I. 𓅃

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  L'herbe était fraîche sous la brisée du vent, caressant d'un trait soigné, comme une fine plume ma peau. Mes cheveux bougeaient légèrement, l'air était lourd, le ciel bas, bloqué par de nombreux nuages, la pluie s'annonçait. Je savais que dans peu de temps, je devrais rentrer m'abriter. Mais je voulais profiter de ce moment de latence, prolonger ce moment de vide. Cette impression dont le temps représentait mes ressentis que je n'osais prononcer à voix haute.

Un calme silence avant le déluge, une expansion du temps comme s'il s'était figé, une suspension avant la chute fatale. Cette émotion me traversait depuis longtemps déjà, elle était devenue mienne. Je le ressentais sans cesse, ce vide. Il handicapait mon corps, mes gestes, mon esprit et était présent dans tout ce que j'entreprenais.

J'observais le paysage qui s'offrait à moi, je le redécouvrais comme lors de la première fois. Je m'émerveillais face à la magnificence des arbres, harmonieux jusqu'à la dernière petite feuille de leurs branches, ils se dressaient fièrement, ayant chacun leur histoire à transmettre par le biais de leur tenue. Ils formaient une grande masse dont on ne pouvait percevoir la fin, une vision infinie.

Je sentis des gouttelettes tomber, me donnant inévitablement le signal pour rentrer. Je me relevais, attardant mon regard sur le paysage une dernière fois avant de lui tourner mon dos. Je me dirigeais vers la maison, le pas lent. Mes pieds traînaient dans la terre encore sèche. Après avoir refermé la porte en bois derrière moi, j'enlevais mes chaussures et passais dans le salon pour monter à l'étage.

Ma mère me suivit du regard, mais ne dit mot, je fis de même et montais les marches grinçantes du bois vernis. Pour ne pas changer, je m'enfermais dans ma chambre, me mis sur la chaise de mon bureau, et commençais à lire face à la fenêtre.

Mes yeux se posaient sur les lignes, je plongeais avec facilité dans l'univers de mon livre. Le monde autour disparaissant aussitôt. Je passais ma vie à continuer en une boucle infinie cette suspension du temps, sans jamais que je ne veuille l'arrêter.

Je ne pouvais qu'entendre la pluie tomber de plus en plus fort. Elle cognait contre la fenêtre, probablement mécontente que j'en sois protégé, elle essayait de mieux m'atteindre de cette façon. Le vent hurlait et arrivait à se faufiler par les tranches invisibles du bord des fenêtres.

Une tempête avait été annoncée pour la nuit. Elle ferait office de berceuse.

Dans ma lecture, un mouvement devant moi capta mon regard, perturbant ma quiétude. La nuit était tombée, la nature était déjà bien déchaînée, les environs étaient inconnus et personne ne s'y aventurait.

Pourtant, en cet instant, il y avait bien sur le chemin en face de ma fenêtre, un étranger.

Un étranger qui marchait sur le sentier, direction la forêt. L'immense forêt, qui n'avait pas de fin, ou les repères se perdaient même pendant une journée ensoleillée.

Je me levais brusquement, faisant tomber ma chaise dans un bruit sourd. Je descendis les escaliers en trombe. Arrivé en bas, mes parents me regardaient avec incompréhension. Je ne leur rendis aucun regard, je n'avais pas le temps d'expliquer. Je mis mes chaussures à moitié, sortis et courus dehors à toute vitesse. Je crus entendre mes parents crier mon nom derrière moi.

La pluie et le vent s'écrasaient violemment sur mes habits et mon visage. Je n'avais pas pris le temps de mettre ma capuche ni de me protéger avec un manteau. Et sous ce vent, un parapluie n'aurait pas tenu plus longtemps que le sec de mes cheveux. Je me retrouvais alors vite trempé durant ma course.

Je courais après cet homme, une volonté de le prévenir de la ténacité de la nature face aux hommes me tiraillait la poitrine. Je voulais lui expliquer que cette nature si belle expulsait en réalité tout intrus qu'elle trouvait comme danger à sa paix factice.

𝑫𝒊𝒗𝒊𝒏𝒆 𝑳𝒖𝒔𝒕  || 𝐇𝐞𝐞𝐣𝐚𝐤𝐞Où les histoires vivent. Découvrez maintenant