15. Intrusion

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Lorsque nous arrivons au village, un cri d'horreur nous interpelle. Peu après, un petit groupe d'enfants à bout de souffle arrivent sur la place principale. Sur leurs visages déformés, je lis la peur. Comme s'ils avaient croisé la mort en personne. L'un d'entre eux agrippe un adulte, surement quelqu'un de sa famille, sans doute pour se rassurer. Alors qu'un attroupement de plus en plus conséquent les entoure, la Leyda fait irruption elle aussi pour essayer de comprendre ce qu'il se passe.

- Les humains, explique un petit garçon du groupe. Je les ai vus ! Ils ont réussi à passer le portail.

Mon cœur fait un bond dans ma poitrine. C'était une des pires choses qui pouvait arriver. La tension monte parmi tous ceux qui ont entendu. La Leyda serre les poings et ordonne à certains de prendre les armes. Puis, elle se penche sur les enfants pour leur demander l'endroit où ils ont vu ces intrus. La foule se disperse d'une manière particulièrement organisée. Chacun cour chez lui pour attraper n'importe quoi qui lui permettrait de se défendre. Nell m'attire vers elle et me murmure :

- On va avoir besoin de toi. Ne nous déçois pas.


Je déglutis. Je me doute qu'elle attend de moi que je prouve ma loyauté. Après avoir déposé le butin de la pêche, nous nous retrouvons tous devant la demeure de la Leyda, prêts à recevoir ses ordres. Certains d'entre nous ont déjà mutés, alors que d'autres se sont munis de lances ou de poignards.

- Mes chers enfants, l'heure est grave. Nous devons nous protéger de ces envahisseurs, qui, encore une fois, croient pouvoir pénétrer sur nos terres sans conséquences. Nous devons protéger notre progéniture, et Navaelith. C'est notre devoir. D'après ce que m'ont dit nos braves enfants, il ne s'agit que d'un petit groupe, mais il est préférable de se méfier. Ils ont été aperçus près du passage entre nos deux mondes. Ils doivent être au nombre de trois.

Elle marque une pause en réfléchissant. Puis, elle reprend en expliquant sa stratégie ; nous devons nous diviser en trois. Certains d'entre nous, la majorité, doivent rester ici afin de défendre le village au cas où il serait attaqué. Je trouve cette mesure un peu extrême, mais tout le monde semble lui faire confiance. Ainsi, d'autres iront se poster non loin du portail. L'équipe dont je fais visiblement partie doit traquer les humains. Je suis plutôt contente d'être un membre du groupe qui prendra vraiment part à l'action. J'ai peur que cette chasse à l'homme ne finisse en boucherie.

Je suis accompagnée de mes amis, ce qui me rassure tout de même un peu. Nell prend sa forme animale et pars en reconnaissance. Le portail se trouvant plus bas dans la vallée, je n'aurais pas à faire de l'escalade, mais je préfère garder ma forme bipède. Il sera plus facile de communiquer ainsi. Nous nous élançons entre les arbres à toute vitesse. J'aimerais les trouver en premier, mais comme je n'ai jamais fait de traque je ne peux pas rester seule. À vrai dire, je pense que l'on m'a envoyée là uniquement parce que j'ai grandi sur Terre, et que j'ai donc certaines connaissances. Je ne sais pas ce que la Leyda attends de moi, étant donné que je ne suis pas la seule à parler anglais, et que ceux qui ont réussi à arriver ici doivent maîtriser ce langage.

Soudain, je me rappelle des paroles de Nell. Et si c'était un test ? Pour savoir si je suis digne de confiance. Oui, ça ne peut être que ça. De la part de mon amie, ce n'est pas très étonnant, mais au moins je n'avais pas trop la pression. Jusqu'à maintenant. Un sourire amer se dessine sur mon visage. M'intégrer n'était pas si facile que je l'avais cru.

Nous continuons à avancer en groupe, jusqu'à rejoindre Nell, qui s'est visiblement arrêtée. Un homme nous accompagnant nous fait signe de nous séparer. Je me retrouve en équipe avec mon amie qui se déplace désormais le plus silencieusement possible. Je l'imite. On ne sait pas s'ils sont armés, et ils pourraient réagir au quart de tour. Je n'ai pas spécialement envie de me retrouver avec des balles dans le corps.

Un pas après l'autre, je retiens ma respiration. Puis des éclats de voix nous interpellent et nous circulons derrière chaque tronc. Enfin, je peux voir le groupe d'humains. Ils n'ont rien d'extraordinaire et semblent avoir exactement les fonctions auxquelles je m'attendais. Ils sont tous vêtus d'habits militaires, et armés. Génial. Je suppose que jamais mes semblables n'ont été confrontés à des armes à feu, et s'ils décident d'attaquer, ça risque de mal finir. Certes, les humains finiront par perdre face à tant de monde, mais ça ne sera pas sans dommages pour nous. Je fais signe à Nell qu'il faut être prudents et elle acquiesce. Elle lève la tête et un petit glapissement sort de sa gorge. Je sais que c'est pour signaler notre position aux autres, et que nous les avons trouvés. Rapidement, les autres nous rejoignent. Nous commençons à les encercler, et j'ai très peur de ce qu'il va se passer ensuite.

Les humains ayant entendu le son émis par mon amie se sont arrêtés, et scrutent les alentours, méfiants. Désormais, le silence règne, et l'espace d'un instant, j'ai peur que l'on puisse entendre ma respiration.

