23. Accomplissement

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Je flotte au-dessus de mon propre corps étendu au sol. Paniquée, je constate rapidement qu'il respire encore. Mes yeux semblent perdus dans le vide, dénués de vie, et pourtant, mes côtes se soulèvent à un rythme régulier. Je ne ressens plus aucun mal-être, et la chaleur qui avait pris mon organisme en otage s'est évaporée. Ainsi, c'est la première épreuve dont m'avait parlé Nell. Tout ce que j'espère, désormais, c'est de pouvoir retourner dans mon corps et je me doute que plus le temps passera, plus ça sera compliqué. J'observe les alentours, mais ils me paraissent toujours flous. Comme si j'étais entourée d'une barrière circulaire qui brouillait ma vue.

Soudain, des taches blanchâtres apparaissent face à moi. Elles changent de formes, fusionnent, se séparent. Leur danse me paraît presque hypnotique. Elles s'immobilisent un instant, et foncent sur moi. Surprise, j'essaye de reculer, mais il m'est visiblement impossible de me déplacer. Le cœur battant la chamade, je suis donc obligée de me laisser faire. Je sens alors un vent glacial me traverser le ventre, en même temps que le fait l'ombre blanche. J'encaisse l'étrange sensation que ce contact m'a provoqué, et avant que je ne puisse reprendre mes esprits, les autres formes qui m'entouraient me parcourent de la même manière que la première. Je me retrouve alors seule, et un petit sourire se dessine sur mon visage. Je vais bien. Ça veut forcément dire que j'ai réussi.

Je pousse un soupir de soulagement. Finalement, ça n'était pas aussi compliqué que je ne l'avais imaginé. Je fixe de nouveau mon corps, qui a retrouvé une forme bipède sans même que je m'en aperçoive. Mais son regard est toujours vide. Il faut que je le rejoigne. Je tente de l'atteindre en battant des bras, mais rien n'y fait. Au bout de quelques secondes, de nombreux fils rouges apparaissent, le long de mes membres, ainsi que sur mon corps. Intriguée, je caresse doucement l'un d'entre eux, et la matière dans laquelle ils sont fait me surprends. A travers la fine membrane qui les compose, je sens mon cœur battre. Comme si c'étaient des vaisseaux sanguins. La chaleur qu'ils dégagent ne fait que confirmer mon hypothèse. Voilà donc ce qui m'entravait. Je pourrais m'en servir pour rejoindre mon organisme, plus bas, mais j'ai peur de les briser en tirant dessus.

Peu à peu, les liens qui me relient au physique semblent apparaitre, le long de ma peau, sur mes chevilles, mes poignets, et à la base de ma nuque. Mais c'est comme s'ils avaient toujours été là.

Un bruit sec attire mon attention, et je suis éclaboussée par un liquide poisseux. Je l'essuie et découvre avec horreur qu'une petite partie du lien vient tout simplement d'éclater. Il faut que je me dépêche de retourner d'où je viens. Je tente de m'imaginer tomber pour rejoindre le sol, mais il ne se passe rien. J'entends un autre vaisseau céder, comme un élastique trop tendu. Je sens que je deviens de plus en plus légère. La panique s'installe. Ce n'est pas normal. Je devrais m'alourdir, et cela me permettrait de retourner dans mon enveloppe corporelle.

Ma cheville droite se retrouve libérée, alors que ce qui l'emprisonnait explose, répandant la substance rouge et poisseuse un peu partout. Je sens une force invisible qui me tire vers le haut, et je hurle, horrifiée. Je ne veux pas mourir, et surtout pas comme ça. Après tout ce que j'ai fait, tous les efforts que j'ai fournis, ça ne peut pas se produire. Dans une tentative désespérée, je ramène mes jambes contre ma poitrine. Peut-être que cela favorisera ma chute...

A ma grande surprise, je me sens tomber, doucement. Je déglutis. Je préfère ne pas me réjouir trop vite. Mon corps se déploie sans que je ne le veuille, et je rejoins lentement le monde physique.

Je cligne plusieurs fois des yeux pour les humidifier un peu. Je sens alors la dureté des planches sur lesquelles je suis allongée, et cela me procure une immense joie. Si on m'avait dit un jour que je serais ravie de me retrouver écrasée sur le sol. Je prends le temps de parcourir mon environnement des yeux, constatant que je vois de nouveau net. Je ne suis plus sur l'estrade, devant d'innombrables personnes, mais à l'intérieur d'un bâtiment que je ne connais pas. Tout autour de moi se trouvent une ribambelle de gigantesques fleurs colorées, de feuilles fraîches et de branches.

Sul'Een T2: La voie de la sagesseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant