Chapitre 4

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Je me réveille avec la gorge parcheminée comme si je n'avais pas bu depuis une éternité. Me voilà revenue à la case départ, je suis dans ma chambre blanche, blindée, donc coupée de tout. Il me faut quelques secondes pour me rappeler de mes multiples reprises de conscience et encore davantage pour me souvenir que c'est cet incident de douche gelée qui a conduit à ce qu'on me force au sommeil. C'est tellement... improbable que cette histoire ne me paraît pas réelle. J'ai dû rater un épisode, je ne vois pas d'autres explications ! Un gros coup sur la tête, qui sait...

Une image nette des stalactites de glace accrochée à la buse de la douche me revient en mémoire. Je n'ai pas envie de poser les mots sur l'incident, car la seule explication qui me vient pour justifier qu'on m'ait sédaté, c'est que j'y suis pour quelque chose. Et c'est humainement impossible !

Sinon, je deviens folle. Rien ne tourne rond, ces trois dernières années. J'ai pu m'habituer au camp, à la routine, à l'abandon de ma vie d'avant. Ou, du moins, j'ai fait avec en attendant l'après, mais là... Je ne sais pas où va ma vie, ni même si elle m'appartient encore. Peut-être que je suis morte il y a trois ans d'ici et que depuis je suis en enfer. Je m'accommoderais mieux à cette explication qu'à l'idée que je suis cloitrée quelque part à subir le bon vouloir de médecins dont je ne comprends même pas le but.

Ma trachée se serre. J'ai une envie irrépressible de pleurer. Toute cette impuissance et tout ce que j'ai perdu me pèsent horriblement. Ma vie, ma famille, mes amis... Avant de reprendre connaissance, je rêvais. Rien de fabuleux ou de trépidant. C'était un songe plein de la normalité du camp. De sourires, de jeux idiots, de Vince, de Camille, de Cyril, d'Ilya et de tous les autres. À cet instant, ils me manquent plus que mes parents ne m'ont jamais manqué. Car eux savent. Ils savent ce que c'est d'être prisonnier d'une maladie inconnue et mortelle. Ils savent ce que c'est d'être dépossédé de sa vie et de son identité.

Des larmes m'échappent au fur et à mesure que je prends conscience de ma situation. Je suis seule et ce n'est pas près de changer. Il ne reste que moi et mes souvenirs, maigre réconfort qui m'empêche tout juste de hurler de désespoir.

Complètement abattue, allongée sur ma paillasse étroite et mes draps blancs, je demeure immobile, à quoi bon bouger ? Il me faudrait dormir pour échapper un peu à ma réalité, mais pour ça il me faut au moins soulager ma gorge. Je finis par me lever. Sur mes deux jambes, je vacille. Combien de temps m'ont-ils gardée inconsciente pour que je sois si faible ?

J'ai à peine fait deux pas hésitants que le haut-parleur grésille et l'on m'adjoint de rester assise. Je n'obéis pas. Si mes déplacements sont restreints même dans cette pièce aseptisée, autant mourir de suite.

Sans surprise, la porte s'ouvre sur le docteur Elias. Il n'a pas de masque, il porte simplement une blouse. Ses cheveux courts sont plaqués vers la gauche de son crâne. Même ce détail est aussi bien ordonné que le reste. C'est ridicule.

— Dana, écoute-moi ! Il faut te ménager, déclare-t-il à peine la porte franchie.

— Vous m'épuisez, dis-je lasse. J'ai soif, j'ai le droit de boire quand même ! Je ne suis pas en sucre, je peux faire trois pas. Je n'en peux plus de cette pièce, de l'enfermement, de ne rien pouvoir décider, alors laissez-moi au moins boire ! déblatéré-je au point de m'essouffler. Et surtout, je n'en peux plus de ne rien comprendre ! Est-ce que vous êtes venu m'expliquer ce qu'il s'est passé sous la douche ?

— Tu dois d'abord reprendre des forces et, après, les choses iront mieux, tu verras. Tu as à nouveau eu une rechute, déclare-t-il d'un air conciliant.

Complètement désabusée par ce discours qu'il me sert avec un automatisme évident, je préfère ne pas répondre. Je ne veux pas vendre le fait que j'ai entendu des choses que je n'aurais pas due. Si j'insiste trop, j'ai peur qu'il le comprenne et qui sait ce qui pourrait en découler... Après tout, j'ai bien vu un type armé devant ma porte. Ou bien je m'alarme trop et Elias voudra me faire gober que tout était dans ma tête. Ce qui est peut-être le cas, qui sait ? Le principe des hallucinations n'est-il pas de paraître réelles ? Sauf que je refuse d'admettre que je n'ai même plus ma santé mentale, même si ça pourrait tout expliquer.

Au pied du murOù les histoires vivent. Découvrez maintenant