Chapitre 53

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Ma bouche s'ouvre. Je n'en crois pas mes yeux. Il est en train de tailler les soldats en pièces ! Devant nos yeux ! Bientôt, Ander le rejoint. Il arbore aussi une armure, fier de lui. Aucune trace d'Eileen et Bianca, je me doute qu'elles ne sont pas venues. Devant nous, nous voyons tomber des dizaines de soldats. Mais d'autres navires accostent et ceux-ci ne viennent pas d'Imir ou encore de Lucrenda. Ils viennent directement de Kelinthos.

Le nombre de soldats se comptent par centaines, voire milliers. Nous n'aurons pas le temps de suivre plus longtemps le spectacle parce que bientôt, Demet et Serra nous tirent par le bras. Areena lance la marche alors que nous nous engageons en chemin inverse, direction Barentown.

Je grommelle lorsque Serra me pousse de la main pour me faire avancer plus vite.

— C'est quoi le plan au juste ? On rentre à Barentown pour mourir ?

C'est idiot. Le combat se passe à la plage mais cette vipère continue tête baissée dans son plan comme si ça allait changer quelque chose.

— Barentown est assiégé, idiote.

Serra me crache presque ces mots alors que bientôt, nous arrivons aux abords de la ville. Je grimace. Des centaines de soldats déambulent dans les rues, tous portant le drapeau de Kelinthos. Elle a raison. La ville a été prise pendant que nous nous battions contre les soldats. Je réalise alors l'ampleur de la situation. Les mots que Torin avait prononcés. Si les soldats s'emparaient des terres, nous étions perdus.

Je ne peux pas croire que les choses sont déjà terminées. Nous n'avons pas dit notre dernier mot. Torin ne sera pas mort en vain, ce n'est pas possible.

Pour mieux frapper, il faut attendre. Se montrer plus malin, plus intelligent. Alors je ne dis rien lorsque nous avançons dans les rues de la ville. Erkel reste silencieux aussi. Je sens qu'il prépare un coup, je le devine au fond de moi. Mais pour le moment, nous ne pouvons pas nous parler. Pas avec ces quatre brutes autour de nous prêts à nous sauter dessus.

Bientôt, nous arrivons aux abords du palais. Serra me relâche en plein milieu du jardin avant de sortir un fin poignard aiguisé. Ma blessure au bras me fait toujours aussi mal mais je dois rester stoïque. Indifférente. Impénétrable, comme Erkel. Au bout de quelques minutes, Serra s'avance et coupe mes lianes de sa lame.

— Tente quelque chose et je te tuerai avant même que tu puisses prononcer tes derniers mots.

Je reste immobile, toujours assise par terre. Je ne comprends pas la situation. Erkel, lui, est debout. Ils ne l'obligent pas à s'assoir. Et puis, quand je vois une foule s'amasser aux portes de son palais, les choses deviennent plus claires. Areena n'a pas l'intention de l'épouser. Elle va le tuer devant les habitants de Barentown pour montrer son pouvoir, sa suprématie. Elle n'a jamais voulu de lui, elle a joué au même jeu que lui. Elle l'a utilisé comme il l'a fait.

— À genoux, ordonne Roy en sortant son pistolet.

Non... Non, non !

Des soldats de Kelinthos contiennent la foule qui est silencieuse. Mes yeux se perdent dans le vague, dans ces visages inconnus, dans ces regards effrayés qui nous observent. Le silence est tonitruant. Il n'a jamais fait autant de bruit que maintenant. J'aimerais pouvoir faire quelque chose, me débattre mais si je bouge, Serra me tuera.

— À genoux, j'ai dit !

Erkel ne se laisse pas faire. Roy a beau être imposant, Erkel est son égal en terme de musculature. Je le vois serrer les mâchoires, se tourner lentement vers lui, un rictus aux lèvres. Il va se faire tuer, imbécile !

— Non.

Un simple mot, et pourtant qui résonne à l'oreille de toute la foule. Des murmures se font entendre. Sa voix est grave, posée, distincte. Son visage est impassible. Il ne s'agit plus de nous. Il s'agit de lui, de son pays, de notre pays, de Meridia qui va bientôt crouler sous l'ennemi. Il est le roi, le dirigeant, et il refuse de se mettre à genoux.

Areena s'agace et fait un signe de tête à Demet. Lui et Roy s'avancent vers Erkel pour lui balancer un coup de pied suffisant à le faire s'écrouler. Mais il se relève. Les mains toujours attachées, il se relève. Bon Dieu. Roy envoie valser son poing dans son ventre, ce qui le fait tomber de nouveau à genoux. Oh, Erkel. Il va pour se redresser de nouveau mais cette fois-ci, Demet lui inflige un coup suffisamment fort qui le laisse pantelant au sol.

La foule reste toujours silencieuse. Et ça me tue d'être impuissante.

— Meridia est tombée ! s'exclame Areena. Je serai votre nouvelle souveraine à compter d'aujourd'hui. L'homme que vous voyez là... n'est plus votre roi. Il n'est rien de plus qu'un lâche ayant déclaré la guerre à Kelinthos ! L'homme devant vous en paiera de sa vie, je vous le jure.

Elle me donne envie de gerber. Je la vois s'approcher de moi et me faire un sourire immonde.

— Mais avant ça... Dis-moi, More chérie... Que serais-tu prête à faire pour sauver ta vie ?

Roy s'approche d'Erkel, le tire par les cheveux. Je l'entends grogner. Du sang s'écoule de son nez, et ses cheveux sont désordonnés. Je ne l'ai jamais vu comme ça. Son regard ne quitte pas le mien et c'est mon monde qui risque de s'écrouler à tout moment. Je ne peux pas le voir ainsi. Je ne veux pas.

— Je te propose un arrangement. Si tu arrives à fuir mes quatre soldats expérimentés, ils te donneront une longueur d'avance d'environ... deux minutes ? Avant de te poursuivre et de te tuer.

— Et si je n'y arrive pas ? rétorqué-je.

— Alors tu mourras. Ce marché me paraît équitable.

— Et si je vous tue ?

Son visage se refroidit. Elle recule de quelques pas alors qu'Erkel m'intime du regard de me lever et de les affronter. Ce n'est pas surprenant. Il ne veut pas que je meurs ici, avec lui. Alors je me redresse. Je me remets sur pieds tandis que Serra et Demet me tournent autour, un air hautain au visage.

— Je n'ai pas d'arme.

— C'est le jeu, chantonne Areena.

— Vous avez peur que je tue vos précieux toutous c'est ça ? ricané-je.

Je fonce vers Areena. Elle hurle alors que ma main s'abat sur sa joue. Je la pousse de toutes mes forces, lui griffant le visage. Cette garde le mérite pleinement. Si je dois mourir, autant lui faire mal avant. Mais Serra s'élance vers moi, son fin poignard en mains. Elle fend l'air tandis que je la contourne pour l'éviter. Demet charge à son tour, et son poing s'abat contre ma joue. Je tombe au sol et des étoiles me barrent la vue. Le combat aura été de courte durée. Une douleur insupportable me saisit à l'abdomen et j'imagine que l'on m'a transpercé la peau.

Bientôt, c'est le néant total.

J'entends des voix, des cris, j'entends ma mère qui m'appelle, mon père qui crie mon nom. J'entends le chant des oiseaux, le souffle du vent contre ma peau, j'entends la voix d'Erkel qui me murmure que tout va bien. C'est donc ainsi que se terminera l'histoire ? Beaucoup de mots pour au final, une mort qui se raconte en quelques phrases. C'était brutal. Je n'ai pas eu le temps de vivre. Je n'ai pas eu le temps de dire tout ce que je voulais à Erkel. Ma vie aura été trop courte. Chaque vie est trop courte, de toute manière. Qui n'a pas de regrets à sa mort ?

J'en ai plein sur mon dos. Ils me suivent à la trace depuis des années, m'ont fait devenir celle que j'étais. J'ai longtemps étouffé mes sentiments pour me rendre compte que les choses essentielles se trouvaient là. Devant moi. Sous mes yeux. J'ai longtemps cherché des réponses qui ne venaient pas, j'ai laissé grandir une vengeance qui me tuait à petit feu. J'ai tué, j'ai volé, pas seulement de l'argent. J'ai volé des vies.

Et j'ai aimé de tout mon cœur.
J'ai aimé Erkel de tout mon sang.
De toute ma peine, de toute mon âme.

— Morgan ! Morgan ! Bon sang, réveille-toi...

Me réveiller. Pour quoi faire ? Je suis morte. Je n'ai plus rien à prouver, je n'ai plus rien à donner. J'ai foulé la terre pendant quelques années mais ma mission s'arrête là. J'ai tué. J'ai aimé. Les choses sont terminées.

𝐋𝐞 𝐉𝐞𝐮 𝐝𝐞𝐬 𝐑𝐨𝐬𝐞𝐬 | TOME 3Où les histoires vivent. Découvrez maintenant