Soudain, quelque chose fuse juste aux pieds d'un humain. Je constate qu'il s'agit d'une lance, et la réaction ne se fait pas attendre. Surpris, l'homme tire dans la direction d'où provient le projectile. Heureusement, il n'y a déjà plus personne derrière le buisson.

- Ils sont déjà là, affirme une des femmes.

Ce lancer ne semble été avoir fait uniquement dans l'objectif de tester les humains. Puis, sans que je ne parvienne réellement à comprendre laquelle, tout le monde à l'air d'avoir pris une décision. Nell s'élance, alors que son troisième œil a émergé. Elle court tellement vite qu'elle se transforme en tâche orange et floue. Je reste là, ne sachant pas vraiment quoi faire. Elle tourne autour du groupe d'humains, assez proche pour qu'ils puissent la distinguer, mais assez loin pour rester derrière les arbres.

Les balles fusent et je m'accroupis, imitée par les autres. Les humains ne sont pas assez rapides pour atteindre leur cible.

- Merde ! Lâche l'un d'entre eux.

- Arrête, ils veulent juste nous faire peur.

Mais sa voix trahit un stress certain.

- Tu crois vraiment ? Pour moi, ça ressemble à une attaque ! S'exclame un des hommes.

Quelques secondes plus tard, quelque chose vient se planter dans son bras, et il est obligé de laisser tomber son arme. Ainsi, Nell n'est qu'une distraction. Mais grâce à elle, ils ne peuvent plus s'enfuir.

Je prends ma tête entre mes mains. Il faut que je trouve une solution avant que cette scène ne se transforme en bain de sang. Mais si je m'avance maintenant, autant que je me jette d'une falaise. Pourtant, je sens ma deuxième âme qui m'incite à le faire. Elle m'encourage, juste sous ma peau.

Poussée par son énergie qui circule dans mes veines, je me relève, toujours cachée derrière mon arbre. Je prends une grande inspiration et je serre les poings :

- Stop !

J'ai hurlé aussi fort que je pouvais, alors que ma voix s'était mêlée à celle de ma part animale, devenant presque un grognement. Comme le son provenant de mes cordes vocales l'a ordonné, plus personne ne bouge. J'en profite pour sortir de ma cachette. Je n'aurais jamais cru que ça allait fonctionner, et pourtant, Nell se tient immobile, les yeux vers le bas, et le groupe d'humain laisse pendre leurs armes mollement, ébahis. Tremblante, je me justifie :

- Je ne veux pas que quelqu'un soit blessé.

Ceux de mon équipe rejoignent le centre du cercle qu'ils avaient formés et le silence reste roi. Je ne comprends pas tellement ce qu'il vient de se passer, mais je suis satisfaite d'avoir réussi à empêcher une boucherie. Je sais très bien que nous allons devoir ramener les humains au village, et que ce que j'ai fait ne leur aura sans doute pas épargné ce qu'ils risquent de subir, mais au moins tout le monde va bien. Du moins, presque.

L'espace d'un instant, j'ai l'impression que la paix est possible. Puis, un bruit vient briser ce moment d'accalmie. Un cri de colère provenant d'une femme de mon peuple. Elle s'élance sur les humains, bientôt suivie par les autres. Le groupe assailli n'a pas le temps de réagir et se retrouve rapidement plaqué au sol. La femme qui a perturbé le silence frappe l'un d'entre eux, comme contrôlée par une rage pure qui est lisible dans ses yeux. On l'écarte de sa victime au visage ensanglanté, mais elle tente de se débattre.

Tout en visionnant cette scène j'ai l'impression de ne plus être dans mon corps. Comme si j'étais dans un rêve. C'est Veenyr qui me ramène à la réalité.

- Tout va bien ? Il m'interroge.

Mes lèvres s'entrouvrent mais rien n'en sort. Je me racle la gorge et acquiesce. Pourtant, son regard d'or affiche toujours la même inquiétude quand il me fait signe qu'il faut rentrer. Je sens alors que ma tête se met à tourner. Des milliers d'abeilles volent dans mes oreilles et des taches sombres obscurcissent ma vision. J'essaie de me concentrer sur ma respiration, mais celle-ci s'accélère et je sens que je perds le contrôle. Mes jambes deviennent lourdes, plus difficiles à mouvoir. Je titube et reprends mon équilibre sur un arbre. Ma température augment d'un coup, me donnant l'impression d'être dans un sauna. Je ne comprends pas ce qu'il m'arrive. Je n'ai pourtant rien fait si ce n'est rester cachée pendant que les autres se préparaient à se battre. Et pourtant, j'ai l'impression d'avoir fourni le plus gros effort de ma vie. Bien plus que ce que m'a fait subir Feii.

Veenyr se rend compte de mon état et viens se poster en face de moi.

- Tu es sûre ?

Essoufflée sans raison apparente, je lui explique que j'ai juste besoin d'une petite pause. Mais malgré mon appui, mes jambes cèdent et je sens toutes les maigres forces qui m'aidaient à rester debout s'évaporer en un instant. Je me sens alors vaciller, et mes paupières se ferment pour m'emmener dans un pays où il fait trop sombre pour pouvoir y distinguer quoi que ce soit.




Sul'Een T2: La voie de la sagesseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant