25. Traque

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Sans vraiment réfléchir, je m'élance dans la forêt. J'ai suivi la direction que m'a indiqué Nell. Je ne sais pas s'il faudrait mieux que je change de de forme ; ça m'aurait paru logique, mais je n'ose pas m'arrêter. Je sens mon cœur battre dans ma poitrine si fort que je suis persuadée que toute la forêt peut l'entendre. Je ne suis pas du tout hors d'haleine, mais l'excitation accélère tous les systèmes de mon corps. Je sens mes joues rougir sous l'effort et un léger sourire se dessine sur mon visage. Chaque foulée me donne l'impression de voler, et toutes les pensées et les questions qui m'inquiétaient jusqu'à présent disparaissent. Je gonfle mes poumons et laisse entrer un air pur et revivifiant dans mes bronches.

Il me faut parcourir plusieurs kilomètres avant de réellement commencer à pister une proie potentielle. Je n'ai absolument aucune idée de la stratégie à adopter, mais si j'ai réussi une fois, c'est que j'en suis capable. Certes, les conditions n'étaient pas les mêmes, et je ne risquais pas de rencontrer un prédateur. Je chasse cette idée de ma tête. La dernière fois que je me suis un peu trop éloignée de la colonie, la peau de mon ventre s'en souvient très bien. Ce n'était pas une blessure très grave, mais j'ai bien cru que je n'allais pas pouvoir revenir en un seul morceau.

Je m'arrête net. En y réfléchissant, je serais sans doute plus en sécurité en changeant de forme. En effet, ma façon de me déplacer est loin d'être discrète, et à la façon dont mes talons martèlent le sol, je suis persuadée que toute la forêt à des kilomètres à la ronde est au courant de ma présence. Je me laisse tomber contre le tronc d'un arbre pour reprendre mon souffle. Malgré ce que tout le monde semble penser, je ne suis pas encore tout à fait à l'aise avec la douleur de la mutation. Je ferme les yeux et fait appel à ma deuxième âme, qui visiblement n'était pas très loin. Elle n'attendait que ça. Je souris en le constant.

J'inspire un grand coup, et déjà mes côtes se déforment. Le souffle coupé, je me positionne instinctivement à quatre pattes, et je laisse mes os se transformer. Rapidement, mes doigts disparaissent au profit de coussinets beaucoup plus adaptés à la traque silencieuse. En quelques douloureuses minutes, je peux reprendre ma quête. Cette fois-ci j'utilise mon odorat, plus efficace en ces circonstances. Une multitude d'effluves parviennent jusqu'à mes narines, sans que je ne parvienne à les identifier. En effet, personne n'a pris le temps de m'enseigner quelles odeurs correspondraient à quelque chose de comestible.

Soudain, une légère émanation attire mon attention. Quelque chose de cuivré, tellement discret que je ne l'avais jusque-là même pas remarqué. Du sang. Je suis la piste en trottinant, persuadée que je suis encore trop loin pour avancer à pas de loup. Le parfum devient beaucoup plus prononcé, si bien qu'il serait impossible de ne pas le remarquer. C'est à cet instant que je laisse le contrôle total à ma deuxième âme. Alléchée, je salive en imaginant la suite. J'accélère, trop pressée de planter mes crocs dans de la chair fraiche. Je pourrais presque continuer en fermant les yeux, tellement le parfum sature l'air.

Je ralentis à l'approche de ma cible et tends l'oreille, méfiante. Je ne sais pas à quoi j'aurais à faire, et je préfère jouer la carte de la prudence. Seulement, à part les bruits habituels de la forêt, je n'entends absolument rien. Je fais quelques pas en avant et je hume l'air. L'émanation sanguine me prend les narines et j'éternue. Quelque chose ne va pas... L'odeur est beaucoup trop forte pour être normale.

Au moment où je détecte enfin l'endroit précis où se trouve ce qui accapare mon attention, un petit animal me fixe de ses grands yeux écarquillés, à la manière d'un tarsier. Surprise, je fais un pas en avant, en l'inspectant. Ça ne peut pas être lui qui sent aussi fort. Il n'est même pas blessé. En me voyant bouger, il ouvre la bouche et un cri strident s'en échappe. J'ai un mouvement de recul devant le bruit plus que désagréable, et il en profite pour grimper sur une liane à sa portée. Mais contrairement à ce que je m'attendais, il prend tout son temps. Comme si je ne représentais, finalement, aucun danger pour lui. Je dois bien avouer que sa stratégie de défense est plutôt efficace. Je refuse de perdre mes tympans.

Sul'Een T2: La voie de la sagesseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant