Sul'Een T2: La voie de la sagesse

11. Empoisonnement

Je me réveille en sursaut, sentant mes larmes couler. J'ai totalement inondé l'endroit où se trouvait ma tête. Grâce aux premières lueurs du jour, je distingue très bien la flaque colorée. Le rouge se mélange au noir, et le centre du liquide a pris une étrange couleur blanchâtre. Paniquée, je me lève en essayant de trouver le moyen d'éliminer ces sécrétions dangereuses. Je constate alors que mes cheveux sèment des petites gouttes sur mon passage. La seule chose que je trouve à faire, c'est de creuser le sol là où j'étais allongée. La tâche s'avère compliquée sans réveiller Feii, mais j'y parviens. Mes mains, couvertes de terre tremblent, et le liquide coule le long du sillon fraîchement apparu, rejoignant le pied d'un arbre un peu plus loin. 

Je souffle, rassurée. Il ne me reste plus qu'à aller me laver les cheveux, avant qu'ils n'entrent en contact avec quelqu'un. Je ne sais pas ce qu'il s'est passé dans mon sommeil, mais j'ai dû faire un cauchemar atroce. Je suis bien heureuse de ne pas m'en souvenir, autant mentalement que physiquement. Mes doigts ont presque fini de cicatriser, et je n'ai pas spécialement envie de revivre une expérience comme celle que j'ai connu il y a quelques jours.

Je me concentre sur mon ouïe pour tenter de repérer un éventuel cours d'eau. Heureusement, j'en identifie un non loin. Je cours dans sa direction, constatant, avec étonnement, que mes muscles ne souffrent d'aucune courbature. J'étais pourtant sûre que j'allais souffrir le martyre aujourd'hui et pour les prochains jours. Décidément, mon corps me surprendra toujours...

Je me penche pour faire tremper ma tignasse, censée être d'argent, et je frotte énergiquement. Il n'est pas question que ce qu'il s'est passé en Thaïlande se reproduise. Je vois les deux liquides se libérer dans l'eau, et quand je suis sûre qu'il n'en reste aucune trace sur moi, je me relève en essorant ma masse de cheveux. Je constate avec effrois qu'ils se sont mêlés dans la rivière et l'eau est devenue laiteuse. Mais ce qu'il se produit ensuite réveille mon inquiétude. Le cours d'eau se met à fumer, alors qu'une odeur de chair pourrie se répand dans l'air. Je m'élance vers notre campement avec toute la force dont je suis capable. J'espère que je ne vais pas intoxiquer toute la forêt.

Lorsque j'arrive sur place, c'est déjà trop tard. Incapable de voir à plus de dix centimètres de mon nez, je pénètre dans le voile blanchâtre. Pourtant, j'arrive parfaitement à respirer.

- Feii ? J'appelle, cherchant à m'assurer qu'il a eu le temps de fuir cette émanation nauséabonde.

Je ne parviens pas à entendre une réponse. J'avance à tâtons pour essayer de trouver la construction dans laquelle j'ai passé la nuit. La manœuvre s'avère difficile et je manque de m'écrouler en butant sur un caillou. Quand je touche la toile qui nous a abrités, j'entends quelqu'un tousser, mais un peu plus loin.

- Ninah ? tu es là ?

Je me retourne pour suivre la voix, et par la même occasion, je m'extirpe des volutes blanches qui ne semblent pas vouloir s'arrêter de tournoyer. J'aperçois enfin sa silhouette se dessiner, et je l'incite à s'éloigner de cet endroit qui sent désormais la mort. Nous faisons quelques mètres avant qu'il ne cesse de tousser. Je contemple, encore une fois l'étendue de ma malédiction. Car je ne vois définitivement pas ce que ces foutues larmes pourraient être autrement.

- Je suis désolée, j'articule.

Ce sont les seuls mots qui parviennent à sortir de ma bouche. Au bout de quelques instants, un animal semblable à un archeoptéryx s'étale à mes pieds, épuisé. Il respire bruyamment, agonisant une longue minute avant de s'éteindre. Je me précipite à côté de la créature dans un élan désespéré, mais la vie l'a quitté. Je baisse les yeux vers mes mains en tremblant. Un immense vide envahit ma poitrine et je m'écroule sous le poids de la culpabilité. J'ai encore failli tuer quelqu'un.