Chapitre 1 : Le Matin

1.2K 57 10
                                    

Il était tôt, Lily était en avance. Non pas que ce n'était pas dans ses habitudes, mais aujourd'hui Lily était pressée par l'angoisse. Elle se maudissait d'avoir cédé aux supplications de ses amis, elle qui avait encore du mal à retoucher à un violon.

Elle déambulait dans les rues encore désertes de Shiganshina, alors que l'horizon accueillait à peine le soleil qui gratifiait le ciel de chaleureuses et timides trainées de couleurs. Le printemps emportait avec lui une légère brise, qui la fit frissonner.

Lily avait décidé de partir tôt, pour faire redescendre la pression et profiter du beau temps. La jeune femme aimait passer son temps dehors, et si possible dans les espaces les plus vastes, là où l'air ne manquait jamais. Après avoir déambulé quelques dizaines de minutes dans la rue, Lily s'arrêta sur un muret au bord de la rivière et ne put s'empêcher de divaguer. Elle fixait l'eau qui s'écoulait sous ses pieds : pourquoi avait-elle accepté ?

Ses amis, qu'elle avait rencontré dans la clinique où elle travaillait en tant qu'infirmière, avaient depuis quelques temps formé un petit groupe de musique. Une belle journée ou une après-midi de libre, tout était prétexte à distraire la population d'entre ces murs. Le hasard les récompensait parfois de quelques pièces, qui réussissaient à se frayer un chemin vers l'étui de l'un de leurs instruments. Et cette fois-ci, ils avaient réussi à entraîner Lily avec eux dans une de leur représentation improvisée.

Lily maudissait sa faiblesse d'esprit. Si seulement elle n'avait pas cédé, elle ne serait pas là, à errer dans la rue si tôt dans la matinée.

C'est peut-être le but de cette représentation qui avait fini par venir à bout de ses réticences : ses amis avaient insisté pour jouer un morceau au bataillon d'exploration, devant la porte de sortie du district, juste avant qu'ils ne partent en expédition. Le bataillon était méprisé des habitants, qui les ignoraient à leur départ et les huaient à leur retour de mission, à cause de leurs résultats éternellement infructueux. Lily n'était pas de ceux-là. Elle admirait ceux qui faisaient le choix de se sacrifier pour sa sécurité, pour la sécurité de tous. Elle avait donc fini par accepter, se disant que si c'était pour leur apporter un peu de courage, elle pouvait bien trouver la force de dépasser ses états d'âmes.

Depuis son perchoir, Lily observait la ville se réveiller tout en grignotant un petit morceau de pain qu'elle n'avait pas eu la force d'entamer quelques minutes plus tôt. C'est au son des cloches que Lily se remit en route pour arriver à l'heure devant la porte du district.

Arrivée à destination, Lily remarqua que quelques soldats du bataillon étaient déjà là et s'affairaient sans prêter attention au reste. Non loin de la porte, le petit groupe de musicien avait discrètement commencé à s'installer. Aïda accordait son alto, Sarah et Marie l'imitaient leurs violons à l'épaule, Elias ajustait sa flûte et Alois tapotait nonchalamment sur ses percussions. Arrivée à leur hauteur, Lily fut accueillie à bras ouverts par ses amis, rassurés de la voir enfin pointer le bout de son nez.

Lily avait de drôles d'habitudes, l'une d'entre elle était de retirer ses chaussures avant de jouer.

Quitte à le faire, se dit-elle, autant jouer le jeu jusqu'au bout.

Après avoir accordé un violon prêté par Sarah, la jeune femme prit sa place au milieu du groupe, et ferma les yeux.

Plusieurs dizaines de soldats perchés sur leurs montures étaient maintenant agglutinés devant la porte et quelques-uns avaient fini par remarquer le petit groupe, au milieu duquel se trouvait cette curieuse jeune femme, un violon à la main, son archet dans l'autre, pieds nus, les yeux fermés et le visage absorbé par la concentration.

Après quelques minutes, le temps que ce qui semblaient être les derniers soldats arrivent, le chef d'orchestre improvisé compta une mesure et dans une inspiration, les doigts de Lily se mirent en mouvement. Le petit groupe avait choisi un morceau joyeux et rythmé, simple de par sa composition mais comportant tout de même quelques envolées que les doigts de Lily maîtriseraient sans aucun problème.

Le Major, en-tête de file, semblait avoir compris le petit manège de la troupe et avait par conséquent levé une main en invitant silencieusement ses soldats à tourner leurs regards vers le concert improvisé.

