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Il est 19 heures. Je n'ai pas pu me rendormir durant l'après-midi mais je me suis assez reposée pour préparer mon quart plus tôt. Je n'ai pas faim, je prendrai mon dîner plus tard. L'appareillage (départ du navire de son poste à quai) va commencer dans une heure. Le Capitaine a donné l'ordre de lever l'ancre à 20 heures sonnantes. Les passagers doivent déjà être installés dans leurs cabines.
Le voyage vers Dakar va bientôt commencer.

Au "carré", il y avait Léon et Ouly qui prenaient leur repas, Demba qui était au téléphone et le Bosco en discussion très animée avec le Chef Mécanicien et son Second. Je cherche du regard le Lieutenant Diop mais ne le trouve nulle part. Il m'a fait savoir il y a à peine deux heures que je dois le rejoindre ici même afin de préparer les manœuvres.

- Officier Diallo ! lance une voix que je reconnaîtrais entre mille derrière moi.

Le Lieutenant Diop venait d'arriver dans le "carré". Il portait une salopette cette fois-ci, comme moi et avait aussi attaché les manches autour de sa taille.

- Oui Lieutenant !

- Prends vite ton dîner et rejoins-moi à la passerelle. Le départ est dans une heure.

- Je n'ai pas vraiment faim. Le dîner peut attendre.

- Bien, suis-moi dans ce cas.

Nous arrivons à la passerelle où le Lieutenant Mar et le Capitaine étaient assis et en pleine discussion. Diop les salue brièvement et va se pencher sur la table aux cartes.

- Viens voir ! m'appelle-t'il lorsque j'ai fini de saluer les deux hommes.

Je le rejoins et il me montre du doigt la zone dans laquelle nous nous trouvons. Je sens le Lieutenant Mar se lever à son tour et venir vers nous. Il se penche près de moi, pour observer la carte.

- Comme nous sommes dans un fleuve, nous devons bien manœuvrer pour sortir du port tout en douceur, commence à expliquer Diop.

- Ce serait tout aussi bien pareil pour un port dans la mer comme celui de Dakar, renchérit Mar en me jetant un regard.

Je lui souris.

- Effectivement, approuve Diop avec une voix un peu sévère. Cependant, Officier Diallo, les manœuvres que nous avions effectuées au port de Dakar étaient un peu plus difficiles_étant donné que c'est un port qui accueille beaucoup plus de navires, dont la majeure partie étrangers_que celui de Ziguinchor. De ce fait, il sera plus aisé de sortir de ce port-ci pour le voyage de retour.

Il suspend ses explications lorsque son téléphone se met à sonner. Il regarde l'écran et s'excuse avant de décrocher l'appel.

- Oui Bosco ! ...Les talkie-walkie ne marchent plus ? ... Ça doit être à cause du vent trop fort . . . Je me rendrai au pont tout à l'heure pour vérifier que tous les passagers sont rentrés dans leurs cabines. Il y a trop de vent, c'est plus prudent si on veut éviter un homme à la mer.

Quand il raccroche, il s'adresse à son collègue.

- Je vais sortir au pont m'assurer que tous les passagers ont suivi les instructions de sécurité.

Mar acquiesce. Depuis son siège, le Capitaine intervient :

- Amène Diallo avec toi, Lieutenant ! Elle se fera une idée sur comment communiquer avec les passagers pour leur donner des instructions.

- D'accord Commandant.

Il me fait signe de le suivre tandis que Mar reprenait son siège à côté du Capitaine.
En sortant sur le pont 5 extérieur, nous voyons quelques personnes debout contre la rambarde. Ils regardaient la mer en parlant entre eux.
Nous avançons à leur niveau.

- Bonsoir, déclare Diop. Excusez-moi mesdames et messieurs mais vous ne devriez pas être là en ce moment ! Il y a trop de vent et les manœuvres risquent d'être longues. Merci de bien vouloir regagner vos cabines ou vos chaises dans les Pullman car le voyage va bientôt commencer, nous voulons éviter tout risque de chute.

La petite foule se retourne alors vers nous. Mon sang ne fait qu'un tour quand je vois Saliou parmi eux. Il nous toise mon compagnon et moi d'un air hautain tandis que les autres passagers acquiescent et se contentent de rejoindre leurs cabines.
Diop se tient l'arête du nez entre le pouce et l'index, ne disant rien. Quand tout le monde est descendu, excepté Saliou, il relève le regard vers lui.

- Qu'est-ce que vous faites ici ?

Saliou s'avance vers nous, en souriant.

- Je suis un passager pour Dakar, comme tout le monde.

Il adoptait un air très serein. Je reviens doucement de ma surprise.

- Alors veuillez rejoindre la chaise ou la cabine qui vous est réservée, reprend le Lieutenant. Le départ est dans moins d'une demi-heure maintenant.

- Je la rejoindrai quand bon me semble, s'entête mon ex en s'avançant davantage vers nous.

Je m'interpose subtilement entre les deux jeunes hommes avant qu'une nouvelle bagarre éclate.

- Saliou, descends s'il te plaît ! Damalako niane rek boulfi indiwate khoulo (ne crée pas de polémique une nouvelle fois), soufflé-je avec gêne.

Il éclate de rire.

- C'est plutôt ton nouvel amant qui a commencé la dernière fois ! Et malheureusement je n'ai pas pu lui refaire le portrait à cause des gens qui me retenaient.

- Ils me retenaient également et ça ne m'a pas empêché de te casser le nez ! rétorque Diop d'un air amusé.

Il croise les bras nonchalamment. Je me retourne vers lui et le supplie du regard.

- Je ne vais pas lui sauter dessus, Officier Diallo, rassure-t'il en regardant sa montre. Le temps ne nous le permet pas malheureusement.

- Tu n'oserais pas, même si le temps était assez suffisant, observe Saliou en sortant son téléphone de sa poche.

Il compose un numéro.

- Oui mon oncle préféré ! ... C'est un plaisir également ! D'autant plus que j'ai voulu te faire la surprise après tout ce temps...Sors sur le pont alors, si tu ne me crois toujours pas !

Il souriait de toutes ses dents, nous laissant médusés, Diop et moi. Quelques secondes plus tard, nous sommes surpris d'entendre la voix du commandant derrière nous.

- Mais qui vois-je là ! Mon neveu préféré !
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Saliou

Je regarde mon ex et son ringard de compagnon se retourner vers mon oncle d'un air très étonné. Ils n'avaient aucune idée de combien je suis fort en stratagème ! J'avais saisi l'opportunité comme quoi le commandant à bord est mon oncle maternel.

Outre le frère de mon père, j'avais également celui-là dans le domaine maritime. Il ne s'entend pas bien avec mon géniteur à cause d'un différent de longue date mais il ne m'a pas renié pour autant.
Au contraire, il est très disponible pour moi et m'avait même proposé de m'intégrer dans le domaine en tant que élève-officier, puis lieutenant, mais j'avais refusé cette proposition, pensant qu'être expert comptable était le meilleur choix que je pouvais faire de ma vie.
Si j'avais su, j'aurais accepté d'emblée son offre qui était peut-être frauduleuse mais qui aurait pu me rapprocher de ma dulcinée.
N'empêche que je vais me rapprocher d'elle par d'autres moyens dont celui que j'avais en tête ce soir.

Je m'avance vers mon oncle en passant sans gêne entre Kany et ce lieutenant amateur et l'enlace chaleureusement. Après les salutations d'usage, il me présente à mon ex et à cet épouvantail.

- Zale, voici mon lieutenant Hakil Diop et notre élève Kany Amadou Diallo. Je suppose que tu as déjà eu à leur parler puisque je vous ai trouvés tous ensemble ici.

Je reste coi de surprise. Mon étonnement n'était rien cependant, comparé à celui de mon ex qui ouvrait de grands yeux choqués en dévisageant le lieutenant. Ce dernier lui rendait son regard d'un air désolé. Je viens de faire une agréable découverte grâce à mon oncle...

Gaal gui (Le navire)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant