Chapitre 40

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On croit souvent qu'une assassin n'a pas de sentiments. Après tout, j'ai tué des dizaines d'hommes. Des femmes, parfois. Et sans aucun scrupule. Je me devais d'effacer ce que je pouvais ressentir à chaque poignard enfoncé dans la chair d'un être humain. Effacer, oublier. Au fur et à mesure des années, j'ai appris à ne rien ressentir. Garder en moi toutes mes émotions, bonnes comme mauvaises. J'ai pris ce que la vie me donnait sans rechigner, j'ai accepté les erreurs que j'avais pu commettre, j'ai accepté les regrets que je portais sur mon dos.

Mais l'aimer, lui, je ne l'accepte pas. Je n'y arrive pas.

Autorise-toi à ressentir, More.

Alors si jusqu'ici, j'ai réussi à effacer tout ce que je pouvais ressentir, mes émotions explosent d'un coup quand je le regarde partir, me quitter. Je sais au plus profond de moi que tout est terminé, que demain je suis bonne pour rentrer à Meridia. Il mettra son plan à exécution, épousera Areena alors que je regretterai une nouvelle fois. Mais ces regrets-là, je ne pourrai pas les accepter. Ils me suivront toute ma vie, me rappelleront chaque jour, à chaque heure de la journée ce que j'ai perdu.

Je comprends mieux pourquoi on réalise mieux ce que vaut l'autre une fois qu'on l'a perdu.

Il n'est pas trop tard pour réparer une erreur commise. Alors pour une fois dans ma vie, j'oublie mes motivations, le chemin qui m'a menée jusqu'à lui, j'oublie la douleur, la colère pour me concentrer sur une seule chose : lui.

Je m'élance dans le couloir, le cœur au bord du gouffre. Une fois que je suis sur la piste de danse, je l'aperçois. Je croyais qu'il aurait quitté le club mais non. Il boit cul sec un verre d'alcool, assis sur un canapé près de Dina. Quand celle-ci me voit, elle sautille et se lève. Je ne souris pas et elle comprend immédiatement que quelque chose ne va pas. Erkel m'ignore et le voir ainsi me brise le cœur.

— Euh... Je vais aux toilettes, je reviens.

Dina est la meilleure amie possible qui existe sur terre. Elle s'avance vers moi, fronce les sourcils puis me lance un regard qui signifie tout. Du type « vas-y, fonce meuf, va rouler une pelle à ce dieu grec », mais je reste figée dans l'espace-temps. Prendre des décisions n'a jamais été mon fort. Enfin, si, pour tuer, mais pas pour ça...

— Erkel...

Il m'ignore et saisit un deuxième verre qu'il gardait posé sur la table. Il y en a même un troisième.

— Alors quoi, vous allez boire maintenant ?

Il m'ignore une nouvelle fois et c'en est trop. Je lui arrache son verre des mains que je bois cul sec à mon tour puis le repose sur la table avant de m'assoir à côté de lui. Il tourne enfin la tête vers moi, mais ce que je vois me glace sur place. Son visage est tellement froid, son regard tellement noir que je réalise jusque-là l'ampleur de mes mots.

— Je suis désolée.

— Ça n'arrangera rien que tu sois désolée. Je voulais des preuves, je n'en ai pas eu. J'ai compris le message, maintenant...

— Non, vous n'avez rien compris. Levez-vous. Nous allons danser.

Il ricane en attrapant son troisième verre.

— Buvez-le et je ne vous donnerai aucune preuve.

Il se fige dans son geste et je jubile. Il se tourne vers moi d'un air moqueur et rétorque :

— Tu ne m'en as donné aucune jusque-là.

— Levez-vous.

— Non. Je suis fatigué et je n'ai pas la tête à danser.

𝐋𝐞 𝐉𝐞𝐮 𝐝𝐞𝐬 𝐑𝐨𝐬𝐞𝐬 | TOME 3Où les histoires vivent. Découvrez maintenant