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Safiata me regarda avec horreur. Cependant, en même temps que son visage exprimait sa peur, ses membres se mirent à avancer lentement vers moi, comme s'ils obéissaient à la reine sans son consentement.

Elle allait vraiment me tuer ? Cette histoire d'obéissance génétique était-elle si puissante?

-Je suis désolée, Enzo... dit-elle avec une voix faible et presque brisée.

Elle sauta au-dessus de moi en pointant son épée vers mon visage. J'étais paralysé par la peur.

J'allais mourir, tué par Safiata.

-Arrêtes toi, ordonna la reine Betyla Rose.

Safiata redescendit rapidement sur le sol. Elle était à deux doigts de me tuer. Elle me regarda avec tristesse, se relevant.

Je comprenais. Les sirènes étaient réellement obligées, malgré leur conscience, d'obéir à n'importe quel ordre. Safiata allait me tuer malgré la loyauté qu'elle me vouait.

La reine Betyla Rose se tourna vers Agnès et lui fit signe de s'approcher. La sirène se décolla de moi et marcha rapidement vers sa reine. Betyla Rose lui dit quelque chose à l'oreille. Agnès s'immobilisa, avant de regarder Safiata.

Safiata, elle, était toujours près de moi. Elle regardait dans le vide. Elle était perturbée par tout ce qui se passait en elle, et autour d'elle. Franchesca la regardait de loin, comme toutes les autres sirènes, d'ailleurs.

-Mr Brown... j'ignore ce qu'il s'est passé... j'ignore pourquoi j'allais vous tuer alors que je ne voulais pas...

Je posais ma main sur son épaule, essayant de la rassurer. Bien que ce qui se passait était terrifiant, bien que j'eusse échappé à la mort, quelque chose de grandiose se passait. Une femme était revenue d'entre les morts par une technologie hors du commun.

-Safiata, ce n'est rien. Je suis fier de toi. Je suis heureux que tu sois en vie.

Je pensais réellement ces mots. J'étais lavé de toute culpabilité envers Safiata. Je me sentais mieux. Elle me fit un sourire triste, avant de me dire:

-Je regrette d'être en vie. Je regrette d'être devenue un monstre.

Mon cœur se brisa alors que j'entendais cette phrase. Safiata n'était pas heureuse. Cependant, elle avait eu de la chance. La chance d'être une sirène héritière, et d'être aussi puissante, mais à quel prix ?

D'un autre côté, je la comprenais. Ces créatures étaient des monstres. Je comprenais sa peur. Elle avait peur d'elle-même.

Je regardais la reine Betyla Rose. Agnès n'était plus près d'elle. Je remarquais que Ambre non plus n'était pas là. Franchesca attrapa Safiata par le bras, la forçant à se retourner vers elle.

Ses longues tresses roses et noires étaient attachées en queue de cheval noire. Elle avait un long eyeliner, des faux cils et du blush sur les joues. Ces créatures avaient du temps pour se maquiller ?

Elle était grande, élancée, et son armure grise la rendait encore plus terrifiante. Elle ne me donnait aucune attention. Je sentais que tout son intérêt était concentré sur Safiata, qui avait l'air perdue. Elle la regardait d'un air étrange. Une lueur d'envie, de sournoiserie se dessinait dans son regard.

-Ça fait longtemps que je n'avais pas ressenti ça, dit-elle en la regardant dans les yeux.

Safiata fit un pas en arrière, déboussolée par l'attitude étrange de Franchesca.

-Je n'imagines pas la joie que ça a dû être de te tuer... Je meurs d'envie de t'affronter encore, Safiata. Tu es féroce. J'aime ça.

-Espèce de détraquée ! S'écria Safiata, sur la défensive.

Franchesca se mit à rire. C'était un rire moqueur.

La reine Betyla Rose s'avança vers nous. Franchesca devint alors silencieuse, et baissa la tête en signe de respect pour sa reine. La reine regardait la scène d'un air amusé et presque moqueur.

C'était étrange qu'elle soit aussi proche de moi. Malgré la peur qu'elle m'inspirait, je ne pouvais nier le fait qu'elle avait une prestance hors du commun. Son corps dans son armure noire lui donnait une allure différente que ses robes habituelles. Elle était elle aussi assez grande, même si elle était moins grande que moi et que Franchesca. J'étais intimidé par elle.

Elle tourna son visage vers Safiata et la regarda d'un air satisfait.

-Dans quelques jours, ton génome non humain s'exprimera et tu deviendras comme Franchesca. Toutes tes émotions s'éteindront. Profites de ces derniers instants. C'est un conseil.

Sa voix était calme et solennelle. Ce calme contrastait avec ce qu'elle venait de déclarer. Safiata allait-elle perdre ses émotions ainsi que son humanité ?

Franchesca était silencieuse. Safiata aussi. C'était horrible. Je me retrouvais dans un cauchemar.

Safiata allait devenir folle, folle comme Ambre, comme Franchesca, comme la reine ? C'était tout ce que je ne voulais pas !

La reine s'approcha de moi. Elle me regarda dans les yeux, avant de dire :

-Tu pourras passer autant de temps que tu veux avec Safiata, mais avant cela, j'ai besoin de te dire quelque chose.

D'un seul geste, elle ordonna à Franchesca et Safiata de nous laisser seuls. J'étais face à elle, sur la plage. Le vent froid me faisait frissonner.

-J'ai décidé de ne pas te tuer, mais à partir de demain matin, ta vie sera en danger, et je ne pourrai plus rien pour toi.

Je tournais mon visage vers elle, elle ne me regardait pas. Son regard était fixé sur l'océan. Elle semblait heureuse.

-Tu es humain. Je pense que tu peux comprendre le fait que la mort peut être une forme de soulagement, certaines fois.

Je ne comprenais pas où elle voulait en venir, je ne comprenais pas pourquoi elle me disait ça à moi

Ces créatures étaient extrêmement complexes. La reine Betyla Rose s'était toujours montrée dure, insensible, calculatrice, mais elle semblait maintenant torturée, et évoquait la mort comme un soulagement. Sa position de reine la faisait souffrir ? Elle ressentait quelque chose, en réalité ?

Je ne dis rien. Je ne voulais pas l'interrompre. Je voulais obtenir le plus d'informations possible sur elle.

-Mon règne se termine aujourd'hui, Enzo. Je mourrais avec énormément de secrets. L'utérus royal est un poids dur à assumer. Il nous prend tout, et nous donne tout. Notre vie est intense, voilà pourquoi nous mourrons vite.

Elle se tourna vers moi, je pu voir qu'elle souriait.

-Tu as été très impressionnant, Enzo. Tu as réussi à rester en vie dans les deux mondes. Tu t'es créé une place chez les hommes et chez les sirènes. Félicitations.

-Merci, dis-je simplement.

Elle s'avança vers l'océan et plongea dans l'eau, sans même se transformer, me laissant seul sur la place. J'aperçu Safiata au loin, qui courait à une vitesse surhumaine vers moi. Elle me demanda :

-Mr Brown, tout va bien ? Je trouverais un moyen de partir d'ici.

Je secouais mon visage. Quelque chose me disait que je devais rester.


Le cri  de la merOù les histoires vivent. Découvrez maintenant