Chapitre 18

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Je suis réveillée par la porte ouverte par l'infirmier.

Nous n'échangeons pas un mot, les habitudes se prennent vite. Je tourne ma tête et lui présente mon oreille gauche. Avec un drôle de pistolet il emprisonne mon lobe et une vive douleur me traverse quand il replace mon mouchard. J'aimerais avoir connaissance de tout ce que cet engin peut transmettre et faire. A priori, il ne donne pas notre localisation ou alors personne ne surveille tout le temps les moniteurs, sinon autant Laurent que moi aurions subi une sanction. Mais qui sait... Je n'y avais jamais pensé. Il y a de quoi virer folle. J'enterre mes interrogations, rien de bon ne peut sortir de tout ça. J'aurais la possibilité d'y réfléchir plus tard, quand je devrais me débarrasser de ce bidule.

Je reprends la route de la salle d'entraînement, mais sur le chemin je croise les autres apprentis soldats qui vont au réfectoire.

Le docteur Elias m'a vraiment offert énormément de temps. Je n'avais pas réalisé que toute la matinée s'était écoulée. Je pourrais presque considérer cette sieste bonus comme une grasse matinée.

J'emboite le pas de mes camarades. J'ai faim et le repas tombe à pic.

Il y a onze nouveaux qui arrivent escortés d'Elias, ils ont déjà leur uniforme brodé avec leur numéro.

Onze.

Et pas un seul de mes amis, même si j'en connais certains. Ils sont perdus et restent ensemble. Ils suivent l'un des leurs qui s'incruste à la table de quelqu'un qu'il semble connaître. Je suis contente de ne pas avoir à leur expliquer les règles. J'ai peur que ma colère se perçoive.

— Je comprends mieux pourquoi ça faisait aussi longtemps qu'ils n'amenaient personne, commente Zelda.

Les autres acquiescent.

Je m'installe en face de Laurent et à côté de Théo comme les fois précédentes. C'est un réel plaisir d'avoir ce type de petites habitudes.

— Tout va bien ? s'enquiert Théo.

— Oui. Il y a eu un problème avec la puce, dis-je en la montrant.

— Manquerait plus qu'elles finissent par nous exploser la tronche ! s'amuse Quentin avec une grimace.

Les autres réagissent et entrent dans le jeu en élaborant des théories plus loufoques les unes que les autres sur comment les choses termineraient si les appareils étaient défaillants.

Je bâille malgré moi entre deux bouchés de lentilles. Il y a un peu de viande avec, je préfère les repas sans. Je n'ai jamais raffolé de la barbaque. Mais même s'ils ne sont pas trop regardants sur ce que nous mangeons, je sais que la laisser est mal vu, alors je me force à la finir.

J'ose enfin un regard vers Laurent, son sourire me serre l'estomac, ça en est presque désagréable, mais je suis déjà accro à ces sensations. J'espère que ça ne déclenche rien de trop visible dans la puce. Même si je m'étais promis de ne plus y réfléchir, c'est plus fort que moi. Sauf que je suis certaine que se rapprocher de quelqu'un n'est pas autorisé et j'ai peur des sanctions.

Dommage que personne ne soit capable de lire dans les pensées de nos geôliers, nous saurions tout et je ne me poserais pas autant de questions.

Mais ce n'est pas le cas, nous allons devoir faire avec. Puis tant que Laurent est là, je crois que ça ne sera plus aussi terrible pour moi.

Je dépose mon laitage sur le plateau de mon copain — même si je ne sais pas si le terme est approprié. Il secoue la tête avec amusement et met sa pomme dans le mien.

— Rhooo ! Tu abuses, c'est pour te remercier pour la pomme ! Si tu m'en donnes encore une autre, ça ne finira jamais.

— Tes remerciements étaient suffisants.

Quentin qui n'a rien raté me vole le fruit que Laurent venait de m'offrir.

— Voilà vous êtes quitte, fanfaronne-t-il en mordant dedans.

Médusée, je le regarde engloutir mon cadeau. Laurent, aux premières loges, éclate de rire devant mon désarroi.

— Merci de ton soutien, marmonné-je.

Je suis faussement énervée, Laurent le ressent forcément. C'est pour ça qu'il a osé enfoncer le clou. Et pendant une fraction de seconde, ce moment paraît ordinaire. Et j'aime ça, j'aurais aimé vivre des choses aussi simples dans ma vie d'avant.

Mais ça n'arrivera jamais.

La récréation est vite finie et nous nous retrouvons à nouveau en cercle à attendre que le chef nomme les deux premiers. L'instant arrive toujours trop vite à mon goût, les échauffements sont trop courts.

— Cinquante-six, pour voir si ton séjour à l'infirmerie ne t'a pas ramollie, tu passes. Ça donnera un aperçu aux nouveaux, tu es l'une des plus récentes. Ils comprendront d'où ils viennent et là où ils doivent arriver, parce que tu seras contre Quatre.

Émilie.

Elle jubile. Je risque un regard à Laurent et je sais que ce ne sera pas de la tarte.

Émilie n'attend pas avant de frapper durement. Je n'étais même pas en garde et me mange un coup puissant au menton qui me fait reculer de plusieurs mètres. C'est tout juste si je ne m'étale pas. J'encaisse in extremis une nouvelle frappe et contre-attaque.

La bougresse elle est rapide et évite tout.

Hors de question de prendre autant que Théo ou Laurent. Surtout que j'ai peur de retourner à l'isolement si je suis trop nulle. Deux jours consécutifs, je ne le supporterais pas.

Émilie tente de me toucher avec son pied en plein visage. Elle ne me rate que d'un cheveu. Mais je perds l'équilibre et chute. Je n'ai pas encore complètement toucher le tapis que je reçois déjà un coup de pied en plein sternum qui m'allonge.

Je grogne et peine pour respirer, malgré tout je tente de me relever.

Une nouvelle fois, sa jambe m'assaille et fait mouche contre ma joue.

Sonnée, je percute rudement les tapis.

Je me sens complètement nulle alors que j'essaie de remettre de l'ordre dans mes idées. J'ai les yeux clos, je ne vois pas arrivé les deux frappes suivantes dans mon ventre et deux gémissements m'échappent.

— Elle a eu son compte, annonce le chef mettant fin à ma raclée. Cinquante-six, tu trouves toujours le moyen d'être de plus en plus minable. Relève-toi !

J'essaie, mais j'ai la tête qui tourne et je n'ai toujours pas retrouvé mon souffle.

— Tu désobéis ?

— Non, chef, dis-je sans force.

— Alors debout ! Et que ça saute.

Péniblement, j'obtempère et manque m'affaler en retournant au bord du cercle.

Je ne tiendrais pas indéfiniment ici. Je ne peux pas attendre d'être meilleure et qu'ils m'autorisent à sortir. Je suis devenue la tête de Turc du chef, même si ça ne date pas vraiment d'aujourd'hui.

Au lieu de reprendre les affrontements, le chef a décidé de nous faire répéter les mouvements. Je suis sûre que son choix est délibéré. Je ne suis pas en état, j'ai besoin d'un peu de temps pour récupérer. C'est une occasion de plus pour m'humilier.

Je fais de mon mieux. Il m'a collé en binôme avec Camille ce qui n'aide pas à ma concentration. Surtout que j'ai le sentiment qu'elle est moins froide qu'à l'accoutumée. Elle me prend peut-être en pitié. Elle n'est peut-être pas aussi insensible que Laurent le prétend.

Je répète les gestes avec lenteur. Le chef ne regarde pas et même s'il le faisait, je ne suis pas capable d'avoir une cadence plus soutenue.

Camille m'offre des conseils, j'ai l'impression d'être en train d'halluciner. Peut-être qu'Émilie a tapé plus fort que ce que j'imaginais. Je nage en plein délire.

— Cinquante-six ! Tu ne mérites pas le mal que se donne Vingt-trois. Elle est prometteuse, j'espère qu'être à ton contact ne va pas gâcher ses capacités.

Camille m'offre un pauvre sourire et même si la remarque n'était pas agréable, je nage sur un petit nuage. J'ai la sensation de retrouver l'amie que j'avais.

Peut-être que cette journée ne sera pas si terrible en fin de compte.

Au pied du murOù les histoires vivent. Découvrez maintenant