Chapitre 10

17 6 1
                                    

Les miroirs du fond de la pièce d'entraînement se désopacifient et je découvre cinq box entièrement coupés les uns des autres.

Cinq d'entre-nous s'y rendent sous l'ordre de l'instructeur.

Je suis fascinée par ce qui se déroule. Emilie fait partie des cinq, elle parvient à manipuler de l'eau. Au début, il n'y avait rien d'autre qu'elle dans la pièce. Mais je crois qu'elle est parvenue à canaliser l'eau ambiante, ou peut-être une partie de la sienne pour former les petites billes translucides qui flottent. Elle doit viser des cibles, elle manque de précision, mais le papier se déchire à l'impact. Plus tard elle obéit à l'instructeur qui lui donne des ordres, elle a eu une bassine d'eau dans laquelle elle puise le liquide pour le modeler. Elle sue, mais ne flanche pas.

Dans un box à côté, un garçon essaie sans y parvenir de faire brûler des objets à distance. Son échec ne ravi par l'instructeur, mais il ne le puni pas, il lui fait reprendre des exercices qu'il maîtrise déjà apparemment, diriger ses flames en maintenant sa main en contact avec des objets. C'est tout aussi flippant que ce que fait Emilie.

J'assiste pendant au moins deux heures à des démonstrations diverses, toutes plus folles les unes que les autres. Certains n'ont pas des dons offensifs, mais leur démonstration n'en demeure pas moins étonnante. Laurent est entouré de plusieurs militaires, certains armés d'armes blanches — qui je l'espère sont toutes fausses. Il doit parvenir à anticiper qui va réellement le frapper.

Vient enfin l'heure de manger, l'instructeur ne me parle pas de ma punition, mais nous le retrouvons l'après-midi après nos quarante-cinq minutes de pause. J'essaie de ne pas laisser l'angoisse de ces trois heures d'enfermement m'atteindre, ce n'est rien trois heures, ça passera vite.

En arrivant au réfectoire dans le flot des autres élèves je m'aperçois que Camille m'esquive. La pièce est immense je décide de m'isoler. Il n'y a pas de raison que je rajoute à cet enfer en attendant des choses de personnes qui n'en ont rien à cirer de ma pomme.

Je m'applique à manger le repas, il y a du blé, je n'aime pas ça. Ça n'a pas de goût et la texture m'écœure, cependant il va me falloir de l'énergie.

L'après-midi se passe comme la matinée, sauf que mon binôme se montre moins provocateur et moins cruel. J'en aurais des bleus tout de même. Dommage qu'aucun de mes camarades ne sachent soigner de façon rapide, ce serait utile.

Nous ne nous entraînons que jusqu'à dix-sept heures, ensuite c'est une sorte de cours de stratégie ou de culture générale. Moi j'appellerais plutôt ça du bourrage de crâne. J'écoute, je prends des notes, bref je suis parfaite. Le sujet abordé est assez léger, peut-être parce que je viens d'arriver ou peut-être parce que c'est toujours comme ça. Le militaire nous parle de logistique, sans citer d'exemple précis. Il y a même toute une partie sur des techniques d'agricultures et d'élevages.

Quand l'espèce de voyant ornant la porte s'allume, je comprends que le cours est fini, il se manifeste sans qu'aucune sirène ou sonnerie c'est appréciable. Il faut voir le bon côté de chaque chose, surtout qu'il y en a peu ici.

Je range mon calepin dans la poche de ma veste et m'apprête à sortir quand notre professeur m'arrête.

— C'est le moment de relâche, tu en es privé. Suis-moi pour ta punition.

J'avais presque oublié et c'est sans montrer mon angoisse que je le suis.

Je réalise que trois heures c'est le temps qu'il reste jusqu'au couvre-feu et que je mangerai seule, si jamais j'ai le droit de me restaurer.

Nous ne changeons pas d'étage, je suis le caporal-chef Girard jusque dans une pièce, fermée par une simple porte, ce fait me rassure, mais une fois à l'intérieur, je déchante. Il s'arrête devant un groupe d'alvéole hexagonale qui doivent faire soixante-dix centimètres de haut et à peu près autant de largeur, et qui je le remarque une fois qu'il me force à entrer dedans ne font même pas quatre-vingt-dix centimètres de longueur. Je ne tiens ni debout ni assise ni couchée dans cet espace confiné. Je suis obligée de m'accroupir dans une sorte de position fœtale bizarre, la forme des côtés m'empêche de m'appuyer correctement. Et le temps commence à s'écouler.

Le caporal-chef est adossé à un mur en face du mien dans une posture décontractée. Je me passerai de ce public, mais je ne le lui fais pas remarquer. Mes muscles me mettent rapidement au supplice, je commence à bouger ce qui empire la situation. Je me tortille. Je tente d'autres positions, mais rien à faire. Je me mords la lèvre pour ne pas supplier qu'il me sorte de là, j'imagine que ça pourrait empirer la situation.

Après une heure qui me paraît en durer dix, le militaire s'approche et se penche sur ma minuscule prison :

— Ce n'est pas agréable, n'est-ce pas ?

— Non, dis-je la voix chevrotante les larmes inondant mes yeux.

— Tu sais maintenant ce qui se passe quand vous menacez un supérieur ou que vous désobéissez aux ordres. Cette fois-ci, exceptionnellement tu pourras manger, mais s'il y a d'autres punitions du genre il n'y aura ni eau ni nourriture et ce peu importe le temps du confinement.

Une demi-heure plus tard quelqu'un amène un plateau qu'il glisse dans mon réduit. J'ai l'impression qu'il occupe plus d'espace que moi. Je ne peux pas me servir des couverts. J'hésite à ne pas manger du tout, mais j'ai peur qu'il considère mon acte comme de la rébellion, donc c'est à main nue que j'amène la nourriture à ma bouche.

J'oscille, mon équilibre est précaire, mais je viens à bout de mes assiettes. Ma peau est poisseuse de la nourriture et les parois blanches lumineuse de ma prison se retrouvent collantes et souillées. Je ne peux pas me mettre à quatre pattes, même si j'essaie, c'est la solution qui semblerait la plus salutaire pour ma colonne vertébrale dont le lancinement s'accentue de seconde en seconde. Mais impossible, alors je ferme les yeux refoulant les centaines de messages douloureux que me lancent mes muscles et mes articulations.

Puis c'est la délivrance.

— Je suis fier de toi, certains craquent sur des durées moins longue.

Je hoche la tête alors que j'ai du mal à déplier mon corps. Je me fous de sa fierté, il vient de me torturer et je devrais être heureuse qu'il soit content de mon comportement ?! Je suis chez les fous !

Claudicante, entre l'entraînement intense de la journée et ce moment éprouvant, je passe me laver les mains avant d'aller dans ma chambre prendre de quoi me changer pour me doucher. J'espère que l'eau chaude déliera mes muscles. Sauf qu'à peine sortie de mon dortoir les lumières s'éteignent.

— Merde, murmuré-je.

Courageuse, mais pas téméraire je ne prends pas de risques et vais m'allonger. Le sommeil ne tarde pas à me capturer, je suis vannée.

Au pied du murOù les histoires vivent. Découvrez maintenant