Chapitre 37

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Sans surprise, l'annonce de Cyril a jeté un froid après le repas du soir. Beaucoup s'inquiètent. Je ne suis pas la seule à craindre la fièvre. Ce n'est pas spécialement de mourir qui me terrifie à ces moments-là, c'est cette touffeur omniprésente, cet air qui consume les poumons. Chaque terminaison nerveuse qui me met au supplice. Et le temps qui paraît infini, j'ai l'impression d'y avoir passé dix vies dans cette fournaise.

Je ne revivrais pas cet enfer une fois de plus, je ne peux pas.

— Il y a une autre chose que je ne vous ai pas dite, annonce Cyril.

Tout le monde se tait et le regarde. Nous sommes dans le salon du rez-de-chaussée, étalés sur les canapés ou le tapis bleu nuit. C'est notre pièce de réunion, étant donné que nous avons fait migrer la télévision de cet endroit au second.

— Accouche, le presse Martin.

— La première poussée nous a changés aussi.

— Comment ça ? intervient Lily.

— Nous sommes plus forts, plus résistants, plus endurants, tous nos sens sont meilleurs. Ils nous ont améliorés autant qu'ils ont pu.

— Tu dis n'importe quoi, dis-je. Sur leur maudit vélo, mes performances n'étaient pas terribles.

— Les machines étaient truquées pour donner des chiffres moins impressionnants, pour ne pas que nous comprenions.

J'assimile ses mots, je cherche des preuves de ce qu'il avance. Je me rappelle de mon réveil du coma, de la lumière trop éblouissante, des bruits trop percutants. Les médecins m'avaient assuré que c'était le contrecoup de cette longue phase de stase et qu'à force tout allait revenir à la normale. Et en effet, j'avais fini par m'habituer.

Mes camarades s'expriment tous en même temps, rien ne nous paraît possible. Nous nous croyons dans un putain de mauvais film de science-fiction ! Aujourd'hui, j'ai ma dose entre ma sortie et cette cascade de nouvelles.

Nous sommes des monstres de laboratoires. Ils nous ont changés. Profondément.

Ils n'avaient pas le droit de nous faire ça ! S'ils avaient un complexe de superhéros qu'ils se fassent les améliorations à eux-mêmes. Je trouve la situation horriblement injuste.

Laurent tranquilise tout le monde avec son don, s'attirant les foudres d'une partie des protagonistes.

— Si les gens nous entendent, que je vous calme ou non ne sera plus un problème, contre l'empathe.

Certains s'excusent. Mais pas tous. Il est dur pour chacun de nous d'accepter les remontrances. Parce que personne n'est vraiment plus âgé que les autres. Et Laurent a le désavantage d'avoir quitté le campement très tôt après notre arrivée. Personne ne le connaît, contrairement à Cyril qui se faisait remarquer positivement dans les chalets où il vivait ou dans ses nouvelles classes.

Pourtant il faudra que nos amis s'habituent à Laurent, car de nous tous, il est celui avec le plus d'expérience.

Notre réunion mouvementée prend fin, sans que personne ne l'ordonne, mais tout semble avoir été dit. Il faut que nous nous appropriions les informations. Il n'y a rien de plus à faire, Cyril n'y est pour rien, il est simplement le messager.

Je suis lessivée et monte jusqu'au grenier, d'autres s'arrêtent au second pour jouer un peu. Laurent et Cyril, comme moi, vont se coucher. Charlotte et Laura étaient là aussi, puis Benjamin est venu les chercher. C'est bien ma veine.

Je suis au milieu des lits et mes « amis » sont chacun d'un côté, c'est ridicule. Et le pire, c'est que j'en souffre, mais je suis incapable de savoir auxquels des deux j'aimerais le plus être collée.

Nous sommes en danger de mort, c'est la guerre et mon subconscient débat sur lequel est le garçon qu'il aime le plus. C'est risible.

— Bonne nuit, finis-je par lâcher pour briser le malaise que je sens planer.

