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Quand nous rejoignons le Lieutenant Mar, il se lève et vient à notre rencontre, l'air plus qu'inquiet par nos apparences.

- On dirait que vous êtes passés dans une tornade. Qu'est-ce que s'est passé Diop ?

- Ah ! Une petite dispute avec un vaurien !répond son interlocuteur en regagnant sa place.

Son collègue tourne maintenant son regard vers moi.

- Kany, tu te sens bien ? Si tu veux on peut rentrer juste après avoir mangé...

- Non on va continuer notre visite, l'interrompt Diop depuis son siège.

- Il a raison, appuyé-je en m'asseyant à mon tour et en souriant au Lieutenant Mar. Oh ! J'ai oublié l'huile de palme chez la vendeuse.

- On ira après la chercher, rassure Diop en lisant l'amertume sur mon visage.

Mar nous regarde avec insistance mais ne dit rien.
Il nous présente le dibi. Une odeur exquise s'en dégageait, nous donnant l'eau à la bouche.
Nous entamons le repas sans parler. Le silence me convient car je suis toujours chamboulée par ce qui s'est passé. Mar me lançait des regards en biais mais je n'y fait pas attention. Inutile de dire qu'il me bombardera de questions quand on sera seuls. Mais pour l'instant, je profite de la dégustation.

Après s'être sustentés, nous reprenons la visite en sortant du marché. On n'a plus revu Saliou de toute la soirée.
Il est 21 heures quand nous rentrons, épuisés.
Je trace direct vers ma cabine après avoir remercié les deux hommes.

- Je n'en ai pas terminé avec toi, me fait savoir Mar avec un regard entendu.

- Je te dirai ce qui s'est passé demain, rassure-toi.

Il me fait un hochement de tête avant de me laisser partir. Son collègue s'est déjà éloigné, lui.
Lorsque je pose enfin mon pied dans ma cabine, je jette mon sac et mes chaussures et m'affale de tout mon long sur le lit. Je reste un moment ainsi, remettant ma vie en question.
J'ai vécu la pire des sorties depuis que je suis rentrée du Maroc. Je ne peux pas croire que Saliou soit aussi mesquin à ce point. Je tourne en boucle la confrontation dans ma tête, toujours sous le choc.
La honte me submerge. Comment vais-je regarder Diop dans les yeux et lui dire qu'il s'agissait de mon ex ?

Je compose le numéro de Coumba une demi heure plus tard. Elle décroche à la première sonnerie et quand elle voit ma mine déconfite, elle pose le pain qu'elle était en train de dévorer.

- Diank ba diam (meuf tout va bien) ? Tu as l'air d'avoir vu un fantôme !

- Saliou est pire qu'un fantôme ! sangloté-je.
Barki Yallah ki kom deum (je te jure que c'est un démon) ! Il ne va jamais arrêter de me pourrir la vie !

Le visage de ma meilleure amie se décompose sur-le-champ.

- Pas possible ! Ne me dit pas qu'il a réussi à te retrouver là-bas ! Le vaurien qu'il est !

Je me calme avec un grand effort, afin de lui raconter la vive bagarre que mon ex a eu avec le Lieutenant Diop. Elle se plaque la bouche avec sa main.

- Il est allé trop loin cette fois-ci ! Je vais lui placer deux mots quand je reverrais sa tronche d'hyène celui-là !

- J'espère qu'il ne tardera pas à quitter Ziguinchor et rentrer chez lui ! Je ne sais même pas ce que je vais devenir aux yeux des marins...

- Tu n'y es absolument pour rien si ton ex s'est fait tabasser par l'un d'eux. Au contraire lolou lou bakh la sakh (c'est une bonne chose) !

Elle rigolait maintenant.

- Kéneu meunoufé triste si diam ak ioe (impossible de déprimer en paix avec toi) !

Gaal gui (Le navire)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant