Chapitre 12

1.5K 190 69
                                    

Qu'est-ce qui est plus important qu'un meurtre en lui-même ? La préparation. Le plan pour en venir à bout. Les sentiments qui exultent alors que vous arrachez la vie d'une personne. Vous tuerez sans doute un fils, un époux aimant, un père attentionné. Mais vous tuerez avant tout celui qui a tenté de vous faire couler. Sa Majesté peut être le meilleur homme du monde, je n'oublierai jamais ce qu'il a fait. Il est la cause de mes souffrances, la raison de mon désespoir. De ma nostalgie. Les regrets, ceux de ne pas avoir pu le sauver. De l'avoir laissé tomber sans bouger le petit doigt. D'être restée indifférente. Le passé est passé. Mais le désir de vengeance, lui, est toujours là. Il m'incitera à le tuer, peu importe ce qui arrive. Peu importe ce qui m'arrive.

Assise sur un sofa d'une cabine que j'ai privatisé, je m'amuse à ouvrir et refermer un couteau-suisse que j'ai trouvé. Le petit boîtier en bois est brodé de lettres vagues et peu précises, comme s'il appartenait à un vulgaire matelot. Alors je l'ai volé. Parce que je suis une voleuse et parce que pendant un mois, on m'interdit de dérober quoique ce soit. Et puis, le jour où je voudrais le tuer, j'aurai besoin d'une arme. Étant dépouillée de tous mes joujoux, j'ai décidé d'être prévenante.

Cela doit bien faire une heure que je suis dans la cabine, à méditer sur mes prochains meurtres : Torin, le capitaine et Erkel, le roi. Deux noms complexes pour deux personnages hautains et méprisables. Pour le moment, je leur laisse la vie sauve et à Torin le bénéfice du doute. Peut-être se montrera-t-il chaleureux et agréable un jour ?

À un moment donné, lorsque le soleil se fait plus brillant dans le ciel, je me décide à sortir sur l'avant du bateau. La chaleur de l'air me ferait presque suer sous ma tunique et mon pantalon. Celui qui tient la barre, je ne le connais pas. Je m'attendais à voir les dizaines de soldats ayant fait route avec nous, mais aucun signe de leur présence. Sur l'embarcation, je ne vois que Sa Majesté sur le pont, me tournant le dos, fixant l'horizon ; et Torin, le capitaine, faisant les cent pas à l'avant.

Lorsqu'il me voit, il m'ignore. Et je fais de même en passant à côté de lui, jusqu'à déclarer sournoisement :

— À force de faire les cent pas, vous allez finir par devenir fou et je devrai vous jeter par-dessus bord.

Il s'arrête dans ses pas, me fusille du regard.

— Allez voir ailleurs si j'y suis, sorcière.

— Un baiser peut-être ? ricané-je.

— Allez-vous arrêter avec ça ! grogne-t-il.

— Quelle mauvaise humeur, Torin chéri, c'est affligeant.

Je le taquine. Dans le fond, sa mort m'attristera sûrement. Il ne m'a rien fait mais il est ami avec l'autre vautour. Et d'après ce que j'ai compris, si je lui vole la vie de son précieux confident, il m'arrachera la peau. Qu'il vienne. Je lui grifferai les yeux de mes doigts. Jusqu'à ce qu'il devienne aveugle. Je lui réserve une torture que lui-même n'imagine même pas.

Lorsque mes pieds m'emmènent tout seuls sur le pont, Sa Majesté se retourne comme s'il avait deviné ma présence.

— Tiens, tu as fini d'être grognon.

— Moi, grognon ? Vous êtes celui qui râle et qui a boudé toute la matinée !

— Dit-elle en râlant.

Je vais l'étriper. Il se contente de me reluquer de la tête aux pieds avant de déclarer :

— Je pensais à tort que pendant ta disparition dans une de mes cabines, tu en aurais profité pour te changer mais je vois bien que... Non.

— J'ai bien compris que pour votre image, blablabla... Mais je n'aime pas les robes, et j'aime encore moins les corsets. Vous ne pourrez pas me forcer à...

𝐋𝐞 𝐉𝐞𝐮 𝐝𝐞𝐬 𝐑𝐨𝐬𝐞𝐬 | TOME 3Où les histoires vivent. Découvrez maintenant