D'abord perplexes puis curieux, les soldats tournèrent un à un leurs regards sur les musiciens, et plus particulièrement sur Lily.

Même si pour elle, ces derniers temps, passer le cap de la première note était difficile, tout ce qui s'en suivait semblait d'une simplicité déconcertante. Certains appelaient ça le talent, d'autres auraient pu dire qu'elle avait un don, mais ils se trompaient tous. Car derrière la fluidité de sa technique, il y avait des heures et des heures de pratique, des doigts trop souvent abimé par le frottement des cordes et de très nombreuses fausses notes.

Alors oui, le son de la première note lui avait pincé le cœur, mais elle n'avait pas touché à un violon depuis si longtemps qu'elle en avait oublié tout l'amour qu'elle éprouvait pour la musique. Sentir les cordes glisser sous ses doigts, ressentir les vibrations de chaque note... Chaque sensation la fit oublier sa peine et l'envahit de joie. Une joie pure et contagieuse, qui atteignit chaque musicien et chacun des soldats du bataillon, désormais captivés par le petit groupe.

La mélodie progressant, certains soldats commencèrent à taper des mains en rythme pour accompagner les musiciens. Quelques passants se prêtèrent même au jeu. L'atmosphère se détendit, le rythme s'accéléra, la mélodie fut de plus en plus saisissante.

Encouragée par l'enthousiasme des soldats, Lily rouvrit les yeux, et devint soudain particulièrement consciente du public qui lui faisait face. Être exposée à ce point était effrayant, mais lorsqu'elle vit leurs sourires, le peu de stress qui lui restait s'envola.

Cependant, il y avait un soldat, un seul qui ne souriait pas.

Lily avait des dizaines de paires d'yeux braqués sur elle, mais celui-là, c'était comme s'il était le seul à la regarder.

Elle ne l'aperçut qu'un instant, mais sa concentration vacilla une petite seconde lorsqu'elle se sentît transpercée par les yeux imperceptiblement écarquillés et bleus comme la glace du soldat qui ne souriait pas.

Le morceau arrivant à sa fin, les doigts de Lily virevoltèrent dans une dernière danse au rythme des claquements de mains et des cris enthousiastes des soldats qui, une fois la dernière note jouée, applaudirent sans retenue le petit orchestre improvisé.

Une fois la dernière note jouée, Lily jeta un coup d'œil à l'assemblée. Son regard passa de visage en visage, s'arrêtant sur un·e soldat·e à lunette qui hurlait des compliments aux musiciens avec un enthousiasme presque hystérique puis sur le Major qui, un maigre sourire au lèvre, la remercia d'un mouvement de tête. Son regard s'arrêta ensuite sur un grand soldat aux cheveux blonds et aux yeux d'un bleu perçant, mais qui n'étaient pas ceux auxquels ceux de Lily s'étaient accrochés quelques minutes plus tôt. Elle chercha sans s'en rendre compte ce regard énigmatique et fut saisie d'un doute lorsqu'elle le recroisa enfin : le regard du soldat aux cheveux de jais était devenu d'un calme plat et d'une dureté peu commune, comme si l'éclat qui l'avait animé quelques instant plus tôt s'était envolé avec la dernière note du morceau.

Les contemplations de Lily furent interrompues par les déclarations du Major, qui invita ses soldats à s'avancer : ils s'apprêtaient à partir. Avant de remballer ses affaires et de se mettre en route pour rejoindre l'autre extrémité du district, la jeune femme sentit qu'elle voulait encore leur donner du courage, qu'il manquait un petit quelque chose à sa prestation.

Alors que les soldats se mettaient à avancer, Lily resserra sa prise sur son archet, plaqua son poing contre son cœur et passa son autre bras dans son dos. Les soldats la regardèrent faire son salut et d'un mouvement de tête ou avec un sourire, qui serait peut-être le dernier, la remercièrent en silence. La jeune femme crut apercevoir l'espace d'un instant le regard du soldat au cheveux de jais se poser sur elle, mais le régiment l'emporta hors des murs et hors de son champ de vision avant qu'elle ne puisse en avoir la confirmation.

Ce n'est que bien plus tard, alors que les discrets rayons de l'aube avaient laissé place à un soleil de plomb que Lily le vit, à travers l'une des fenêtres de la clinique, l'enfer dans lequel elle avait vu les soldats disparaître le matin même. La menace de l'extérieur était maintenant à leur porte.

An 845 : Première apparition du Titan Colossal.

Nocturne (Livaï x OC)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant