Chapitre 11

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Le soleil darde la cour. Beaucoup d'élèves lézardent au soleil. Camille et moi sommes affalées sur un banc près des dahlias violet entourés de rosiers blanc. Il fait beau, je rêve de me baigner à la mer ou dans une rivière à l'eau fraîche, même si je ne suis pas une grande fan des températures basses. Il y a une piscine dans le camp, mais on y a droit que pendant certaines séances de rééducations.

Je suis entre les jambes de Camille, ma tête au bas de son ventre, sa main joue avec une de mes mèches pendant que nous nous perdons toutes les deux dans la quiétude de l'instant.

Je me sens chanceuse de m'être trouvée une amie comme elle, si protectrice. J'ai toujours été nulle en relation humaine et parfois je réalise que sans tout ce drame je n'aurais peut-être toujours aucun ami. Vince aussi est un bon ami, mais il est un peu strict et moralisateur, ça fait maintenant quelques mois qu'il est arrivé. Il a fait partie des avant-derniers.

Les travaux d'agrandissement des chalets se sont arrêtés. Apparemment, nous n'attendons plus personne. Moralement ça m'a fait un coup quand je l'ai compris. Parce qu'à part Cyril, ça veut dire que tous les autres adolescents que je connaissais sont sûrement morts.

Mais c'est l'un des sujets tabous. Parfois la nuit quand certains se retrouvent pour papoter, j'entends des rumeurs farfelues sur d'autres camps un peu partout. J'aimerai y croire, mais même ma franche naïveté ne va pas jusque-là. Alors je fourre tout ça dans un coin de ma tête et j'essaie de m'imaginer dans une eau claire en train de me rafraîchir de cette canicule.

Je tombe de mon lit au son strident de l'alarme. Et je jure tout en geignant sous mon corps meurtri. J'ai envie de pleurer. La douleur physique est l'élément de trop face à ce rêve qui me rappelle que le peu que j'avais trouvé ici, je l'ai perdu.

Je ne m'étais pas changée en arrivant dans ma chambre hier, je récupère des affaires propres dans l'armoire métallique grise et me dirige le plus dignement possible vers l'un des points d'eau.

Je me sens raide, j'espère que je vais aller mieux, sinon je ne veux même pas savoir ce qui va m'arriver.

Personne ne me prend en pitié, mais ce n'est pas comme si j'avais sympathisé avec qui ce soit. Je n'ai pas retenu tous les prénoms d'ailleurs, ça viendra. Nous sommes peu comparés aux trois milles que nous étions au camp. Je ne peux qu'espérer que mes amis finissent par me rejoindre, même si je me sens égoïste de leur souhaiter de traverser tout ce que j'ai dû endurer.

Au réfectoire, ce n'est pas différent de la dernière fois, je mange seule. Ce n'est pas plus mal, je ne me sens pas de faire la conversation. Du moins, c'est ce que je me dis pour me convaincre.

Puis, résignée sur la torture qui m'attend, je suis le mouvement jusqu'à la salle d'entraînement. Aujourd'hui, comme la veille, nous n'allons pas à celle occupées par les machines et c'est un nouveau cours sur des mouvements, des postures et des parades qui débute.

Je fais de mon mieux, mais aux regards réprobateurs de l'instructeur, je sais que je ne suis pas à la hauteur. Il ne me fait pas de remarques, c'est ma seule consolation. Au moment des binômes j'échappe à Emilie et j'écope de Théo, un mec capable de télékinésie. Mais de ce que j'ai remarqué la puissance des dons varie d'un individu à l'autre et ils semblent avoir chacun leur spécificité, même ceux qui paraissent identiques.

Théo a mon âge, je me souviens de lui, même si je ne lui ai jamais vraiment parlé, nous nous étions retrouvés une fois dans le même groupe. Il ne s'est pas beaucoup épaissi avec le temps passé ici. Ça a un côté rassurant, je sais que je peux atteindre son niveau, même si pendant une seconde je repense au torse épais de Laurent.

Mon partenaire est prévenant, il m'explique ce que je fais mal et m'est d'une grande aide. Il est là depuis presque deux ans, de quoi apprendre par cœur ce qui nous est enseigné. Sa douceur me va droit au cœur dans ce lieu où je ne sais pas sur qui m'appuyer. Je n'imagine pas que ça dépasse le cadre de notre association en leçon de combat, mais c'est déjà quelque chose de rassurant.

— Ton corps assimile vite les bonnes postures, me complimente-t-il.

— Ce n'est pas l'impression que j'ai, maugréé-je.

Mes bras sont lourds et je ne parviens pas à les garder à la bonne hauteur, même si je me force au moment où l'instructeur passe pour nous regarder exécuter l'exercice. Sa désapprobation est visible, mais il continue sans un mot et ça me va.

Comme la veille, nous finissons par passer au moment où ce sont nos dons qui sont sollicités et à ma grande surprise je fais partie des cinq premiers qui vont dans les espèces de boites.

Je suis les autres par la petite porte du coin de la pièce pour plonger dans un couloir qui semble s'étendre au-delà du contour de la pièce d'entrainement. Il y a quelques soldats en faction, mais ça ne me surprend pas, car la veille ils avaient assisté des élèves dans leur pratique.

Une fois dans la pièce j'attends les instructions, j'essaie de ne pas me formaliser en réalisant que je ne vois pas au travers de la vitre alors que je sais que tout le monde ne va rien rater de mes faits et gestes.

— Dana, fait descendre la température de la pièce, le plus bas que tu peux.

Je sais que je dois me mettre en colère, ce n'est pas bien difficile. Je l'alimente en ressassant les gens que j'ai envie de secouer ou de frapper et elle enfle. Elle devient comme une énorme boule de rage qui grossit en moi et petit à petit mon souffle créé de la vapeur. La sueur sur mon corps gèle, mais je ne ressens pas réellement ce froid, pas comme la première fois où je grelotais, complètement frigorifiée. Mon mouchard semble être sur le point de fondre tellement il me paraît brulant à mon oreille.

Sauf que je continue, je suis sûre que je peux plus, si seulement ça pouvait dépasser cette pièce et tous les neutraliser que je puisse me barrer. Mais j'ai conscience que c'est complètement utopique. Je puise néanmoins dans ce désir.

En inspirant par la bouche, ma salive frémit et commence à se solidifier, alors je me contente de prendre l'air par le nez. Néanmoins ça me permet de stocker quelque part dans ma tête qu'un jour ce sera peut-être utile.

— Bien, tu as réussi à atteindre les moins vingt-neuf degrés au point les plus froid. Laisse revenir une température normale ou accélère le processus si tu le peux.

Ma première réflexion c'est que je peux simplement stopper l'action que j'ai entrepris, mais à vrai dire je n'ai jamais tenté de faire l'inverse. Sauf que je ne décide pas d'essayer, l'avertissement hallucinatoire que j'ai reçu en rêve me revient en mémoire. Et même si je dois me rendre à l'évidence que Cyril n'a rien à voir là-dedans, j'ai conscience que moins je leur en dévoile, moins je risque d'être au centre de l'attention.

— Rien ne se passe, me dit l'instructeur. Pourtant tu n'as pas semblé touché par le froid, c'est peut-être parce que tu peux manipuler la chaleur, essaies !

Je jure intérieurement, ils savent quand je me sers de mon don, preuve en est les réactions du mouchard. Sans savoir comment m'y prendre, je remobilise mes compétences, sauf que je tente de modérer mon effet pour ne pas faire à nouveau chuter la température, simplement qu'ils notent l'activité de mon don pour avoir l'air crédible.

— Ce n'est pas concluant, change de box, il nous en faut un à température ambiante pour le prochain exercice.

J'obéis et découvre qu'ils veulent me voir geler uniquement ce qui entre en contact avec ma main. Je n'y parviens pas, mais je sais que j'en serai capable avec de l'entraînement.

Je ressors lessivée, mais sans punition de cette matinée, c'est un bondébut.

Au pied du murOù les histoires vivent. Découvrez maintenant