— Sinon, on pourrait en profiter pour discuter, répond Laurent. C'est assez pesant de vous sentir si perturbés.

— Parce qu'entendre vos pensées, tu te figures que ça ne me pèse pas ? rétorque Cyril.

— J'imagine, mais toi au moins tu sais exactement de quoi il retourne.

— Argument imparable... Bon, qui commence ? Dana qui ne sait pas lequel de nous elle aime le plus ? Laurent qui ne se sent pas de taille ? Ou moi qui culpabilise d'avoir été si franc ?

— Dana ne sait vraiment pas ? demande Laurent comme si je n'étais pas là.

— Non, mais moi je sais pour elle, sauf que ce n'est pas à moi de l'éclairer sur sa décision.

— Comment tu peux savoir si elle ne sait rien ?

— Oh ! Je vous dérange peut-être ? m'énervé-je.

Les deux garçons se tournent vers moi et je me sens bête. Si la réponse est claire pour Cyril, c'est que je me voile la face. Il ne peut pas avoir deviné. Et l'évidence me frappe. Si ça avait été lui, il m'aurait aiguillé.

— Désolée, murmuré-je à l'intention de Cyril.

Il m'offre son sourire tordu et mon cœur se fend. Il est, et a toujours été une chimère. Avec Laurent c'est concret. Si je n'avais pas freiné des quatre fers face à Cyril, la situation serait certainement différente, mais j'ai lutté pour ne pas le connaître et partager le moins de choses possible avec lui.

Laurent m'envoie une vague d'amour, mais reste à distance, sûrement par respect pour Cyril. Le silence reprend ses droits. Je ne me sens pas mieux, parce que je n'ai ni balayé mon attirance pour Cyril et encore moins ma culpabilité de l'avoir blessé.

Parler n'a rien changé. Mon esprit n'est pas plus léger, au contraire, le sommeil me fuit, alors que je suis lessivée. J'aimerais trouver les mots à dire à Cyril pour qu'il comprenne l'admiration que j'ai et que j'ai toujours eue pour lui. Il a toujours semblé tout maîtriser. Du moins, au travers de mon prisme de jeune adolescente, car avec du recul, il ne brillait pas spécialement en classe. Enfin, si, en société, il était solaire, mais les mots sur ses bulletins ne devaient pas être terribles. Je ne pense pas qu'il sabotait ses notes pour avoir accès au cours de rattrapage, je suis certainement la seule tarée à avoir agi de cette façon. Je me rappelle la gêne que j'éprouvais à simplement le côtoyer et les images de son passage au tableau en même temps que moi me reviennent.

Sérieusement ?!

Merde, mais sort de ma tête !

Le rire de Cyril résonne et j'ai un mal fou à ne pas me cacher sous les couvertures. Ça ne changerait rien, mais l'envie de me planquer et de ne plus jamais le voir est forte.

T'étais sacrément tordue ! Ça t'es jamais venu à l'idée de venir me parler simplement ? Ou de répondre quand je te parlais ?

Pour te dire quoi ? Que vu le temps que passait la langue de mes copines dans ta bouche, la visite semblait distrayante ! C'était pas vraiment mes amies de toute façon...

Son éclat de rire fend le silence du grenier.

— Je pense que je ne veux pas savoir ce que vous trafiquez, déclare Laurent.

— Oh si si ! s'exclame Cyril.

J'ai beau me courroucer, le supplier mentalement ou non de se taire, il raconte l'anecdote gênante à Laurent.

Je n'ai pas pu tenir, j'ai fini par me planquer sous les draps. Je n'en suis ressortie que bien après quand le grenier s'est rempli de nos camarades. Laurent et Cyril ont eu l'air de tourner la page de leur rivalité sur ma personne, car ils ont un peu discuté avant de se taire. Pour ma part, je ne pourrai plus jamais les regarder en face.

Au pied du murOù les histoires vivent. Découvrez maintenant