Ma vision est encore un peu floue lorsque je reprends conscience. Je me sens ballotée doucement de droite à gauche, et je m'aperçois que mes pieds ne touchent pas le sol. Je ne sais pas si je suis capable de tenir debout, mais je veux essayer. Je demande donc à Veenyr de me poser, ce qu'il fait sans rechigner.
Certes, je ne suis pas au meilleur de ma forme, mais je suis en mesure de me déplacer seule. Je n'ai pas envie que tous les autres me considèrent comme faible, surtout que je n'ai strictement rien fait pour perdre connaissance. D'ailleurs, Veenyr à l'air d'accord avec moi sur ce sujet, je n'avais aucune raison apparente de m'évanouir. Et cet étrange moment où tout le monde s'est arrêté ne devais être lié qu'à la surprise. C'est du moins ce que je déduis après avoir interrogé mes amis.
Nous arrivons au village où un nouvel attroupement se forme pour nous accueillir. Enfin, plutôt pour observer les nouveaux arrivants qui sont solidement attachés les uns aux autres. La Leyda nous ordonne de la suivre, alors que certains habitants du village commencent à devenir agressifs. La femme qui a sauté sur les étrangers plus tôt insiste pour rester avec nous. Les yeux bandés, les humains n'ont d'autres choix que de se plier aux indications données par les lames qui viennent appuyer sur leur dos. Quelqu'un soulève une trappe assez large et dévoile un escalier que je n'avais jamais remarqué, sous le plancher. Les autres habitants s'agglutinent à la porte et aux fenêtres, obéissant malgré eux à leur supérieure qui leur a demandé de ne pas entrer.
Un à un, nous nous engouffrons dans la cavité sombre, qui plonge dans les entrailles de la forêt. J'avance à tâtons sans cesser de caresser le mur pour ne pas me cogner. Mais le sol semble être jonché de racines dans lesquelles je me prends les pieds plusieurs fois. Je franchis la dernière marche avec un certain soulagement, alors que quelqu'un se décide enfin à allumer une torche. Le passage est tellement étroit que je suis obligée de me mettre sur le côté pour suivre les autres. Partout sur les parois du sous-sol, l'eau ruisselle, dégouline pour former de larges flaques. Malgré la lumière provenant de deux flammes portées à bout de bras par celui qui ouvre la marche et celle qui la ferme, je n'arrive pas à voir où je mets les pieds. Ce n'est en rien à cause de la luminosité, mais simplement parce que la seule manière pour moi de pouvoir voir le sol serait d'avoir des yeux sur les mains. Ou sur les jambes.
Personne ne dit un mot, et la musique que font les gouttes d'eau qui s'écrasent devient angoissante. Je me demande jusqu'où on va aller comme ça, car je commence à étouffer. Je ne suis d'ordinaire pas spécialement mal à l'aise dans les espaces clos, mais ici, je n'arrive pas à voir d'issues. Alors, s'il arrive un accident, on risque tous de rester coincés.
Heureusement pour moi, au bout du long tunnel, une chambre assez large se dessine. J'y rejoins les autres et je sens une grande tension s'installer, alors que la Leyda ouvre une large grille métallique à ses pieds. Un homme y pousse les humains après les avoirs libérés de leurs attaches.
- On veut juste vous parler, supplie la femme brune, encore à notre hauteur.
C'est Nell qui s'approche d'elle, et lui jette un regard haineux. La différence de taille entre elles est impressionnante, et pourtant, mon amie n'en démord pas.
- En nous attaquant ?
Elle siffle, les crocs apparents, signe évident d'une perte de contrôle. Et sans attendre de réponse, elle pousse la femme dans le trou. Mais celle-ci ne se laisse pas abattre :
- Nous avions peur. Comprenez-nous, nous ne savons rien de votre monde.
Mon amie va pour lui répondre, mais la Leyda lui intime de ne pas le faire. L'un d'entre nous referme la grille en la couvrant de nombreuses branches puis de gros morceaux de roches.
- Nous les interrogerons plus tard, elle nous annonce. Je désignerai un interrogateur et un interprète. Pour l'instant, le plus important, c'est la sécurité. Nous devons nous assurer qu'il n'y en a pas d'autres.
Je fixe la cellule qui vient d'être close avec désolation. Ces conditions de détention sont vraiment horribles. Certes, ils nous ont tirés dessus, mais quelque part, je les comprends. Et je suis persuadée que personne ne mérite d'être traité ainsi. Mais je sais aussi que je ne peux rien faire pour améliorer les choses dans la situation où je suis actuellement. J'ai bien appris que je n'avais pas un statut assez haut pour contester quoi que ce soit. Si j'avais le même rang que Nell et Veenyr, alors peut être que quelqu'un m'écouterait. Mais cela leur a pris des années de préparation, et je ne suis pas sûre d'être capable de les égaler un jour. Ils ont réussi à impressionner la Leyda de part leur ingéniosité et leur faculté à se battre. Mais elle les avait choisis bien avant qu'ils ne réussissent cet exploit.
Je m'extirpe de la cavité quand une idée traverse mon esprit. Certes, ça ne sera pas facile. Mais c'est le seul moyen que je vois.
Une fois dehors, je me précipite en dehors du village. Ça pourrait paraître ridicule pour quelques minutes de gagnées, mais je me dis qu'il ne faut pas que je perde mon temps. Et du temps, je vais en avoir besoin, surtout pour convaincre que mon idée est parfaite. Je laisse mes pieds s'abattre bruyamment sur la litière, sans retenir mon allure. Quand, enfin j'aperçois la petite cabane en bois de Feii, je suis essoufflée. Heureusement pour moi il est bien chez lui, affairé à tresser une corde avec les fibres que je me suis évertuée à séparer auparavant.
