XIX

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Allongée dans mon lit, je revis chaque instant de la soirée passée aux côtés Harvey avec une attention minutieuse, laissant échapper un sourire involontaire. Il est fascinant de constater comment nous, deux étrangers il y a seulement quelques mois, avons évolué pour devenir des parts essentielles de la vie de l'autre.

Les sentiments d'Harvey à mon égard restent une énigme, mais je me suis résolue à ne pas trop m'angoisser sur la réciprocité. À mon âge, il semble plus sage de profiter pleinement de chaque moment sans se laisser emprisonner par les attentes. J'ai choisi de prendre ce qu'Harvey est prêt à offrir, de vivre l'instant présent sans trop anticiper l'avenir incertain. Je suis consciente que cette relation est fragile, qu'elle est vouée à connaître des hauts et des bas, mais c'est une réalité que j'ai désormais acceptée.

Ainsi, je m'efforce de vivre cette histoire avec intensité, sachant qu'elle aura probablement une fin inévitable. C'est une leçon de vie que j'embrasse, une acceptation lucide des impermanences qui émaillent nos existences.

Point de vue d'Harvey :

La voix de ma mère interrompt mes pensées, alors que je suis plongé dans mes réflexions avec un sourire inconscient sur le visage.

— Qu'est-ce qui te fais sourire comme ça, mon chéri ? Me demande-t-elle.

Je relève la tête, essayant de dissimuler ce sourire qui semble collé à mes lèvres.

— Est-ce qu'il y aurait une jolie demoiselle derrière tout ça ? Ajoute-t-elle.

— Maman... Je dis, levant les yeux au ciel.

— Permets-moi de me poser des questions ; tu as l'air plus... heureux, ces derniers temps. Tu sors plus régulièrement avec le sourire, ça fait très longtemps que tu n'as pas séché l'école. J'ose enfin espérer que mon garçon aille mieux. Poursuit-elle, les yeux empreints de tendresse.

Je secoue la tête et prends une bouchée de mon repas tandis qu'elle se lève pour mettre son assiette dans l'évier.

— J'ai attendu ça durant des années, tu sais. Soupire-t-elle. Depuis le départ de ton père, je n'ai plus eu la chance de te voir aussi épanoui. Alors qui qu'elle soit, remercie-la pour moi, Harvey. Elle m'a rendue mon petit garçon. Et c'est un cadeau inestimable à mes yeux.

Un nœud se forme dans ma gorge. Ma mère et moi avons traversé des moments difficiles depuis le départ de mon père il y a près de six ans. Depuis, notre vie est devenue une lutte quotidienne.

Ma mère peine à joindre les deux bouts, travaillant sans relâche pour nous assurer un toit et de quoi manger à la maison. De mon côté, je fais de mon mieux, tentant même de quitter le lycée pour trouver un emploi et contribuer financièrement, mais elle a catégoriquement refusé. Elle estime que c'est à elle de me protéger et de m'assurer un avenir stable, pas l'inverse. Ainsi, j'ai continué le lycée pour elle, tandis que je me suis lancé dans des activités moins avouables pour subvenir aux besoins de la famille. Mais évidemment, elle ignore tout de mes activités clandestines ; à ses yeux, je passe mes week-ends à tondre les pelouses des voisins.

— Comment est-ce qu'elle s'appelle ? Demande ma mère.

Le visage d'Hannah surgit brusquement dans mes pensées, et je le chasse immédiatement.

— Il n'y a pas de fille, maman, c'est simplement le temps qui m'a soigné. Dis-je enfin.

Je débarrasse également ma table et me retire dans ma chambre. Refusant de créditer uniquement l'entrée d'Hannah dans ma vie pour mon léger mieux-être, je préfère croire en l'effet du temps. Même si je ne suis pas totalement rétabli, les choses s'améliorent peu à peu. Les dettes envers Lewis sont effacées grâce à l'aide d'Hannah, même si je me retrouve aujourd'hui à jouer les gardes du corps pour elle. J'accepte doucement l'idée que j'ai le droit d'éprouver des émotions et des sentiments. J'ai réduit ma consommation de drogue et j'espère bientôt abandonner le trafic pour trouver un emploi légal afin d'aider ma mère.

Allongé dans mon lit, je soupire en tournant la tête vers le cadre sur ma table de chevet. Enfin, je le prends, contemplant une fois de plus la photo encadrée.

Il s'agit d'une ancienne photo où je suis tout petit, accompagné d'Annalise. En arrière-plan, ma mère et les parents d'Annalise affichent des sourires. À côté de ma mère, un espace vide témoigne d'un découpage au ciseau. À l'origine, c'était l'emplacement de mon père, mais il ne mérite pas de figurer dans ma chambre, encore moins d'être associé au bonheur de ma mère.

Je repose le cadre sur ma poitrine, replongeant dans les souvenirs de ma vie avant Londres.

Nous vivions initialement à Redditch, où j'ai grandi aux côtés d'Annalise, ma meilleure amie d'enfance qui est toujours là-bas. Ma mère et les parents d'Annalise se sont rencontrés à l'école, où ils sont devenus amis. Nos mères ont eu l'idée de concevoir des enfants en même temps, et ainsi, un an après, je suis né le 1er février, suivi d'Annalise le 24 février. Nous avons grandi ensemble, elle était comme ma petite sœur.

Cependant, à cause de mon père, nous avons dû quitter Redditch et nous installer à Londres. J'ai tenté tant bien que mal de rester en contact avec Annalise, mais en vain. Le temps et la distance ont eu raison de notre amitié, et aujourd'hui, je doute même qu'elle se souvienne de moi.

Je saisis mon téléphone et cherche son numéro dans mes contacts. J'ouvre notre conversation, le dernier message datant d'il y a deux ans est resté sans réponse. Je ne lui en veux pas, après tout, je ne lui ai pas vraiment donné l'occasion de répondre. C'était simplement un message où je lui disais que je pensais à elle. Je ne lui en veux pas de ne pas avoir répondu, cela fait tellement longtemps que nous n'avons pas pris contact, et elle doit avoir une vie bien remplie maintenant. Je prends le risque de lui envoyer un nouveau message, espérant obtenir une réponse.

"Hello Annalise, c'est Harvey. J'espère que tout va bien de ton côté ? Ça serait sympa d'avoir de tes nouvelles de temps en temps. Si jamais tu passes à Londres, n'hésites pas à nous faire un coucou, ça ferait très plaisir à ma mère. Je t'embrasse. Harvey."

Je dépose mon téléphone sur ma table de chevet, fermant les yeux en espérant une réponse. Les minutes passent silencieusement, sans qu'aucun message ne parvienne. Si cela avait été Hannah, j'aurais déjà reçu un texto... Mes sourcils se froncent, agacé par mes propres pensées. Pourquoi est-ce toujours elle qui occupe mes pensées ? Cela commence réellement à m'exaspérer.

Soudain, mon téléphone vibre, interrompant mes réflexions. Je ne parviens pas à l'attraper avant qu'il ne vibre à nouveau une seconde fois.

Deux nouveaux messages, un d'Annalise et l'autre d'Hannah.

J'ouvre celui d'Annalise, impatient de découvrir la réponse.

"Hey Harvey, c'est super d'avoir de tes nouvelles ! Je serai justement à Londres pour le weekend. Peut-être pourrais-je passer vous voir demain si ta mère est d'accord ? Ça me ferait vraiment plaisir de vous revoir."

Je me redresse rapidement sur mon lit, à la fois surprise et enchanté par sa réponse.

— MAMAN ! Je hurle en dévalant les escaliers à toute vitesse. Annalise sera à Londres dès demain pour le weekend ! Elle aimerait passer à la maison si tu es d'accord ?

C'est génial, mon chéri ! S'exclame ma mère, le visage radieux. Bien sûr qu'elle peut passer, c'est même avec grand plaisir !

Un torrent de joie m'envahit, et je saute à travers toute la maison. Après près de 6 ans, je vais enfin retrouver ma meilleure amie. J'ai l'impression de revenir en arrière, à l'époque où ma mère acceptait qu'elle vienne dormir chez nous ou passer le week-end. Le sourire de ma mère est aussi tendre qu'à cette époque, comme lorsque j'avais 10 ans.

— Je suis tellement heureuse de te voir sourire comme ça, mon grand garçon. Dit-elle en m'enveloppant dans ses bras.

Si elle savait à quel point je suis également ravi de retrouver cette sensation de joie.

CHASED - TERMINÉEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant