Chapitre 43

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J'aurais préféré que nous partions. Je suis incapable de m'endormir, trop stressée de voir débarquer toute une armée. Si j'avais su que mon avis primerait, j'aurais dit autre chose. J'étais la première à vouloir fuir quand Cyril m'a expliqué ce qui se passait. Mais j'ai un secret espoir que nous puissions soutirer des informations au Parrain. Il doit savoir où est le Centre. Et ce n'est pas dans son intérêt de nous mettre dans la merde. Même s'il peut le faire sans le vouloir, car après tout, pour tout le pays nous étions protégés et coupés du monde pour nous mettre à l'abri. Donc le trafiquant peut s'imaginer que les armes sont stockées pour nous défendre et ne pas comprendre qu'ils ont fait de nous des armes de guerre.

Une boule m'oppresse la trachée à l'idée d'avoir peut-être convaincue les autres de rester et que la situation finisse mal. Et que nous nous fassions tuer ou enfermer.

Estelle et Laurent sont réveillés par mes émotions trop fortes. Je leur fais un petit sourire contrit, même si dans l'obscurité, ils ne doivent pas bien le voir. La bonne nouvelle, c'est que la sorte d'alarme empathe fonctionne chez les deux nôtres, donc si des soldats débarquent ils le sauront sûrement.

Laurent me serre contre lui et pousse même le vice jusqu'à m'embrasser passionnément. Et mes doutes s'envolent. Je suis pudique et n'aime pas trop m'afficher en public. Puis contrairement à d'autres qui ont l'air d'avoir sauté le pas, je ne me sens pas prête à plus d'intimité avec lui. Il ne m'a jamais rien demandé, mais avec ce genre de baiser j'imagine qu'il s'attend à plus. Et il est plus vieux que moi de presque un an, le sexe doit forcément le titiller. Comme mon désir me travaille. J'espère que mes hormones se calmeront, car je refuse de finir par faire l'amour pour la première fois avec la peur que des militaires débarquent et nous débusquent en mauvaise posture. Même si c'est niais, j'ai envie d'un moment romantique. De quelque chose qui ne serait qu'à nous.

Mais l'idée est peut-être un peu utopique.

— Dors, me murmure Laurent au creux de l'oreille.

Je me blottis davantage contre son torse en tentant d'obéir. J'essaie même de me laisser faire quand il utilise son pouvoir, mais rien à faire. Heureusement, il finit par s'endormir et je peux continuer à me torturer l'esprit.

Après trois heures de sport intensives, je bouquine tranquillement dans la bibliothèque. Cyril et Laura sont sortis pour glaner des informations dans la tête des gens, sur un peu tout et n'importe quoi. Et aussi pour s'entraîner avec leur pouvoir.

C'est bientôt Noël en théorie, mais l'ambiance ne se sent pas dans la ville. Dans la maison, c'est un peu différent. Certains ont envie que nous fassions la fête et que nous nous attaquions à la quantité phénoménale d'alcool que nous avons. Certains y auraient bien tapé dedans plus tôt, mais il a été décidé que s'était dangereux de prendre le risque d'altérer nos facultés de concentration au risque d'être surpris par nos poursuivants ou que nos dons nous échappent.

Sauf que la peur s'est envolée et tout le monde veut relâcher la pression. C'est paradoxal, il y a deux jours ils voulaient fuir pour certains et maintenant ils veulent faire la fête. Pour ma part, j'aime bien l'idée. Relâcher la pression est vital et je suis certaine que presque tout le monde sera raisonnable.

— Tu lis encore un livre sur des vieux guerriers ? me surprend Boris.

— Oui. J'aime la fantasy, pas d'arme à feu ni de scientifiques qui utilisent des ados comme des rats de labo... grimacé-je. Et toi t'es venu chercher quoi ?

— Un bouquin sur la mécanique dont m'a parlé Charlotte, elle m'a dit qu'il était super bien fait.

Les deux blonds du groupe ont une passion commune pour la mécanique. Ils bidouillent pour le plaisir les vieilles bécanes du sous-sol et un peu tout ce qu'ils trouvent. Et en plus de ce talent, l'explosive Charlotte est douée en informatique.

J'ai à peine le temps de me replonger au cœur de mon roman que c'est Lily qui arrive. Elle a la peau, les yeux et les cheveux foncés, mais aussi des taches de rousseur. Une association qui lui donne constamment un air espiègle malgré sa douceur.