- J'ai un service à te demander.
Il me répond par un de ses grognements habituels sans même lever les yeux de ses travaux. Je lui explique la situation au village, mais il ne sourcille même pas. Ça ne m'étonne pas le moins du monde.
- Et donc, qu'est-ce que tu veux ?
Je prends une grande inspiration et mon cœur bat la chamade quand je prends la parole. J'ai peur de sa réponse.
- Apprends-moi à me battre.
Enfin, il daigne de me regarder. Mais d'après son expression, je sais déjà quelle va être sa réponse.
- Non.
Je lève les yeux au ciel.
- Mais pourquoi ? Je veux dire, pour moi c'est peut-être le seul moyen de faire entendre ma voix. Sinon, la Leyda ne voudra jamais m'écouter ! Je ne veux pas que des gens meurent. Que ce soit d'un camp ou d'un autre. Je ne veux pas qu'on me force à être une machine de guerre !
Voyant qu'il ne s'intéresse pas le moins du monde à ce que je dis, je m'accroupis à sa hauteur. Il plante ses yeux dans les miens et soupire :
- Elle ne t'écoutera pas.
Je me relève et serre les poings.
- Laisse-moi essayer, au moins ! Et puis, si ça ne marche pas, alors les autres auront plus confiance en moi.
Ayant visiblement terminé sa tâche, Feii entoure son œuvre autour de sa paume pour la replier et la ranger, accrochée au mur de sa cabane.
Il me sonde ensuite de la tête aux pieds, les sourcils froncés. Je lève de nouveau les yeux au ciel.
- D'accord.
Il hausse les épaules avant de reprendre :
- Mais je t'aurais prévenu. Ça ne servira à rien.
Quand bien même il eut raison, ce que je n'espère pas, au moins, je saurais me défendre. Je sais très bien que mon instructeur sera loin d'être le plus patient et pédagogue, comme il me l'a bien montré, mais je suis sûre d'apprendre vite.
Je m'installe en face de lui, patientant qu'il termine ce qu'il vient de commencer, avec encore une fois ces foutues fibres envers lesquelles j'éprouve de plus en plus de haine. Plus jamais quelqu'un ne m'exploitera pour les libérer les unes des autres, j'en fais la promesse.
Remarquant sans doute mon air dépité, Feii m'adresse un sourire moqueur.
- Bon, on commence quand ? Je marmonne.
- Si tu m'aides, ça ira plus vite.
Je râle en me laissant tomber sur le dos. Voilà que déjà on me demande de briser la promesse que je viens de me faire.
- Ok...
La mine boudeuse, je l'imite maladroitement. Je n'aurais jamais pensé qu'il faille autant de force dans les doigts pour que ces morceaux de végétaux restent place. Si bien que lorsque j'observe le résultat, je suis très loin d'atteindre celui de Feii. Et en plus, j'ai gagné des crampes à chaque phalange. Je m'étire et défais ma corde trop lâche. Il va falloir que je recommence jusqu'à réussir, et cela avant que mon ami ne fasse disparaître la totalité des fibres. Sinon, ce que je fais n'aura servi à rien.
- Tu vas en faire quoi, après ?
Il m'explique qu'il faudra ensuite les enduire de résine et qu'il les donnera à celui qui en aura besoin.
Mes doigts devenant trop douloureux, je suis obligée de m'arrêter. J'en profite pour détailler Feii, qui est particulièrement concentré sur sa tâche. Je ne sais pas pourquoi il continue à aider les autres si personne ne semble vraiment l'apprécier. Je ne l'ai vu qu'une fois au village et les habitants le regardaient comme s'il avait la peste ou une autre de ces maladies mortelles. J'ai pu constater qu'il était encore sous l'autorité de la Leyda, mais je pense sincèrement qu'il pourrait s'en détacher. Qu'a-t-il à perdre, de toute façon ? Plus j'y réfléchis, plus je me dis que si j'avais été à sa place, je serais partie. Depuis le décès de sa soeur, c'est comme s'il était perdu, je le vois bien quand je m'attarde sur ses yeux noisette.
- Je peux te poser une question ? Je me risque.
- Hum.
- Pourquoi est-ce que tu restes dans la colonie ?
Il semble surpris par ma question. Il s'arrête de tirer sur les fils qui sont parfaitement alignés entre ses larges mains et fixe le vide. Ses pupilles prennent une teinte bleue, mais cette fois-ci, ce n'est pas de la colère que j'y lis.
- Je n'ai nulle part d'autre où aller.
Je déglutis. Je ne peux pas imaginer ce qu'il ressent à ce moment, mais je me doute bien que ça n'est pas très positif.
- Justement, tu pourrais partir et recommencer une nouvelle vie, je suggère.
Je regrette immédiatement mes propos. Je n'ai pas envie qu'il disparaisse à jamais. C'est quelqu'un d'important pour moi. C'est grâce à lui que j'ai pu réussir à comprendre ce que j'étais réellement. Il hausse les épaules pour simple réponse, et je ne sais pas comment je dois interpréter cela, mais j'espère de tout cœur qu'il ne m'écoutera pas. Même si je sais que c'est totalement égoïste.
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Sul'Een T2: La voie de la sagesse
ParanormaleNinah doit s'adapter non sans mal à son nouvel environnement. Ici, les règles ne sont plus les mêmes et pour y parvenir elle devra faire des sacrifices. Tous les autres se reposent sur les épaules de Sul'Een sans qu'elle ne sache réellement ce qu'el...