinq de boucher les deux portes qui permettent de quitter l'espace. Surtout que Cyril repousse Benoit au point de le faire chuter ce qui ne plait pas du tout à Martin qui propulse un couteau qui se fiche dans le mur en frôlant le visage de Cyril.

L'ambiance est électrique – sans mauvais jeu de mot – tout le monde se prépare à se défende en sortant la grosse artillerie. Plus personne n'écoute les autres. Je me cogne contre le mur en bloquant Boris. Puis un son assourdissant et une odeur de brulé mélangée au soufre nous interrompt.

— Putain ! Mais fermez vos gueules ! hurle Julien en déboulant dans la pièce.

Les tomettes au sol ont explosé à l'endroit où sa foudre a frappé.

— Vous voulez savoir ce qui se passe ? reprend-il. Je vais vous le dire ! Laura et moi allons être parents.

J'avais beau être au courant, j'en tombe sur le cul, presque littéralement, je suis obligée de me tenir au mur. La foule d'ennuis supplémentaires que cette annonce va nous amener me fait tourner la tête.

Les questions fusent, l'incrédulité des autres et leur désaccord sont palpables. Laura est bizarrement plus visée que Julien, alors qu'ils sont tous les deux fautifs. Mais tous les deux assument et ont décidé qu'ils garderaient l'enfant. Laura fait taire tout le monde à l'aide d'un cri pour ramener au calme et d'une dose de son pouvoir de télépathe.

— Nous allons vous quitter. Dès demain, ou après-demain au plus tard, nous partirons pour mettre toutes les chances de notre côté et essayer d'offrir un avenir à notre futur enfant.

Je n'écoute plus la suite des échanges. La seule chose que je réalise, c'est que nous ne serons plus que onze et eux, un groupe de deux. S'ils se font chopper, ils n'ont aucune chance. Et si c'est sur nous que les militaires tombent, nous en auront moins, car nous serons moins nombreux.

Laurent attrape ma main et la serre. Cyril me regarde et pour une fois, même si s'est ténu, je sens que la confiance qu'il tente d'afficher est feinte. Lui aussi est en train de réaliser que laisser en partir deux, c'est la porte ouverte à ce que d'autres finissent par se faire la malle pour n'importe quelle raison. Je suis certaine que cette idée en démange plus d'un, surtout d'aller essayer de retrouver leur famille, mais nous ne sommes personne pour interdire à Julien et Laura de partir. Sinon nous ne vaudrions pas mieux que ceux qui nous enfermés.

Lily quitte la pièce, je l'imite. Si Laura et Julien rêvent de fonder une famille ou autre, c'est leur droit. De plus, moins nous en saurons sur ce qu'ils comptent faire mieux c'est, car si nous croisons d'autres télépathes ils pourraient nous soutirer les informations. Et inversement...

Oui, dès qu'ils partent il nous faudra bouger aussi. Mais pour le moment, il ne nous faut pas réfléchir où, au cas où Laura le capterait. Donc n'y pense pas pour le moment.

Je ne râle même pas de son intervention dans ma tête, car je ressens toujours un certain bien-être quand c'est le cas. Et il est plus que bienvenu à ce moment précis.

Je finis par aller m'allonger par terre dans la plus petite chambre du premier – nous l'avons dépouillée de son lit. À même la moquette bleu ciel, je regarde le plafond. J'ai éteint la lumière en rentrant, ceux qui devaient s'entraîner ici, avaient dû la laisser allumer, du coup les étoiles lumineuses au plafond luisent. La personne qui les a posées a poussé la rigueur à l'extrême, car ce sont les réelles constellations qui sont représentées.

Je me perds un temps infini dans la contemplation de cette représentation de la voûte céleste, jusqu'à ce que le noir complet prenne ses droits. Personne n'est venu me déranger. Si je pouvais, je ne quitterais plus jamais cet espace pour échapper à ma vie à et nos responsabilités. Sauf qu'avec le mal que je me suis donnée pour en arriver là, ce serait stupide. Alors je prends mon courage à deux mains et quitte l'espace serein qui m'a abrité du monde.

Au pied du murOù les histoires vivent. Découvrez maintenant