— Je peux te parler ? chuchote-t-elle.

J'acquiesce et elle vient me rejoindre sur le sofa confortable.

— J'ai soigné Laura ce matin, commence-t-elle pas très sûre d'elle.

— Et ? l'encouragé-je.

— Elle avait juste un reste de douleur d'une chute de la veille, sauf que je me suis aperçue que, peut-être... Bah, il se pourrait qu'elle soit enceinte.

La mâchoire m'en tombe. Voilà un « problème » que je n'avais jamais envisagé. Une situation que personne n'avait abordée. Un aspect de la vie qui nous tombe sur un coin de la tronche et dont je n'ai pas la moindre idée de comment le gérer !

— Je dois lui dire tu crois ? reprend la brune tout aussi perdue que moi.

— Tu penses qu'elle ne le sait pas ? Elle l'a pas vue dans ta tête ?

— Non, à moins qu'elle ait très bien joué la comédie ou que ça ne l'ait pas du tout surprise. Mais comment on va faire ? s'inquiète-t-elle.

— Pourquoi tu viens me le dire ? Je ne suis pas plus sage que toi !

— Je pouvais pas le garder pour moi. Puis tu ne parles jamais pour rien, tu sembles toujours savoir quoi faire.

Elle est mal à l'aise à cause de ma réaction. Je pose mon livre pour la prendre dans mes bras. Cette situation nous prend de cour, mais ce n'est pas une raison pour être dure, alors que Lily est très affectée par ce qu'elle vient de m'apprendre.

— Désolée. Je ne voulais pas être sèche, lui souris-je. C'est que je suis un peu paniquée par la nouvelle.

— Je comprends, c'est pas grave. Elle va finir par le savoir et Cyril aussi, s'il ne le sait pas déjà...

— Il parvient à mieux se couper de nos pensées dernièrement, il s'entraîne dur sur ça. S'il l'avait entendu, je pense qu'il te l'aurait dit. Ou alors, il va profiter d'être seul avec elle pour lui en parler.

— Je sais que ça me regarde pas, mais tu crois qu'elle va vouloir le garder son bébé ? Je veux dire que si jamais c'est le cas, comment on va faire ?

— Même si elle ne veut pas le garder, là non plus on ne sait pas comment faire, on va pas se pointer dans un hôpital !

Nous nous regardons toutes les deux avec les mêmes incertitudes. Comme si notre situation n'était pas assez compliquée. Avec un nouveau pauvre sourire, je tente de rassurer mon amie et lui dis qu'il faudra qu'elle parle à Laura. Nous tombons d'accord sur le fait que ce sera à elle de choisir si elle décide d'ébruiter sa condition ou non. Et que nous l'aiderons au mieux.

Impossible de me remettre dans mon histoire après le départ de notre médecin. Je n'y connais rien en grossesse ou en bébé. Et j'imagine que je ne suis pas la seule. En plus, j'imagine le pire au sujet de la grossesse ou de ce qui nous arriverait aux mains de nos poursuivants, surtout s'ils se rendaient compte de ce bébé à venir. C'est inextricable à gérer, je ne sais pas où ils avaient la tête avec Julien pour prendre le risque de se retrouver dans cette situation. Ils ne l'ont peut-être pas fait exprès, mais je ne peux pas m'empêcher de leur en vouloir un peu. C'est ridicule. Surtout que je n'ai pas la moindre information sur ce qu'il va advenir, mais ce stress supplémentaire vient raviver celui qui me bouffe déjà.

Laurent me surprend dans mes turpitudes mentales.

— Tu veux parler de ce qui te perturbe ? Avec Estelle on sent qu'un truc cloche.

— C'est compliqué... Je ne veux pas te faire de cachoterie, mais... c'est compliqué, répété-je bêtement.

— T'as pas à te justifier. Tu veux venir donner un coup de main en cuisine pour te changer les idées ? Jennifer, Martin, Benjamin et Benoit se sont lancés dans l'idée de faire un repas asiatique. Ils essaient de confectionner une foule de petites choses, des ravioles, des nems et je ne sais pas quoi. Bref, c'est un chantier sans nom et pour le moment, tout ce qu'ils font, ne ressemblent à rien, rit-il.

— Oui, je veux participer à ce grand désastre culinaire !

Je me relève et l'embrasse avant de filer rejoindre nos camarades.

Au pied du murOù les histoires vivent. Découvrez maintenant